© ANTHONY DEHEZ

L’erreur est de céder à l’impatience, portrait de l’écrivain Bart Van Loo

Amor fati, embrasse ton destin: un précepte pour l’écrivain à succès Bart Van Loo. Même si, il est le premier à le dire, il faut parfois savoir le prendre en main, ce destin. Retour sur un drôle de parcours, construit hors des lignes et pas à pas.

Bart Van Loo est un bekende vlaming, soit un Flamand très connu au nord du pays et aux Pays-Bas, sauf que lui, c’est en tant que « francophile de service » qu’il y a fait son trou. Dit comme ça, on pourrait penser que c’était une stratégie. Que nenni! C’est par amour de la France et de sa culture que le natif d’Herentals (province d’ Anvers) a fini par y consacrer sa vie. Ce dimanche matin, dans la librairie bruxelloise Filigranes, il s’apprête à répondre à quelques questions par vidéo, pour le site. Mais pour l’heure, c’est dans une salle de réunion que nous le retrouvons, masqué et à bonne distance. Sur la table, un pavé, son tout dernier: Les Téméraires. Quand la Bourgogne défiait l’Europe (1). Un raz-de-marée littéraire qui, depuis sa parution en octobre dernier, s’approche déjà des 230 000 exemplaires vendus. Publié initialement en néerlandais il y a deux ans, Flammarion en a depuis acquis les droits pour la France. Un « petit Flamand » qui raconte les exploits de la Bourgogne à des Français? Oui, c’est dingue!

Sa plus grosse claque: « Je rêvais d’enseigner à l’université mais ça n’a pas marché. Même si le chemin a été long et difficile, aujourd’hui, je sais que cet « échec » fut ma plus grande chance. Oui, quelle chance d’avoir subi tous ces vents contraires! »

Chez les Van Loo, famille modeste, on ne parlait pas français et on ne lisait pas vraiment. Balzac, Maupassant? Connaît pas. Pour expliquer à quoi tient son destin, Bart en appelle à Jacques Brel qui déclarait que le présent n’est jamais que le fruit de notre passé et que l’essence de ce que nous sommes réellement est à puiser dans ce que nous fûmes avant nos 18 ans. « C’est là que tout se joue, après on ne fait que revenir, de manière consciente ou non, à l’adolescence ; des souvenirs oubliés qui, subitement, rejaillissent comme un diable de sa boîte. » Lui, c’est en collectionnant les coupons Artis Historia qu’il découvre, enfant, via la collection bilingue ‘S Lands Glorie, l’existence de Charles Le Téméraire, mort dans la neige et dévoré par les loups en 1477 à Nancy. Un mythe qui a de quoi fasciner un gosse mais, et il l’ignore encore, fait aussi germer en lui la question de ses propres origines, question qui restera en suspens pendant trente ans.

Objectif prof d’unif

En attendant Bart a 14 ans et se distingue déjà par son originalité. Depuis deux ans, en effet, il collectionne les faire-part funéraires. Une drôle de passion qui l’amène à s’interroger plus prosaïquement sur son ascendance. C’est ainsi que l’ado se met à écrire son premier livre ; il interviewe sa famille et complète les souvenirs de chacun en farfouillant dans les archives communales. A l’arrivée, six exemplaires tapés sur une vieille machine à écrire et un titre grandiloquent, L’Histoire des Van Loo et de beaucoup d’autres. Footeux, un peu nerd, il poursuit néanmoins sa scolarité en filière maths fortes, la voie royale pour devenir ingénieur. Et puis, paf, un prof de français le fait dérailler de ce chemin tout tracé en partageant avec lui son amour de l’Hexagone. C’est ainsi que Bart se met à rêver de la France comme d’autres rêvent de l’Amérique. Non, Bart ne sera pas ingénieur, il court-circuite sa vie, direction l’université et la philologie romane, objectif prof de fac.

