Carte blanche

L’enfermement prolongé des aînés, un traitement inhumain et dégradant (carte blanche)

Ils sont morts parce qu’on les avait oubliés. Ils n’étaient pas sur le radar. Pourtant il était évident qu’ils étaient les cibles favorites du virus. Ils sont morts de notre négligence. La nôtre, la négligence politique et stratégique, pas celle des soignants de première ligne.

Ils sont parfois morts parce qu’on a refusé de leur porter secours, de les soigner, craignant la submersion des hôpitaux, renvoyant les ambulances qui les dépêchaient vers les médecins. Ils sont morts parce que dans notre inconscient collectif, ils étaient déjà morts. Socialement. Ils n’appartenaient plus à la communauté humaine, celle qui produit et consomme. Ils sont morts parce qu’ils ne se sont pas révoltés, habitués à être maltraités, coupables d’être encore là, s’excusant de n’être pas déjà partis. Ils sont morts en silence, aucun d’entre eux n’a jamais été invité sur un plateau de télévision.

Après les avoir abandonnés, nous les avons enfermés. Pour leur bien. Vraiment ? On ne leur a jamais demandé leur avis. On a mis en place des mesures de confinement drastiques. Certaines étaient légitimes, d’autres clairement excessives ou excessivement prolongées dans le temps. On n’a pas hésité à enfermer certains résidents à clé dans leur chambre pour qu’ils ne s’échappent pas. D’autres ont été mis sous calmant à leur insu.

Encore aujourd’hui les visites des familles sont quasi interdites dans certaines maisons de repos, ou tellement compliquées qu’elles déstabilisent et effraient les personnes les plus fragiles. Alors elles renoncent et leur famille s’en retourne chez elles meurtries, culpabilisées, terrifiées. Mais qui s’est inquiété de cette brutalité ? Il y a plusieurs semaines déjà, le Conseil National de Sécurité a dit aux directions de maisons de repos qu’ils pouvaient assouplir les mesures d’isolement. Á elles de décider. Certaines se sont organisées, raisonnablement prudentes. El les résidents des maisons de repos qui avaient survécu au Covid et à l’enfermement ont repris une minuscule vie sociale, un peu rabougrie, mais qui leur permettait de revivre un peu.

Mais d’autres ont décidé que non, elles n’en avaient pas les moyens. Et l’enfermement se poursuit. Car ce qu’on qualifie pudiquement d’isolement s’avère être un enfermement doublé d’une interdiction de contacts physiques. Et si on nommait convenablement les choses ? Et si on appelait cela un traitement inhumain et dégradant ? Depuis cent jours. Autant dire une éternité pour ces personnes dont la vie ne tient que parce qu’elles s’accrochent à leur famille, à l’affection des leurs.

Les chiffres, on les connaît enfin. 65% des décès totaux dûs à l’épidémie en Belgique sont des résidents de maisons de repos. Encore plus à Bruxelles. Pendant plus de trois mois on a caché l’ampleur du désastre humain qui frappait les maisons de repos. On n’a d’abord publié aucun chiffre. On les avait mais ils ne sortaient pas. Trop choquants. Alors, le 2 avril, j’ai diffusé un rapport wallon gardé confidentiel, qui montrait qu’un tiers des décès au moins avait lieu en maison de repos. J’étais très en-dessous de la réalité. Plus tard Sciensano a publié le nombre de morts dans les maisons de repos. 51% des décès totaux. Mais on ne publiait toujours pas le nombre total de décès des résidents de maison de repos, qu’ils soient morts dans leur résidence ou après leur transfert à l’hôpital. J’ai fait ce calcul il y a un mois, je suis arrivé au résultat qui est aujourd’hui publié. On admet enfin. On reconnaît enfin un drame longtemps derrière les portes fermées des maisons de repos. Dans un pays qui prétend être le champion mondial de la transparence sur les victimes de l’épidémie, c’est une faute.

Aujourd’hui beaucoup de ces résidents, véritables survivants de l’épidémie, sont toujours écartés de toute vie sociale. Pas partout, mais encore trop souvent. Des appels au secours continuent de m’arriver de familles interdites de contacts avec leur parent. « Maman est assignée dans sa chambrette depuis trois mois » me dit Kathy L. ce matin via Messenger. « Ne sachant plus marcher, elle n’a droit ni aux couloirs, ni au restaurant, ni aux visites, ni à rien en fait. Le vide total. Infantilisée, diminuée, elle est là, laissée à elle-même. L’avis de maman n’a jamais été demandé et ce n’est pas le corona qui lui fait peur mais ce qu’elle endure loin des siens, loin de la vie. Tous mes appels et tous les SOS sont restés vains jusqu’ici ».

Dans le meilleur des cas les résidents ont droit à vingt minutes de visite, ou dix. Pas une minute de plus. Par semaine ou par quinzaine. Masque, plexiglas, deux mètres, téléphone, gel. Toujours avec le même membre de la famille. Allez savoir pourquoi… Pour ces personnes fragiles, parfois désorientées, un calvaire.

Si de nombreux pédiatres et médecins se sont exprimés à juste titre sur la nécessité pour les enfants de renouer avec une forme de socialisation et de vie collective, ce besoin est aussi grand, si pas plus pour les résidents de maison de repos, isolés de leur famille. Le célèbre psychiatre français Boris Cyrulnik a expliqué encore récemment comment l’isolement constituait une agression neurologique et psychologique, et comment la perte de repères extérieurs provoquait angoisse et dépression. Il a encouragé à mettre en place des rituels de communication, même en respectant les distances sociales.

Je demande que le Conseil National de Sécurité et les différents gouvernements donnent des instructions claires pour que les visites et la vie reprennent dans les maisons de repos. Cela ne peut pas être une option, mais une obligation. Les mesures coercitives imposées doivent être proportionnées. Les droits constitutionnels de nos aînés ne peuvent plus être bafoués. Il faudra aussi relire attentivement cette page sombre de l’épidémie que furent la négligence, le refus de soins et puis l’enfermement des aînés. Et puis leur présenter nos excuses et mettre en place des dispositifs et une vigilance pour ne plus jamais commettre de telles défaillances.

Georges Dallemagne – Député cdH

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