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L’Europe souhaite-t-elle le vaccin Spoutnik V ? « La diplomatie vaccinale russe ne fonctionne pas du tout »

Han Renard

Spoutnik V est peut-être un bon vaccin, déclare Rob de Wijk, professeur en relations internationales à l’Université néerlandaise de Leiden, mais en tant qu’outil pour accroître le soft power russe en Europe, c’est un coup dans l’eau.  » Le pouvoir de Bruxelles est énorme, bien plus grand que ce que beaucoup de gens pensent. « 

Dès le mois d’août 2020, la Russie a mis sur le marché le premier vaccin contre le coronavirus. Le vaccin a d’abord suscité une grande méfiance en raison de l’insuffisance des données, de la rapidité de son approbation et de l’arrogance des Russes. Toutefois, depuis la publication des résultats des tests dans la revue professionnelle The Lancet, Spoutnik V est considéré comme un vaccin très efficace, offrant une protection de plus de 90 % contre le covid-19.

En attendant, le vaccin russe Spoutnik V est utilisé dans 59 pays, mais il ne serait un véritable succès que s’il prenait également pied en Europe.

Début mars, l’Institut Gamaleya, le fabricant de Spoutnik V, a soumis un dossier d’approbation à l’Agence européenne des médicaments EMA. La procédure prendra deux mois. Si une approbation suit, l’Union européenne sera confrontée à un dilemme difficile. La Commission va-t-elle entamer des négociations pour un achat collectif auprès d’un pays qui fait tout pour semer la division au sein de l’Union européenne? Les responsables de Bruxelles semblent le penser, car notamment l’Allemagne tient à ne pas se mettre à dos les Russes dans cette affaire.

En dehors de la procédure d’approbation européenne, le Premier ministre hongrois Viktor Orban a déjà commandé 2 millions de doses de Spoutnik V, dont 550 000 ont déjà été livrées et injectées. La Slovaquie a également acheté des vaccins russes, et l’Autriche négocie la livraison d’un million de doses. Ces deux derniers États membres de l’UE ont promis d’attendre que l’EMA leur donne le feu vert pour les administrer.

Spoutnik V, le seul vaccin Covid qui a son propre compte Twitter, a malicieusement tweeté la semaine dernière que les pays européens qui composent leur propre portefeuille de vaccins vaccinent plus rapidement. Et il est vrai que la Hongrie est actuellement en tête de l’UE: plus de 20 % de la population a déjà reçu au moins une dose de vaccin contre le coronavirus.

Bons Baisers de Russie

Avant le sommet européen du 25 mars, la Russie a offert à l’UE 50 millions de vaccins à condition que la moitié d’entre eux puissent être produits sur le territoire européen. La chancelière allemande Angela Merkel a déclaré à plusieurs reprises que l’Allemagne souhaiterait certainement utiliser Spoutnik V s’il était approuvé par l’EMA, en partant du principe qu’au pays des vaccins, plus on est de fous, plus on rit. Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, en revanche, s’est montré très froid à l’égard de Spoutnik V, qu’il décrit comme « un outil de propagande plutôt qu’un instrument de solidarité dans une crise sanitaire ».

« C’est le cas », déclare le professeur émérite de relations internationales Rob de Wijk (Université de Leiden). « Pensez aussi à ce que les Russes ont tenté de faire l’année dernière lorsqu’ils ont envoyé en Italie de grandes caisses de fournitures médicales, étiquetées From Russia with Love (Bons Baisers de Russie). Dans un pays comme l’Italie, qui est déjà assez eurosceptique, on peut tenter de semer des graines de division. En ce moment, les vaccins sont le sujet brûlant en Europe, et les Russes essaient à nouveau. Regardez ce que nous avons à offrir ! Nous pouvons livrer ce que votre propre gouvernement ou l’Europe ne peuvent pas vous livrer. »

Car selon Rob De Wijk, c’est bien de cela qu’il s’agit, dans la diplomatie dite « vaccinale » pratiquée par la Russie et la Chine en Europe et dans le reste du monde : « Il s’agit d’accroître votre soft power, la ‘caressabilité’ et la réputation de votre pays. Et le but de cette démarche, dans le cas de la Russie en Europe, est dans une large mesure de semer la discorde. Une UE divisée et, par extension, une OTAN divisée, estiment les Russes, seront moins susceptibles de prendre de mauvaises décisions pour la Russie ».

