Bart De Wever © BELGA

« L’électeur méfiant restera-t-il fidèle à la N-VA ? »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Deux mois avant les élections communales, le professeur Johan Ackaert ne mâche pas ses mots :  » Le 14 octobre sera le jour du clash entre la N-VA et le CD&V. C’est ce combat qui déterminera quel parti sera le plus fort. « 

S’il y a un politologue spécialisé en administration locale, c’est bien le professeur Johan Ackaert de l’Université de Hasselt. Cet intérêt date de sa jeunesse à Louvain. « Je voulais me faire un peu d’argent de poche et je me suis proposé comme correspondant local au quotidien De Morgen. Je devais suivre le conseil communal de Louvain, et recevais un franc par ligne. Heureusement, Louis Tobback (sp.a) était dans l’opposition. Chaque fois qu’il sortait ses diatribes contre le bourgmestre chrétien-démocrate, le tiroir-caisse se remplissait. (rires) C’est là qu’a débuté ma passion pour la politique communale. »

Johan Ackaert se méfie des prédictions trop hardies. « La dernière fois, en 2012, j’ai constaté que les élections locales étaient entourées d’un ‘cadre national’ : la campagne ne tournait pas autour de thèmes locaux. La N-VA les a utilisés comme un testcase national pour son opposition contre le gouvernement Di Rupo. Je ne pensais pas que cela fonctionnerait, et j’ai prédit dans un certain nombre de médias que la N-VA ne percerait pas. (ricanement) C’était une sérieuse erreur : en partant de rien, la N-VA est presque devenue le plus grand parti de Flandre. Il n’y avait que le CD&V qui comptabilisait encore un peu plus de voix. »

Était-ce la première fois qu’un parti local utilisait des élections locales pour faire passer son agenda national ?

Non. En 1982, les socialistes étaient dans l’opposition et Karel Van Miert utilisait les élections communales comme un test intermédiaire pour son opposition contre la politique d’investissement de droite du gouvernement catholique libéral de Wilfried Martens. En 2006, le cartel CD&V/N-VA voulait en faire une sorte de référendum sur la politique nationale, mais l’attention a alors été détournée par la lutte tonitruante entre Patrick Janssens (sp.a) et Filip Dewinter (Vlaams Belang) à Anvers. Mais que ce soit le CD&V qui essaye de faire cela était significatif: c’était et c’est par excellence le parti qui a toujours dit que les élections locales doivent tourner autour des thèmes locaux. C’est donc ainsi qu’on allait désormais jouer le jeu: les partis d’opposition qui se sentent assez forts essayent de renforcer leur opposition au niveau national via les élections locales. Mais cette fois, le véritable enjeu des élections communales est tout de même différent.

Quel est le véritable enjeu?

Le 14 octobre sera le jour du clash entre la N-VA et le CD&V, la lutte entre le plus grand parti du pays et le plus grand parti des communes. C’est ce combat qui déterminera quel parti sera le plus fort. À présent, ce n’est pas encore clair. Aux élections parlementaires de 2010 et 2014, la N-VA a emporté les élections loin devant les autres, mais en 2012 le CD&V a pu maintenir son statut de plus grand parti au niveau local, même si la N-VA était le grand gagnant. Le parti qui remporte les élections communales en octobre bénéficiera de l’aura du maillot jaune pour les élections parlementaires de 2019. Comparez-le à la position de Geraint Thomas et Chris Froome dans le Tour de France : le leader a toujours un avantage psychologique. Le CD&V se maintiendra-t-il ou la N-VA pourra-t-elle le dépasser ? Ce sera toute la question en octobre.

Qu’en pensez-vous ?

Le CD&V a une chance de garder sa position encore une fois. C’est le parti qui fournit le plus d’efforts au niveau communal – même si je vois dans ma commune que c’est surtout la N-VA qui distribue des brochures. Aujourd’hui, la N-VA a les gens et l’argent pour ça. À long terme, les résultats locaux du CD&V sont d’ailleurs en recul. C’est une conséquence de l’érosion lente du réseau classique, surtout paroissiale. La baisse n’est pas encore si forte que pour les élections parlementaires, localement le CD&V obtient 10% de plus que pour ses résultats nationaux. Il fournit aussi beaucoup de bourgmestres et les études révèlent que dans la moitié des cas un bourgmestre se succède à lui-même, et donc les chrétiens-démocrates peuvent y puiser du courage.

Aujourd’hui, la N-VA possède une série de bourgmestres – même le plus important du pays à Anvers – et elle peut engager un régiment de ministres et de secrétaires d’État. La N-VA peut-elle devenir le nouveau CD&V ?

