Thierry Fiorilli

L’increvable Belgique et ses néo-Belges

Thierry Fiorilli Journaliste

Dans Les chagrins de la Belgique, que Le Vif/L’Express dévoile, en primeur, dans son édition de jeudi, l’historien britannique Martin Conway dissèque les trois années d’après-Libération du pays. Tous les ingrédients étaient alors réunis pour que la Belgique s’effondre. Or elle a survécu.

Surtout, s’émerveille Conway, « l’Etat-nation belge resta en place, sans le moindre changement. Il n’y eut pas de révision de la Constitution de 1831 ; Bruxelles ne céda pas une once de pouvoir aux régions, émergentes, de Flandre et de Wallonie ». Et, concrètement, « la Belgique put prendre sa place pleine et entière, d’ailleurs de plus en plus centrale, dans le nouvel ordre ouest-européen ». Au fil de son volumineux ouvrage, l’éminent historien britannique, se basant sur des archives inédites, tente d’expliquer le pourquoi de cette résurrection belge.

Mais il rappelle que le miracle fut de courte durée : «  »Dès les années 1960, il devint clair que la Belgique ne  »fonctionnait » plus, en tant que communauté politique, de la même façon qu’elle l’avait fait durant le siècle passé. Le fossé qui se creusait de plus en plus entre de larges pans de la population et les principaux partis, le système politique dont ils étaient l’expression, (…) ainsi que l’émergence de mouvements flamands et wallons étaient autant de symptômes d’une crise politique devenue, à la fin des années 1960, une réalité incontournable. »

Ce fut alors l’avènement des grandes réformes de l’Etat, la première intervenant en 1970, la dernière en date se matérialisant aujourd’hui, tout en n’ayant pas encore révélé tous ses effets, même aux yeux de ceux qui en sont les instigateurs. Conway considère donc qu' »à la fin du vingtième siècle, la Belgique est devenue le symbole d’un Etat en situation d’échec, ou plus exactement de ce qui arrive lorsque les structures politiques et les liens moins tangibles de citoyenneté partagée s’effilochent au sein d’un Etat-nation européen. ».

La Belgique sera un formidable sujet d’étude pour les historiens du siècle prochain

L’heure de la liquidation du pays sonne-t-elle dès lors maintenant, septante ans après la fin de la Deuxième Guerre ? Pas encore, assure l’historien britannique : « Peut-être la Belgique a-t-elle, en effet, cessé de fonctionner effectivement en tant que communauté politique ; mais aucune des diverses solutions  »post-Belgique » n’a su gagner l’appui massif de la population. »

L’enquête de l’Université catholique de Leuven (KUL), réalisée en Flandre entre le 2 octobre 2014 et le 16 mars 2015, ne révèle pas autre chose. Publiée ce 28 avril, elle démontre même un regain d’intérêt des citoyens flamands pour l’autorité fédérale ou à tout le moins une satisfaction face au système actuel : seulement 36,4 % d’entre eux souhaitent un renforcement de l’autonomie des Régions et des Communautés, alors qu’ils étaient 46,9 % en 2007 et 49,8 % en 2003. De la même façon, plus de la moitié des électeurs interrogés (56,7 %) déclarent s’identifier d’abord comme Belges, avant d’être Flamands (27,7 %).

Cela, avec un gouvernement fédéral ultra dominé par les partis du Nord. Et au sein duquel la formation la plus importante aspire toujours ouvertement à l’évaporation de la Belgique. L’époque actuelle, avec cet exécutif inédit et cette évolution institutionnelle cruciale, sera donc un formidable sujet d’étude pour les historiens du siècle prochain. Ils y décrypteront probablement comment « cet impossible pays » a donné naissance, près de deux cents ans après sa création, non pas aux « post-Belges » mais à ce qui ressemble bel et bien à une sorte de « néo-Belges ». Sans qu’on sache jusqu’ici s’il faut ou non s’en réjouir.

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