On pourrait se demander à quel point ces tentatives de la Russie pour semer la discorde en Europe sont fructueuses. De Wijk est tout à fait catégorique à ce sujet. Malgré les prouesses de relations publiques ou les promesses de production en Europe qui accompagnent les livraisons de Spoutnik V, affirme-t-il, la diplomatie vaccinale russe ne fonctionne pas du tout.

Bien sûr, il y a toujours des politiciens qui sont prêts à accepter cela, mais en fin de compte, quelqu’un comme Orban sait aussi qui le nourrit, et c’est Bruxelles, pas le président russe Vladimir Poutine ou le président chinois Xi Jinping. En outre, les Russes n’ont même pas assez de vaccins pour leur propre population. Cependant, ils font maintenant étalage de ce vaccin à l’étranger aux dépens de leur propre peuple, dans un but de gain politique. Eh bien, ce comportement opportuniste n’échappe à personne. Il en va de même pour Xi Jinping, qui a également tenté d’utiliser la crise du coronavirus pour gagner beaucoup plus d’influence en Europe, notamment en essayant de mettre la main sur des usines de vaccins bon marché ».

Cependant, selon De Wijk, les efforts déployés par les Russes et les Chinois pour gagner de l’influence en Europe par le biais de la diplomatie vaccinale « tombent à plat, en raison de tous les tours qu’ils jouent, des violations des droits de l’homme et de la quantité de désinformation qui nous parvient ».

Un mur de défense

La thèse centrale du livre de Rob de Wijk, c’est que « Poutine, Xi, mais aussi le Premier ministre britannique Boris Johnson » se brisent, non pas sur une résistance réussie de certains pays européens, mais sur le mur défensif « communautaire » extrêmement solide que l’Union européenne a érigé avec la Commission à Bruxelles : « Les Chinois ou les Britanniques tentent de semer la discorde pour arracher des accords commerciaux, et ils n’y parviennent pas. Regardez l’accord d’investissement avec la Chine, que le Parlement européen menace maintenant de remettre en question. Le pouvoir de Bruxelles est gigantesque, bien plus grand que ce que beaucoup de gens pensent. »

Le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, a également déclaré que l’Europe n’a absolument pas besoin des vaccins russes. Breton souhaite principalement augmenter la capacité de production des vaccins déjà approuvés et ne s’attend pas à ce que les doses de Spoutnik V se retrouvent dans les bras européens avant 2022 par une procédure européenne commune. Rien n’empêche toutefois la Russie de signer des accords de production avec certaines entreprises européennes, comme la société suisse Adienne Pharma & Biotech, qui prévoit de commencer à produire le vaccin Spoutnik V en Italie d’ici l’été.

Selon les données recueillies par le journal économique Financial Times, à peine 20 millions de vaccins Spoutnik V ont été produits depuis le début du mois d’août, soit autant que Pfizer et Moderna en une semaine. Ainsi, bien que les Russes aient été les premiers à lancer un vaccin, ils n’ont pas réussi à en faire un succès mondial produit en masse. Bien que le vaccin ne soit pas très cher, il est encore vendu en Afrique à 10 euros la dose, soit trois fois plus qu’un vaccin AstraZeneca. Si les Russes parvenaient à avoir une capacité de production à la hauteur, disent de nombreux observateurs, Spoutnik V serait à la fois un triomphe et une bénédiction pour le monde.

L’Allemagne va discuter avec la Russie de l’achat de Spoutnik

L’Allemagne a annoncé jeudi vouloir discuter avec Moscou de possibles livraisons de Spoutnik V, sans attendre le feu vert de l’UE et alors que le de vaccin russe anti-Covid continue de susciter la controverse.

