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L’éolien en 2020, l’utopique pari de la Wallonie ?

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Au moins 150 nouvelles éoliennes à implanter en Wallonie d’ici à 2020. Réaliste ? Même raboté, l’objectif du renouvelable sera difficile à atteindre. Le gouvernement wallon avance dans le flou complet. Explications.

Entre vouloir et pouvoir, il y a un monde de différence. La preuve avec l’éolien terrestre, au centre d’une guerre opposant les promoteurs et leurs détracteurs depuis une petite dizaine d’années. Il y a encore deux ans, la Wallonie comptait produire 3 800 gigawattheures (GWh) d’électricité en 2020 via cette filière. Objectif affiché : 20 % de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, soit 7 % de plus que ce que demande l’Europe. Aujourd’hui, le gouvernement wallon PS-CDH, débarrassé d’Ecolo, a reporté l’ambition initiale à 2030. En s’alignant tout juste à la barre des 13 %, la contribution de l’éolien en 2020 devra finalement atteindre 2 437 GWh.

Ça, c’est ce que le gouvernement veut. Pourra-t-il tenir son engagement ? « C’est un objectif tout à fait possible, assurait en novembre dernier le ministre de l’Aménagement du territoire, Carlo Di Antonio (CDH). Je pense même que nous le dépasserons si nous prenons un certain nombre de décisions pour relancer la dynamique du grand éolien. » Sous l’ère de son prédécesseur Ecolo, Philippe Henry, le nombre de nouveaux parcs éoliens avait fini par chuter de manière drastique. En cause : un forcing politique fatal autour de la cartographie proposée en 2013, braquant communes et riverains. « A l’époque, tous les autres partis ont surfé sur la vague, en laissant croire aux opposants qu’ils avaient raison, constate, amer, Philippe Henry. Le PS et le CDH ont bien été obligés de fonctionner autrement. »

Cadence soutenue pendant cinq ans

De fait, Carlo Di Antonio et Paul Furlan, le ministre de l’Energie (PS), semblent avoir tiré les leçons de ces années houleuses. L’octroi de permis se fait désormais au cas par cas, sans chercher à cartographier quoi que ce soit. La stratégie du profil bas semble porter ses fruits. Avec 29 nouvelles éoliennes, la puissance des parcs mis en service l’année dernière a atteint un niveau que la Wallonie n’avait plus connu depuis 2011. C’est toutefois loin d’être suffisant. Pour être dans les clous par rapport à l’horizon 2020, le sud du pays devra installer 89 mégawatts (MW) pendant cinq années consécutives. En d’autres mots, il faudra encore ajouter au minimum 150 grandes éoliennes de 3 MW au parc actuel, qui comptait 311 unités en janvier 2016. Le nombre exact de mâts à implanter dépendra de leur puissance.

C’est là que ça se complique. Pour assurer le suivi de la Conférence de Paris sur le climat (COP 21), qui s’est tenue fin 2015, le gouvernement wallon a décidé de faire le point sur l’effort en cours tous les trois mois. Mais sa stratégie pour atteindre l’objectif éolien de 2020 semble plus nébuleuse que jamais. A tous les niveaux.

D’abord, un constat sur la situation réelle du parc éolien. En novembre dernier, Carlo Di Antonio annonçait avec optimisme que 86 éoliennes étaient « en cours d’installation », libres de permis et qu’elles ne faisaient dès lors plus l’objet « d’aucune contestation ». Comme l’a confirmé son cabinet, ce nombre provient d’un tableau actualisé de l’Association pour la promotion des énergies renouvelables (Apere). Celui-ci répertorie les projets à l’étude, en recours, autorisés et en construction. Or, il apparaît que certains parcs recensés comme étant en cours d’installation il y a quelques années, et donc supposés « libres de permis », sont toujours en stand-by. Comme ces 13 éoliennes d’EDF Luminus à Thuin et Ham-sur-Heure, « en construction » en 2013, qui ont curieusement rétrogradé au rang des projets « en recours » dans la dernière version du tableau. Malgré la précision de l’inventaire de l’Apere, cet exemple démontre le faible crédit à accorder au nombre d’éoliennes que le gouvernement wallon considère comme acquises. Et rallonge, par la même occasion, le chemin qu’il reste à parcourir.

Un potentiel sans carte

Les zones d’ombre n’épargnent pas les mesures annoncées pour faciliter l’implantation des éoliennes, notamment le long des autoroutes et dans les zonings, où les permis sont encore délivrés sur dérogation. Cette réforme, portée conjointement par Carlo Di Antonio et par Maxime Prévot (CDH également) en suivant l’exemple de la Flandre, figure dans le projet de Code de développement territorial (CoDT) de la Wallonie. « Ces lieux sont particulièrement propices à l’accueil d’éoliennes, dès lors qu’ils sont en règle générale éloignés des habitations », souligne Maxime Prévot, ministre des Travaux publics en charge des zones d’activités économiques. Il annonce un potentiel évalué à 40 éoliennes dans les zonings et à 25 unités aux abords des autoroutes (où la distance de recul sera réduite à la longueur d’une pale et 10 mètres). « A titre illustratif, l’installation de 65 nouvelles éoliennes permettrait de participer pour près de 40 % à l’effort supplémentaire pour atteindre les objectifs à l’horizon 2020 », poursuit-il.

