Le cheval, symbole de pouvoir et de prestige militaire, est devenu le meilleur ami de la femme et de la jeune fille. © Dave and Les Jacobs/LLoyd Dobbie/Getty Images

L’équitation est le premier sport féminin en Belgique francophone

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Autrefois sport d’hommes, de militaires même, l’équitation est devenue un dada féminin. Quatrième sport le plus populaire en Belgique francophone et premier sport chez les filles, il attire en majorité des juniors. Que s’est-il passé ?

Vu de loin, il est resté pareil : quatre jambes fines, une encolure soulignée de crins… Il y a trois mille ans, il entamait avec l’homme la grande histoire que l’on sait. Elle s’accélère aujourd’hui. Pourtant, l’animal aurait dû bel et bien disparaître avec la motorisation définitive de l’agriculture et des transports, civils comme militaires. De la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale, il fut progressivement évincé du paysage. Pour le plus grand bonheur de l’homme moderne, s’imaginèrent certains :  » Nous voici au seuil d’un siècle qui verra l’homme se séparer du cheval « , se félicite alors Pierre Giffard, grand reporter, précurseur du journalisme moderne et pionnier de la presse sportive, dans un texte incendiaire contre cet animal  » bête « ,  » dangereux « ,  » incompréhensible « .

Un classique depuis cinquante ans,
Un classique depuis cinquante ans, « Mon amie Flicka » ; les aventures d’une adolescente qui rencontre une jument avec laquelle elle noue un lien unique. Reporters / Capital Pictures© Reporters / Capital Pictures

Bon débarras, donc. C’était sans compter l’émergence du sport et des loisirs, puis de la  » sensibilité animale « , qui le voit amorcer début des années 1990 sa troisième grande révolution : l’ère de l’amitié, du  » cheval de compagnie « , juste derrière le chien et le chat.  » Au moment où le cheval ne « sert » plus à rien, il connaît paradoxalement un engouement et un statut culturel sans précédent « , écrit aujourd’hui Jean-Pierre Digard, anthropologue et auteur d’une Histoire du cheval (Actes Sud). Actuellement, la Wallonie compte 165 000 équidés, la plus forte densité équine au monde. Un nouveau type de propriétaires y fait florès, qui prennent plaisir à avoir un cheval chez eux. On voit gambader dans les champs, et parfois sur un bout de terrain, des chevaux de  » compagnie « , à qui on ne demande rien d’autre que d’être des chevaux.

Parallèlement, ces dix dernières années, les associations équestres ont vu le nombre de cavaliers augmenter de plus de 50 %. La Ligue Wallonie-Bruxelles est devenue la quatrième fédération sportive en Belgique francophone, après celles de tennis, de football et de basket. Les cartes de cavaliers – délivrées par la Ligue – confirment le boom : 19 000 en 2000 ; 36 500 en 2016. Quant à la masse de pratiquants estimés – c’est-à-dire non licenciés -, elle s’élève à environ 75 000. Partout dans le monde, les chiffres sont similaires.  » Les jeunes et les moins jeunes viennent à l’équitation pour le cheval lui-même et les images qu’il véhicule : la liberté, la nature, l’élégance… « , souligne Nicole de Jamblinne, cavalière et rédactrice en chef du mensuel Hipponews.  » On ne tombe pas amoureux de sa raquette de tennis ou de son ballon comme de son cheval.  »

A l'origine de la féminisation de l'équitation, il y a le développement de l'école du poney et d'une nouvelle pédagogie d'apprentissage.
A l’origine de la féminisation de l’équitation, il y a le développement de l’école du poney et d’une nouvelle pédagogie d’apprentissage. © Getty Images

C’est à l’arrivée récente des femmes que l’on doit cette croissance phénoménale. Longtemps, l’équitation leur est demeurée inaccessible, rappelle la sociologue Catherine Tourre-Malen.  » La monte classique était considérée comme impropre aux femmes, en raison de sa géométrie suggestive. En réponse à la métaphore sexuelle, l’homme a inventé la monte en amazone, avec les deux jambes du même côté de la selle.  » Cette entrave technique, sociale et culturelle a empêché  » un accès égalitaire au cheval, à ce qui a incarné, pendant des siècles, la liberté et le déplacement, le pouvoir et la domination « .