Le profil des deux partis diffère trop pour ça. En 2012, le CD&V a obtenu 21,2% des voix dans les villes ou communes de plus de 37 500 habitants. Dans les villes et communes de moins d’habitants, il s’en sort nettement mieux. Dans les communes de moins de 7500 habitants, ce chiffre a même dépassé les 36%. Le CD&V est donc le parti des petites communes. La N-VA, par contre, pourrait devenir le nouveau parti des villes. Dans les communes et les villes de plus de 37 500 habitants, la N-VA a obtenu 26% en 2012, mais dans les plus petites communes elle avait beaucoup plus de mal. Dans les communes de moins de 7500 habitants, elle n’atteignait par exemple que 17,2%.

En 2012, les partis classiques ont tenté d’exclure la N-VA?

C’est aller trop vite en besogne. La résiliation du cartel en 2008 a certainement entraîné de nombreux CD&V à ne plus faire confiance à la N-VA. Et comme la N-VA avait soumis de nouvelles listes partout, souvent avec de nouvelles personnes, il n’était pas illogique non plus que les autres préfèrent conclure un accord administratif avec des politiciens qu’ils connaissaient déjà. Mais cette phase est passée. Entre-temps, les N-VA font partie du « club » dans tous les conseils communaux. En outre, le parti est mieux connu et ses politiques principaux obtiennent de bons résultats dans les sondages de popularité. Tout cela devrait rapporter un bonus supplémentaire à la N-VA.

Et donc la N-VA devrait obtenir plus de voix le 14 octobre.

C’est évidemment possible. Je ne vois qu’un problème pour la N-VA : les études révèlent qu’ensemble avec le Vlaams Belang, elle a les électeurs les plus méfiants. La question c’est donc : comment ce type d’électeur méfiant votera-t-il ? Resteront-ils fidèles à la N-VA? Ce sera là le plus grand défi : comment garder ces électeurs à bord? En 2012 ils se présentaient comme contre-parti, maintenant c’est un parti de pouvoir. Tant au gouvernement flamand que fédéral que dans la plus grande ville de Flandre c’est la N-VA qui établit la politique. Ses électeurs apprécient-ils cela ?

La création du ‘Vooruit Politiek Platform’, une association d’une quarantaine de listes locales de politiciens insatisfaits de centre droit, généralement des mandataires locaux de la N-VA, Open VLD ou Lijst Dedecker montre que ce n’est pas le cas de tout le monde

Ce sont là des politiciens qui représentent les électeurs insatisfaits et méfiants. Si cette tendance se poursuivait, cela peut être dangereux comme un parti pour la N-VA. Certainement avec notre système électoral à la portée de tous – tous ceux qui veulent peuvent proposer une liste sans trop de peine – et où on vote beaucoup plus pour les personnes que pour les partis. Ces nouveaux venus n’auront pas tout de suite la perspective d’un siège au conseil communal, car au niveau communal, la distribution de sièges classique avantage les grands partis. Mais ils piquent des voix.

Entre-temps, le sp.a qui est dans l’opposition au niveau flamand et fédéral, fait pâle figure. À Ostende, la ville du président de parti John Crombez, le bourgmestre Johan Vande Lanotte, a même formé une ‘Stadslijst’: une liste ouverte qu’on ne peut surtout pas qualifier de « socialiste ».

Généralement, ce n’est pas une preuve de confiance en soi ou de force. Les partis qui obtiennent de mauvais résultats dans les sondages osent parfois chercher d’autres formules lors des élections locales. Si l’étiquette nationale ne vend plus, les départements locaux en souffrent. À un moment où le VLD obtenait de piètres résultats, Herman De Croo a décidé de créer une liste appelée D.E.C.R.O.O qui lui permet de dire à ses électeurs : « Oubliez la politique nationale. Dans cette commune, il s’agit de moi. » Comme le sp.a est à présent touché, le parti est moins prisé par Groen pour former un cartel. Groen ne veut pas s’associer à un parti étiqueté comme un looser.

Sic transit gloria mundi, dirait Bart De Wever. Traduit librement: le succès peut vite prendre fin. En 2006, le sp.a était encore le gagnant des élections locales, et les socialistes se profilaient avec leurs bourgmestres, certainement dans les grandes villes.

