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« L’illusion d’une justice parfaite est dangereuse »

Muriel Lefevre

Le long et coûteux procès d’Orlando Leblond relance la polémique sur l’utilité réelle d’une cour d’assises. Jan Nolf, juge de paix à la retraite, plaide pour une réforme à la française, avec, notamment, un jury moins nombreux.

Orlando Leblond vient d’être reconnu coupable de meurtre, tentative de meurtre, prise d’otage et d’une quinzaine de vols avec violence. Au bout d’un procès inhabituellement long de près de 5 semaines et couteux, la cour d’assises du Hainaut le condamne à 20 ans de réclusion. Malgré les 22 jours d’audience, il n’est pourtant pas exclu de devoir recommencer le procès à zéro puisque certaines parties civiles envisagent de se pourvoir en cassation. L’occasion de s’interroger sur l’utilité d’une cour d’assises en posant trois questions à Jan Nolf, juge de paix à la retraite, justicewatcher et éditorialiste.

Dans le procès d’Orlando Leblond, on reproche le nombre de questions posées au jury et leur technicité. Du coup, dans une justice qui se professionnalise de plus en plus, un jury populaire qui ne possède que peu ou pas de notions de droit a-t-il encore sa place ?

Jan Nolf: Il ne faut pas confondre le nombre des questions et leur soi-disant technicité. Répondre à des questions d’assises relève plus d’une certaine logique que de droit et quoiqu’il arrive les deux vont de pair. Ceci dit, on a certainement noyé le poisson dans cette affaire, mais il arrive souvent que malheureusement des professionnels se trompent et en assises le président a quand même aussi une tâche de pédagogie. Personnellement, j’ai déjà -après le procès de Kim De Gelder – plaidé pour des cours qui offriraient aux jurés une sorte d’introduction dans la matière. J’ai alors mentionné des cours d’argumentation et de logique. Investir dans quelques jours de formation se justifierait tout à fait par rapport à l’importance d’un tel procès et ses coûts.

On dit que la cour d’assises coûte trop cher. Mais est-ce qu’une justice qui rationalise ses coûts reste une véritable justice ?

Si le système des assises perd sa crédibilité suite à des erreurs répétées, cela serait tout aussi grave pour la justice et donc pour la démocratie. D’autres pistes sont cependant possibles. Je plaide pour une réforme à la française, avec un jury moins nombreux (6 personnes), ce qui réduit les coûts et a tendance à clarifier les discussions au sein du jury. Cela permettrait également d’instaurer un droit d’appel, avec un jury moins nombreux (9 personnes). Ce droit d’appel (exercé en France pour moins d’une affaire sur quatre) éviterait des procédures répétées en Cassation. Des procédures qui font systématiquement redémarrer un procès à zéro, ce qui est bien plus coûteux. Il est donc possible de réconcilier efficacité et justice en assises.

La suppression de la cour d’assises, et donc de son jury populaire, n’est-ce pas contraire à la démocratie ?

Pas nécessairement, mais je me méfie d’une justice purement professionnelle. Ce sont d’ailleurs surtout les professionnels qui plaident pour l’abolition du jury, c’est assez important à signaler. Une autocritique serait pourtant plus judicieuse, car cela reviendrait à accepter que la justice reste humaine et donc faillible. L’illusion d’une justice parfaite me semble dangereuse : l’homme providentiel n’existe pas en politique et pas plus dans le domaine de la justice. En assises, on traite les crimes les plus graves et donc de facto rarissimes. Le jury apporte souvent un regard frais dans ces affaires exceptionnelles. Il serait utile de refaire « le procès des assises » sous un angle plus positif. En effet, il n’est pas rare qu’un procès connaisse des rebondissements. C’est cette imprévisibilité qui a souvent contribué à découvrir la vérité en assises. Et cela n’est pas du luxe.

Jan Nolf est aussi auteur du blog juridique JustWatch.be

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