Noeuds-noeuds

Un garçon qui veut faire du cheval est aujourd’hui regardé comme autrefois lorsqu’il voulait faire de la danse classique

Trente ans ont suffi au sexe féminin pour prendre sa revanche sur trois mille ans d’équitation exclusivement masculine. Les chevaux des automobiles fascinent bientôt davantage les hommes. Leur désintérêt pour leur ancienne conquête laisse la voie ouverte aux femmes qui s’y engouffrent par un biais détourné : le shetland, dont la taille n’excède pas 1 mètre. Ce minicheval rustique fut à l’origine du développement de l’école du poney et, partant, de la massification des sports équestres : depuis la fin des années 1980, les poneys clubs ont poussé comme des champignons, permettant aux enfants de se mettre en selle dès l’âge de 5 ans. Ainsi est née aussi une nouvelle pédagogie équestre qui rompt avec les rituels d’enseignement militaire au profit de l' » apprentissage par le jeu « . Finies les fesses rouges à force d’essuyer le cuir d’une selle, oubliés les points de côté à force de trotter sans étriers, place au plaisir, à l’équitation ludique. Conclusion de cet apprentissage précoce : parmi les cavaliers d’aujourd’hui, plus de 90 % sont des cavalières. Prédominance constatée dès le plus jeune âge. Chez les moins de 16 ans, les adolescentes sont très largement majoritaires (près de 80 % !).  » L’équitation est devenue un sport de gonzesse !  » déclarait l’anthropologue Jean-Pierre Digard, lors d’un débat intitulé  » Le cheval, animal de droite ou de gauche ? « , organisé dans le cadre d’un salon du cheval.  » Un garçon qui veut faire du cheval est aujourd’hui regardé comme autrefois lorsqu’il voulait faire de la danse classique.  »

Pourquoi cette ferveur féminine ? Parce que l’équitation telle qu’elle est désormais pratiquée, notamment dans les petits clubs, serait, en réalité, une  » éducation à la compassion « , à  » la sollicitude « , qui contribuerait au  » renforcement des stéréotypes sexués « , assure Catherine Tourre-Malen. Aux petites filles, on apprend à soigner le poney puis le cheval, à faire des petits noeuds-noeuds dans la crinière ou à préparer la selle, sur un mode affectif, tandis qu’aux garçons, de plus en plus rares, on enseigne, à part, les jeux à cheval.

Un constat qui se prolonge jusque dans le matériel. Hier le marron, le noir, le vert et le bleu marine dominaient les clubs et les parcours. Désormais, les jeunes filles cherchent à s’approprier leur monture et arrivent avec leur tapis de selle sous le bras, leur boîte de pansage, assortis à leur culotte de cheval et à leur blouson. Il n’y a guère que les bottes qui font encore de la résistance. Même les bombes sont recouvertes de daim ou de lignes de brillants ! Le cheval en voit, lui aussi, de toutes les couleurs, depuis son tapis de selle jusqu’aux strass sur le frontal de son filet (la lanière de cuir entre les oreilles), en passant par l’amortisseur en mouton véritable teint en rose ou en mauve, les protège-boulets en bleu, rose ou vert fluo ou les cloches rose fuchsia. Les équipementiers se frottent les mains, d’autant que les parents sont plus enclins à dépenser, tout heureux de trouver dans la passion saine de leur gamine un dérivatif à l’attraction des tablettes et smartphones.