Le 14 octobre, les socialistes à Gand et à Louvain doivent essayer de remplacer deux bourgmestres importants et populaires, Daniël Termont et Louis Tobback, par des membres du parti plus jeunes et moins connus. La lutte sera presque existentielle pour les partis. D’autre part, nous nous fixons peut-être trop sur une situation relativement récente. Les socialistes n’ont pas toujours livré les bourgmestres dans les villes flamandes. À l’époque, ce n’était qu’une tradition à Anvers. Ce n’est qu’avec la génération de Karel Van Miert que des politiciens comme Gilbert Temmerman à Gand, Louis Tobback à Louvain, Freddy Willockx à Saint-Nicolas et Steve Stevaert à Hasselt et d’autres ont géré les villes flamandes.

La « sécurité » semble un thème important dans les élections communales. Le personnage du bourgmestre est essentiel, car il représente la sécurité.

Chez nous aussi, le bourgmestre est le shérif. C’est lié à la réglementation : le maintien de l’ordre est l’une des tâches principales du bourgmestre. Sauf que depuis la création des zones de police, en 2001, le centre de gravité dans la politique de sécurité a glissé du bourgmestre vers le chef de corps. Autrefois, à l’époque de la police communale, le bourgmestre était au-dessus du chef de corps. Au début de la réorganisation des zones de police régnait l’idée que le bourgmestre et le chef de corps seraient au même niveau. Aujourd’hui, ce sont au fond les chefs de corps qui décident. Ils maîtrisent les dossiers.

D’où le plaidoyer pour l’élargissement d’échelle, et donc de fusionner les communes.

Les fusions offrent effectivement la possibilité de construire un pouvoir administratif. Je pense qu’en Flandre nous devons évoluer vers des communes de 40 000 habitants. La question, c’est si cela se fera. Le CD&V n’est pas favorable à une évolution vers de plus grandes communes, car, comme signalé précédemment, il sait qu’il obtient de moins bons résultats dans ces communes. Il craint de perdre encore plus de voix. Pour la même raison, la N-VA y est favorable : elle obtient les meilleurs résultats dans les plus grandes communes, elle y livre probablement plus de bourgmestres, qui peuvent déménager vers le parlement.

Suite à toutes ces considérations de parti politique, les fusions mènent souvent à des résultats pires que prévu?

C’est effectivement l’inconvénient du système actuel de fusions volontaires. Qui se ressemble, s’assemble. Pourtant, je dis toujours que ce genre de calcul est voué à l’échec. En 2012, les sondages de sortie de bureaux de vote nous apprenaient que 35% des électeurs ont changé de parti par rapport à 2006, un glissement colossal d’électeurs. Ce n’est pas une tendance récente. En tant que chercheur débutant, j’ai dû évaluer la grande opération de fusion de 1976. Du côté flamand, elle était faite sur mesure du CVP, et donc cette année-là, le CD&V a largement remporté les élections. Mais ensuite le parti n’a plus pu égaler ce résultat. En 1982, les chrétiens-démocrates avaient déjà perdu un tiers de leurs majorités. Confectionner des fusions suite à la constellation politique d’aujourd’hui n’est donc pas une bonne idée.

S’il y a une fusion qu’il aurait fallu faire depuis longtemps, c’est bien celle des dix-neuf communes de Bruxelles.

Il n’y aura jamais de fusion de Bruxelles.

Pardon?

Bruxelles est un noeud inextricable pour deux raisons importantes. L’administration bruxelloise, tel qu’elle existe aujourd’hui, est un jeu particulièrement complexe d’équilibres communautaires. Qui touche aux dix-neuf communes, remet immédiatement la représentation flamande obligatoire en question, qui aujourd’hui ne répond plus depuis longtemps à la réalité sociologique : au fond, il y a aujourd’hui « trop peu » de Flamands bruxellois pour être représentatif. En outre, il y a la question de la répartition : les communes plus riches telles qu’Uccle et Watermael-Boitsfort ne veulent pas du tout s’allier aux communes plus pauvres de la Zone du Canal telles que Molenbeek. Ils ne veulent pas payer pour la misère et la pauvreté des autres.

N’est-il pas absurde de garder dix-neuf zones de police bruxelloises séparées, avec dix-neuf bourgmestres alors que Londres ou Paris peuvent se contenter d’une seule?

Évidemment qu’une fusion serait idéale avec une administration forte pour toute l’agglomération. Mais comment l’instaurer si une grande majorité de politiciens bruxellois ne veulent pas ? Si on commence à modifier les équilibres bruxellois existants, on a sans nul doute les retombées vers tout notre modèle constitutionnel. Même feu Jean-Luc Dehaene (CD&V) n’a pas pu résoudre ça, et c’était tout de même l’un des politiciens les plus forts d’après-guerre. C’est pour cette raison que je pense qu’il n’y aura jamais de fusion de Bruxelles.

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