« J’ai expliqué au nom de l’Allemagne au Conseil des ministres de la Santé de l’UE, que nous discuterions de manière bilatérale avec la Russie, tout d’abord pour savoir quand et quelles quantités pourraient être livrées », a indiqué le ministre de la Santé Jens Spahn sur la radio régionale publique WDR.

Il a justifié sa décision par le refus de la Commission européenne, signifié selon lui mercredi soir aux Etats, de négocier au nom des Vingt-Sept l’achat du sérum Spoutnik V, contrairement à ce qu’elle a fait avec d’autres vaccins contre le Covid-19.

– ‘Propagande’ –

La question de l’utilisation du Spoutnik est controversée en Europe. Le ministre français des Affaires étrangères a ainsi reproché récemment à la Russie d’en faire un outil de « propagande » dans le monde.

Et le commissaire européen Thierry Breton, le « Monsieur vaccin » de l’Union européenne, s’est montré très réservé sur l’utilité pour l’UE d’un point de vue industriel de recourir aux vaccins chinois ou russe. « Vont-ils nous aider à atteindre notre objectif d’immunité (de la population) à l’été 2021? Je crains que la réponse soit non », a-t-il jugé.

Selon Berlin, toute livraison de Spoutnik reste toutefois conditionnée à un feu vert de l’Agence européenne du médicament (EMA).

« Pour cela, la Russie doit fournir des données comme tous les autres (laboratoires) et tant que ces données ne sont pas fournies (…) il ne peut pas y avoir d’autorisation », a dit M. Spahn.

« Les livraisons (russes, ndlr) devraient intervenir dans les deux à quatre, cinq prochains mois pour vraiment faire une différence avec notre situation actuelle » en terme de nombre d’injections, a précisé le ministre, critiqué pour les lenteurs de la campagne de vaccination dans son pays.

« Sinon nous aurons d’une manière ou d’une autre des quantités de vaccin plus que suffisantes », selon lui.

« Toute société voulant entamer la production d’un nouveau vaccin a besoin d’au moins 10 mois (…) C’est pourquoi nous devons nous concentrer sur les efforts de production industrielle européenne pour les vaccins qui sont déjà autorisés ou sur le point de l’être », a aussi insisté Thierry Breton.

Faute de pouvoir en produire suffisamment et souhaitant dédier en priorité sa production à la population russe, Moscou n’a expédié jusqu’à présent que des quantités réduites de son vaccin à l’étranger.

Depuis la première vaccination au lendemain de Noël, trois sérums sont actuellement injectés en Allemagne : ceux de Pfizer/BioNTech, Astrazeneca, sous conditions, et Moderna. Un quatrième celui de Johnson & Johnson doit dans les semaines à venir être distribué dans toute l’Union européenne.

– Pré-commandes –

En Allemagne la pression en faveur du vaccin russe monte. La Bavière, plus grande région du pays, a déjà annoncé mercredi avoir négocié un « contrat préliminaire » en vue de recevoir 2,5 millions de doses du vaccin russe sous réserve du feu vert européen.

Certaines doses devraient être produites à Illertissen, une commune de Bavière, par R-Pharm Germany, filiale du groupe russe de fabrication de médicaments R-Pharm.

Les discussions ont notamment été menées avec le Fonds souverain russe (RDIF) qui a financé le développement du vaccin.

Le Mecklembourg-Poméranie, région du nord-est peu peuplée, lui a emboîté le pas jeudi en pré-commandant un million de doses à la Russie.

« Nous sommes actuellement encore dans la situation où il y a une grande dépendance vis-à-vis d’un nombre trop faible de fabricants » de vaccin, a souligné le ministre régional de la Santé, Harry Glawe, cité par l’agence dpa.

L’EMA n’a pas fixé d’échéance concernant sa décision sur le Spoutnik alors que pour les autres laboratoires ayant jusqu’ici soumis leur vaccin contre le Covid à une approbation, l’EMA avait examiné les données fournies durant 2 à 4 mois. (AFP)

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