Son mantra: « C’est une vérité admise depuis bien longtemps chez les hommes, qu’on ne peut savoir pour aucun mortel avant qu’il ne soit mort si la vie lui fut douce ou cruelle. » (Sophocle)

En sautant directement de ce moment-là à aujourd’hui, d’aucuns pourraient penser « ouais, success story ». Sauf que non. Avant de squatter le top des meilleures ventes, Bart n’a pas honte de le dire, il aura bien ramé: « Mais ça aussi, ça a eu du sens! » Première baffe? Impossible de trouver une place à la fac, le jeune prof atterrit donc dans l’enseignement technique secondaire où, soyons clairs, les jeunes n’en ont absolument rien à faire de lui, encore moins du français. Une expérience en mode combat, non seulement parce que le futur écrivain refuse de devenir « un intellectuel frustré » mais surtout parce qu’il a une devise: Amor fati, à savoir « embrasse ton destin ». Il se démène alors pour captiver l’attention de ses élèves, passe par la chanson française pour enseigner la grammaire et raconte la culture et l’histoire de France de façon théâtrale.

Pour se ressourcer, Bart passe ses soirées à pondre des critiques littéraires pour les journaux ou à donner de petites conférences dans des clubs de loisirs. Pendant les vacances, il arpente l’Hexagone dans les pas de ses auteurs préférés. De ces voyages naîtra en 2006 son premier vrai livre Parijs retour: literaire reisgids voor Frankrijk. Sauf que le jour de la parution, Bart n’est pas à la fête, il est en burn-out, comme explosé en plein vol. Ajoutez à cela la fin douloureuse d’une romance et le voilà cloué pendant dix mois à son canapé, le plexus solaire écrabouillé. « Que ce soit en amour, en famille ou en amitié, on sous-estime l’importance d’être entouré de personnes positives et bienveillantes. Les relations « très intéressantes mais… », un seul conseil: tire-toi! La vie est trop courte et il faut vivre du mieux qu’on peut« , détaille-t-il en s’emparant d’une bouteille d’eau.

L'erreur est de céder à l'impatience, portrait de l'écrivain Bart Van Loo
© ANTHONY DEHEZ

Inévitablement, après dix mois d’absence, l’école finit par le mettre dos au mur ; à la rentrée, il faudra revenir. « C’est là que je prends la décision la plus courageuse de ma vie en refusant d’y retourner. Amor fati, c’est bien, mais jusqu’à un certain point, s’il faut embrasser son destin, il faut aussi être capable de s’y opposer. Et là, je me dis « OK, je vais essayer de vivre de ma plume et de ma voix ». J’ai 32 ans, pas de femme, pas d’enfants, je n’ai rien à perdre à poursuivre ma passion pour la France, même si je reconnais que ce n’était pas le meilleur business plan pour un Flamand! »

Pendant cinq ans, celui qui n’a encore rien du bekende vlaming vivote et vit ric-rac. Ses parents le sponsorisent avec les légumes du jardin et, lors de ses conférences, on lui glisse des enveloppes dont il planque les billets dans ses livres « ceux de 50 euros dans Balzac, de 100, Tolstoï et de 20, Simenon », confie-t-il avec nostalgie. Surtout, il publie en 2008 un second ouvrage, dédié à la gastronomie française, suivi d’un troisième sur l’érotisme. A 37 ans, Bart a ainsi déjà consacré plus de mille pages à la culture d’outre-Quiévrain. Un an plus tard, il sort un nouveau livre, axé cette fois sur la chanson française, celle-là même dont il abreuvait jadis ses élèves. Pour ce faire, il ira jusqu’à interviewer Charles Aznavour dans sa maison du sud de la France. Chapeau bas.