La mainmise féminine se reflète sur les résultats en compétition. Ici, Charlotte Dujardin, championne du dressage.
La mainmise féminine se reflète sur les résultats en compétition. Ici, Charlotte Dujardin, championne du dressage.© ISOPIX

La mainmise féminine a mis quelques années à se refléter sur les résultats en compétition. Seule discipline mixte présente aux Jeux olympiques, les femmes partagent désormais les podiums avec leurs collègues masculins dans les épreuves de dressage et de complet (dressage, saut et cross). Le saut d’obstacle résiste encore.  » Mais le contexte est globalement plus favorable, explique Eugène Mathy, président de la Ligue équestre Wallonie-Bruxelles et du Jumping de Liège. Aujourd’hui, il est plus facile de concilier l’activité de cavalière professionnelle et la vie de famille.  » Autre évolution importante, l’allégement des montures de compétition, qui demande moins de force pour la monte.

Un nouveau type de cavalier

Cette féminisation massive contribue à modifier également le profil type du cavalier. Les aînées – celles qui ont profité de l’essor des poneys clubs – sont de plus en plus nombreuses à apprécier l’équitation loisir, comme la randonnée et le tourisme équestre. L’équitation western est aussi en plein essor. Longtemps jugée folklorique, elle traîne derrière elle une image BCBG, en raison de son coût : la monte se pratique avec un cheval spécifique, le quarter horse (5 000 euros), un chapeau à larges bords, une selle western…

Chiffres

165 000 équidés en Wallonie.

700 établissements équestres.

36 500 membres dont plus de 90 % sont des filles.

12 disciplines

Surtout, le néocavalier se nourrit d’éthologie, en quête d’une autre équitation. Vingt ans après le succès du film L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, adapté du roman éponyme de Nicholas Evans, les  » nouveaux maîtres  » commencent à trouver leur place en Belgique. Leurs méthodes venues d’outre-Atlantique sont fondées sur l’observation du comportement animal dans son milieu naturel. En très résumé, il s’agit d’apprendre au cavalier le langage corporel du cheval pour lui permettre de mieux échanger avec lui.  » L’éthologie n’est plus autant moquée par les tenants de l’éducation classique, qui ont fini par lui reconnaître quelques vertus. Même à Gesves (NDLR : école provinciale qui forme à tous les métiers de la filière), on commence à initier les élèves « , se réjouit Nicole de Jamblinne. Seuls les plus âgés seraient peu enclins à se remettre en question.

Combien ça coûte ?

Les tarifs varient entre 15 et 20 euros l’heure de cours, monture comprise. Les leçons ne s’achètent pas à l’unité. La plupart des clubs proposent des carnets de dix leçons ou un forfait trimestriel. Il faut s’équiper d’une bombe (le prix démarre à 30 euros) et d’une paire de bottes (celles en caoutchouc suffisent).

Il est possible d’acquérir un cheval de loisir à partir de 1 000 euros, mais la fourchette oscille entre 2 000 et 5 000 euros, selon la race. Pour les épreuves de concours hippiques de niveau national, le prix grimpe jusqu’à 10 000 euros et plus. Phénomène qu’on retrouve pour l’achat d’un poney. Pour 500 euros, on peut déjà acquérir un shetland qui conviendra parfaitement à un enfant.

Il faut ensuite l’héberger. Le propriétaire peut louer un pré, avec abri, pour 150 à 250 euros par mois. Près des grandes villes, la plupart des chevaux sont hébergés en manège, où le montant de la pension mensuelle varie de 300 à 600 euros, selon les prestations et les infrastructures du centre. La demi-pension peut être un stade intermédiaire : le propriétaire paie la moitié des frais, qu’il partage avec un autre cavalier de même niveau utilisant sa monture. Autre possibilité : placer son cheval chez un éleveur ou dans une écurie privée. Il faut également prévoir l’équipement de départ pour le cheval (selle, tapis, couverture, filet, mors…), soit environ 1 500 euros, et le financement de frais annexes, comme le vétérinaire (un vaccin par an et un traitement vermifuge coûtent environ 200 euros) et le maréchal-ferrant (autour de 75 euros toutes les six semaines).

Au total, après la mise de départ, un cheval à soi revient, prix moyen et frais annexes, à 350 euros par mois s’il est au pré, à 550 euros avec la pension. La rentabilité est effective si l’on monte plus de dix heures par semaine. Improbable pour les pratiquants du week-end.

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