D’où provient ce potentiel de 65 éoliennes ? D’une « analyse théorique », effectuée « en interne » et sujette à une « marge d’erreur importante », signale d’emblée le cabinet Prévot. Par ailleurs, comme l’indique le ministre, « le potentiel identifié n’a pas été cartographié, de telle sorte qu’il m’est impossible de préciser la localisation exacte des futurs parcs éoliens ». Comment est-il possible d’estimer un nombre d’éoliennes à installer dont on ignore l’emplacement précis ? « Si le chiffre a été annoncé, c’est qu’il a été étudié », se borne à répondre le cabinet du ministre.

Argument plutôt léger. « C’est du grand n’importe quoi, lance l’Ecolo Philippe Henry. La seule manière d’identifier un potentiel éolien, c’est de passer par une simulation mathématique et cartographique qui croise toutes les contraintes. Si ce n’est pas de l’enfumage, ça y ressemble. » En 2013, la cartographie du cadre de référence éolien, résultat perfectible d’un recoupement de dizaines de données, avait cette vocation d’exhaustivité. Elle avait été torpillée par les communes et les détracteurs de l’éolien. En 2016, le gouvernement PS-CDH avance un potentiel hasardeux, sans les nécessaires explications qui vont avec. Pour éviter de froisser l’opinion publique ?

De son côté, Carlo Di Antonio n’hésite pourtant pas, à l’instar de son prédécesseur, à statuer sur les dossiers de recours contre l’avis de son administration. A la demande du Vif/L’Express, son cabinet a transmis les ratios annuels depuis son entrée en fonction. On y apprend que le ministre a statué en la faveur du promoteur (suite à un refus du fonctionnaire délégué) dans 57 % des cas en 2014, 31 % des cas en 2015 et dans 61 % des cas pour les quatre premiers mois de 2016. « Les promoteurs sont prêts à faire beaucoup plus d’efforts que par le passé pour ajuster leur projet et pour le monter en concertation avec les riverains, note le cabinet Di Antonio. C’est pour cette raison que le taux d’octroi, en cas de recours, est plus important à l’heure actuelle. »

Le calme avant la tempête

Les temps semblent avoir changé depuis 2013. A l’époque, le turbulent collectif antiéolien Vent de Raison, qui revendique toujours 70 000 membres, critiquait la politique du gouvernement wallon à grand renfort de banderoles, notamment le long des autoroutes. Ses sorties incendiaires, lors des réunions d’information, sapaient d’entrée de jeu la confiance entre promoteurs et riverains. Les détracteurs seraient-ils rentrés dans le rang ? « Il est vrai que nous sommes moins visibles qu’avant, reconnaît Patrice d’Oultremont, président de Vent de Raison. Entre 2012 et 2014, nos actions ont permis de réduire considérablement le nombre de permis octroyés pour des parcs éoliens. Nous avons atteint notre premier objectif, qui consistait à sensibiliser l’opinion publique et à prouver que les recours étaient efficaces. A l’heure actuelle, Vent de Raison a donc moins de raisons de se manifester, parce que les comités locaux sont parfaitement actifs et opérationnels. »

Le gouvernement wallon devra bel et bien composer avec cette résistance. Vent de Raison fourbit ses armes . Et compte à nouveau sortir du bois, si l’année 2016 confirme le regain de la filière éolienne, perceptible en 2015. « Tant que ce gouvernement ne sera pas en mesure de prouver que les éoliennes participent à la réduction des émissions de CO2, nous poursuivrons notre combat », avertit Patrice d’Oultremont.

Dans ce contexte, la course à l’objectif éolien en Wallonie s’apparente à un périlleux parcours de funambule : le moindre écart lui sera fatal. D’autant que la contribution attendue pour 2030, dont ce gouvernement n’ose même pas parler – au minimum 380 éoliennes de plus par rapport au parc actuel – s’annoncerait insuffisante pour respecter l’accord de Paris : maintenir l’augmentation de la température mondiale sous 1,5 °C d’ici 2050. Une ambition à long terme, globale. Si peu compatible avec le court terme inhérent à l’agenda électoral. ˜

Eoliennes et CO2 : la riposte

« Il est très difficile de tenir le discours que nous tenons », soupire Patrice d’Oultremont, président de Vent de Raison. En l’absence d’un travail académique indépendant, le collectif antiéolien, qui fondait jusqu’ici son plaidoyer sur des raisons économiques et techniques, s’attaque à l’argument environnemental : les éoliennes contribuent-elles réellement à diminuer les émissions de CO2 ? Au terme d’un travail de deux ans, Vent de Raison annonce une étude « accablante » – partisane, logiquement – sur cette thématique. Sa publication est prévue pour ce mois de mai.

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