Son plus gros risque: « Après avoir enseigné le français dans une école technique pendant huit ans et m’ être battu pour l’insertion de mes élèves, je fais un burnout qui me cloue dix mois chez moi. C’est là que je choisis de ne pas retourner enseigner mais de vivre de ma plume et de ma voix. »

Les rillettes et le mariage

A force de creuser son sillon, à force de labourer la culture française, Van Loo commence peu à peu à intéresser les médias. Un arbre planté sous Marie-Antoinette meurt à Versailles et, directement, la télé ou la radio flamande l’appelle « pour vous en parler ». Tout doucement, il commence à basculer vers l’histoire, celle qui le faisait déjà s’interroger, tout gamin, sur ses origines. Mais revenons à cet été 2008 où l’écrivain niche en résidence d’artiste à Lille pour achever son livre sur l’érotisme. En échange du gîte et du couvert, il s’est engagé se rendre dans des classes et à y rencontrer des élèves pour leur parler de son métier. La coordinatrice de l’action culturelle s’appelle Coraline, elle n’est pas seulement Française, elle est avant tout Bourguignonne.

Le dernier soir de son séjour, « toujours rien », résume-t-il pour planter le décor. Mais depuis son précédent livre, Bart s’est pris d’une passion pour les rillettes, les mêmes dont Félix de Vandenesse, personnage central de Balzac, se gavait dans Le Lys dans la vallée. Un plaisir gourmand qui le pousse à se relever la nuit pour chaparder le pot entraperçu dans le frigo de la résidence. Là, il croise par hasard Coraline qui lui propose d’aller boire un verre. Pour la séduire, il la met au défi de citer plus de chansons de Jacques Brel que lui, Coraline gagne, Bart est amoureux. Le jour des noces, le couple, qui vit depuis lors en Bourgogne, avait placé un gros pot de rillettes sur toutes les tables, « Sans elles, finalement, il n’y aurait jamais eu de mariage », conclut notre homme, toujours fasciné par cette coïncidence.

Vient ensuite le temps du succès. Les livres marchent du tonnerre, les médias flamands et néerlandais réalisent en outre que Bart est un showman, – huit ans dans l’enseignement technique, « forcément, ça aide! » Les conférences se succèdent et certaines se transforment carrément en spectacle, façon stand-up. Le Belge s’attaque également à Napoléon et à la Révolution française, avant d’enchaîner, enfin, sur la Bourgogne, ce drôle de duché qui pèsera tellement sur le destin de nos contrées, et plus largement de l’Europe.

A 47 ans, ce dont notre compatriote se dit le plus fier, ce n’est pas cette consécration par Flammarion mais d’avoir eu le courage de changer de trajectoire.Les difficultés, les claques et la période de vaches maigres, « tout a fait sens » dans l’ordonnancement de ses passions d’adolescent. « La grande leçon que j’en tire, c’est que je suis un laatbloeier, un homme à « maturation lente », et c’est tellement plus enrichissant que de connaître le succès à 22 ans. L’ erreur est de céder à l’impatience, de chercher à récolter immédiatement le fruit de son travail ; moi, j’ai construit ma vie pas à pas, tout n’a jamais été qu’un long cheminement. Mais je me suis entêté, j’y ai cru et un jour, tout a basculé. » Nous quittons Bart Van Loo avec l’impression qu’il a tout donné. Mais c’est mal le connaître. Il en a encore sous la pédale et, si la Covid l’empêche de capter l’attention des lecteurs en live, il se lance – plus remonté qu’un coucou – dans un grand show vidéo.

(1) Les Téméraires. Quand la Bourgogne défiait l’Europe, par Bart Van Loo, traduit du néerlandais par Daniel Cunin et Isabelle Rosselin, Flammarion, 688 p.

Ses 5 dates clés

  • 1987 : « A 14 ans, je m’attaque à l’arbre généalogique de ma famille et j’écris mon premier livre. »
  • 1995 : « Diplômé en philologie romane, j’aspire à devenir prof à l’université mais j’atterris dans une école technique. »
  • 2006 : « J’entame ce qui deviendra ma trilogie dédiée à la culture française. »
  • 2016 : « Je m’attaque enfin aux ducs de Bourgogne, le rêve de ma vie. Trois ans de recherches et d’écriture. »
  • 2019 : « Les Bourguignons sont publiés en néerlandais, Flammarion m’appelle et m’annonce avoir acheté les droits. Ce jour reste l’un des plus beaux de mon existence. »

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