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« L’isolement guette celui qui ne déménage pas avant d’être trop vieux »

Muriel Lefevre

De plus en plus de personnes âgées vivent seules dans des maisons peu pratiques. Il n’est pas rare que, par la faute d’un environnement qui n’est pas adapté à leur besoin, elles ne puissent même plus sortir de chez elles. Avec le risque de devoir rejoindre un home plus rapidement.

Le sociologue Pascal De Decker, à la tête du groupe de recherche Housingand Urban Studies (HaUS) de la KU Leuven, tire la sonnette d’alarme. Il y a de plus en plus de personnes âgées qui vivent dans un logement qui ne leur convient pas, ou plus. De ce fait, celles-ci risquent de se retrouver très isolées et ne vont pas avoir les soins nécessaires.

C’est là l’addition d’une mauvaise gestion urbanistique. S’il n’est pas encore trop tard, le pic du vieillissement de la population va être atteint d’ici 12 ans, il est urgent de trouver des solutions puisque d’ici là le groupe de 80 ans et plus sera si important qu’on risque bien de se retrouver face à un véritable problème sociétal.

Une maison prison

La plupart des maisons ne sont, en effet, pas du tout adaptées aux besoins des personnes âgées. En Flandre, par exemple, on estime que 80% des logements ne sont pas adaptés aux personnes qui ont des problèmes de santé ou qui sont moins valides. Et ce constat est encore plus marqué à la campagne qu’en ville. Les distances y sont beaucoup plus grandes et la plupart des gens n’ont pas de boulanger, de boucher, de banque ou de généraliste dans leur quartier. Et encore moins un hôpital auquel on peut se rendre à pied. Les voiries étant aussi ce qu’elles sont, beaucoup ne peuvent plus se déplacer sans risques sur les trottoirs avec un rollator, une canne ou un fauteuil roulant. Il y a toujours un trottoir tordu, un trottoir trop haut ou un abribus qui gêne et qui fait craindre la chute. Il n’existe par ailleurs aucune véritable solution structurelle de transport. Ce qui pousse les personnes âgées à prendre leur voiture alors que c’est dangereux, pour elle, mais aussi pour les autres.

Il n’y a aussi souvent rien à faire dans le coin. Or il a été démontré que pour rester en bonne santé, les stimuli moteurs et intellectuels étaient d’une importance primordiale. De même l’idée romantique d’une plus grande cohésion sociale à la campagne qu’en ville est une illusion. S’il est vrai qu’on va plus facilement – à condition de connaître ses voisins, ce qui reste à voir – se rendre quelques menus services comme de ramener des produits de l’épicerie, il est beaucoup plus compliqué de se faire aider en cas d’incontinence par exemple. Il existe bien la solution des soins à domiciles, mais les zones à quadriller sont tellement grandes que l’offre est limitée. Un problème particulièrement aigu dans certaines régions plus reculées.

Les autorités lancent régulièrement l’idée d’encourager la socialisation des soins (on offre des facilités aux proches aidants par exemple). Sauf, qu’en pratique, ce n’est pas réaliste. Certainement pas depuis que le gouvernement veut économiser sur les soins de santé. Il faut savoir qu’un tiers des plus de 60 ans vivent seuls. Et que même s’il y a un partenaire, il n’est lui aussi généralement plus tout jeune. Et surtout, aider un proche peut vite se révéler très pesant et ils sont nombreux parmi les aidants à craquer. D’autant plus que les enfants qui vivent non loin de leurs parents âgés se font rares.

Tout cela a pour résultat que ces personnes âgées se retrouvent souvent claquemurées chez elles ou trop rapidement placées dans un home.

Une négligence coupable

« Le nombre de personnes âgées isolées ne cesse de grandir, mais le gouvernement préfère regarder ailleurs. Ce n’est rien de moins que de la négligence coupable. »

Une situation d’autant plus triste que celle-ci n’est pas forcément une fatalité. Il existe des solutions, mais celles-ci doivent être réfléchies en amont.

Contrairement à l’idée rependue, si les personnes restent cramponnées à leur maison, ce n’est pas par pure nostalgie, mais bien par manque d’alternative. Ces personnes n’ont souvent aujourd’hui d’autre choix que des résidences pour seniors souvent très chères et situées dans des endroits moches ou des centres de soins résidentiels qui accueillent des personnes déjà très diminuées.

Sans vouloir pousser les gens hors de leur maison, l’état doit soutenir cette démarche de changer à temps de logement en offrant des structures adéquates, des solutions intermédiaires.

Le Danemark, par exemple, a investi dans des structures de soins agréables et de petite taille dans les villages et les centres-villes. Parce que quand les personnes âgées vivent plus proches les unes des autres, les soins peuvent également être organisés de façon plus efficace. Cela postpose d’autant le home tout en libérant des maisons qui seront à nouveau disponibles pour de jeunes couples.

Une autre solution serait d’obliger les promoteurs qui construisent des appartements neufs de tenir compte de certains critères comme des prises pas trop basses, des salles de bains adaptés ou encore des portes assez larges pour les fauteuils roulants. On construit partout des appartements, mais ceux-ci ne seront pas adaptés à ceux qui y vivront.

Enfin, si l’état doit impérativement réagir, c’est aussi aux personnes de se préparer. On doit tous réaliser qu’il est plus judicieux de déménager en temps voulu vers un endroit plus adapté à nos vieux jours. L’idéal est d’y penser vers 50 ou 60 ans. Quand on a 80 ans, c’est déjà trop tard dit De Decker.

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