Benoît Lutgen, président du CDH. © BELGA/Thierry Roge

« L’école ne peut subir les conséquences de la crise »

Les syndicats des enseignants ont exprimé mardi en front commun leurs « plus vives inquiétudes » au lendemain de la chute de la majorité PS-cdH, redoutant la « mise au frigo » d’une série de dossiers dont la concrétisation est attendue d’ici la prochaine rentrée scolaire de septembre.

Suite aux recommandations du Pacte pour un enseignement d’excellence, la majorité sortante a en effet décidé de procéder dès la rentrée prochaine à l’engagement de nouveaux instituteurs et de renforcer l’aide administrative aux directeurs.

Mais vu le vide politique actuel et l’incertitude sur la future majorité au pouvoir, les syndicats redoutent que ces premières mesures restent lettre morte.

Ils craignent aussi pour la mise en oeuvre du cours d’éducation à la philosophie et citoyenneté (EPC) qui doit être étendu dès septembre à tout l’enseignement secondaire officiel.

Et quid de l’accord sectoriel 2017-2018 qui vient d’être bouclé par le gouvernement, de l’adaptation de la réforme controversée des titres et fonctions, ou encore la réforme de la formation initiales des enseignants -attendue depuis la législature précédente déjà! – que le gouvernement vient tout juste d’approuver en 1re lecture.

« Pour les enseignants, les élèves, leurs parents, les écoles, il est essentiel que ces dossiers soient finalisés pour la rentrée afin que celle-ci puisse s’organiser au mieux », souligne le front commun syndical. Ils promettent de réagir « avec force » si toutes ces mesures devaient rester dans les limbes.

Interrogé par Belga, Eugène Ernst, secrétaire-général de la CSC-Enseignement, se dit aussi particulièrement inquiet de l’arrivée probable du MR au pouvoir en Fédération vu la manière dont le parti, via le ministre fédéral Daniel Bacquelaine, a réformé les pensions pour les enseignants.

Ces derniers mois, l’opposition réformatrice en Fédération Wallonie-Bruxelles s’était en outre montrée particulièrement critique envers certaines dispositions phares du Pacte d’excellence, comme le rallongement du tronc commun jusqu’à 15 ans ou la réforme de l’enseignement qualifiant.

Pour M. Ernst, la concrétisation -ou pas- des promesses d’engagements de nouveaux instituteurs ou d’aide aux directions permettra rapidement de jauger la volonté de la future majorité de mettre en oeuvre le Pacte, fruit d’un vaste brainstorming mené par les acteurs de l’école durant près de trois ans.

Dans un communiqué distinct, la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel (FAPEO) s’est elle aussi dit « très inquiète » pour l’avenir du Pacte.

« Quelle que soit la majorité dégagée, nous tenons à ce que les réformes co-construites par l’ensemble des acteurs pendant deux ans ne soient pas purement et simplement balayées d’un revers de la main. L’avis n°3 du Pacte, aux équilibres difficilement trouvés, avec tous les acteurs scolaires, ne peut être disloqué voire réduit à néant. L’urgence à réformer l’école n’est plus à démontrer. Il serait inconcevable et incompréhensible pour les citoyen-ne-s de laisser ce chantier en friche jusqu’à la prochaine législature ».

La situation politique inquiète les accueillantes d’enfants

Les accueillantes d’enfants conventionnées ont fait part mardi de leur inquiétude quant à la situation politique en Fédération Wallonie-Bruxelles, où le cdH a annoncé lundi sa volonté de ne plus gouverner avec le PS. Une rencontre prévue avec la ministre de l’Enfance Alda Greoli (cdH) a bien eu lieu dans l’après-midi. Elle n’a pas permis d’atténuer les craintes du secteur.

« La ministre a tenu à nous rassurer et a réaffirmé sa volonté d’aboutir. Mais elle nous a également dit qu’elle ne devait préjuger de rien », relève Natacha Verstraeten, présidente de la Fédération des initiatives locales pour l’enfance (File) et coordinatrice de la plate-forme regroupant syndicats, associations professionnelles et monde associatif.

Les accueillantes d’enfants conventionnées sont des personnes physiques autorisées par l’ONE (Office national de l’enfance) à accueillir des enfants âgés de zéro à six ans. Elles sont rémunérées à la prestation, ce qui rend leur revenu fortement variable et leur situation précaire.

Un groupe d’organisations s’est donc constitué il y a quatre ans afin de réclamer un statut de salarié pour les accueillantes conventionnées, qui sont rémunérées par l’ONE (via un CPAS, une commune ou une ASBL). Des discussions sont en cours avec la ministre Greoli, qui a déjà annoncé qu’un statut des accueillantes conventionnées était en préparation.

La crise politique francophone pourrait mettre à mal la concertation, estime la plate-forme. « Le statut des accueillantes conventionnées n’est pas une priorité pour le MR (pressenti pour monter dans la majorité, ndlr) », estime Mme Verstraeten. Ce parti « est davantage sensible à la situation des accueillantes autonomes qui travaillent comme indépendantes, alors que le système de l’accueil conventionné permet une meilleure accessibilité. »

Une nouvelle rencontre est programmée le 11 juillet « … si la ministre est toujours en poste », conclut Mme Verstraeten.

L’accueil conventionné englobe 2.600 personnes en Fédération Wallonie-Bruxelles, dont une large majorité de femmes qui vivent dans des conditions difficiles.

Les partenaires sociaux inquiets face à l’incertitude

Les partenaires sociaux font part mardi de leurs inquiétudes, au lendemain de l’annonce du président du cdH Benoît Lutgen de sa volonté de ne plus gouverner avec le PS en Wallonie et à Bruxelles. L’avenir des dossiers en cours de discussions se présente désormais comme incertain, pointent-ils.

Le secteur non marchand du SETCa s’inquiète de l’avenir des discussions sur « toute une série de dossiers fondamentaux ». « Le peu qui a pu être engrangé pour conclure de nouveaux Accords sociaux pluriannuels, après de nombreux mois de lutte syndicale, est perdu », dénonce dans un communiqué Christian Masai, secrétaire fédéral.

Pacte d’excellence dans l’enseignement, réforme de l’Aide à la Jeunesse, statut de salarié des accueillantes d’enfants, réforme des aides à l’emploi, etc. seront-ils « ajoutés à la liste des travaux inutiles? « , s’interroge M. Masai. « Tout est à recommencer, dans des conditions qui s’avèreront peut-être encore plus difficiles qu’elles ne l’ont été. »

Cette crainte est partagée par Tangui Cornu, co-président de la FGTB Horval (horeca-alimentation-services). « Nous avions obtenu 30 millions d’euros du gouvernement wallon il y a 15 jours pour les travailleurs du non-marchand. Que vont-ils devenir? »

Robert Vertenueil, secrétaire général de la FGTB, souligne quant à lui l’inquiétude de voir se créer une coalition avec le MR, et des conséquences de celle-ci sur les politiques futures des gouvernements régionaux et communautaires, qui aujourd’hui « tentaient de compenser la politique très à droite du fédéral ». Le secrétaire général se dit encore préoccupé par l’avenir de dossiers comme le logement et le soutien à la création d’emplois.

Pour Patrice De Brandt, secrétaire permanent CSC Services publics pour la Région de Bruxelles-Capitale, le terme d’inquiétude est même « un euphémisme », puisque « la situation est dramatique ». « Ce jeu politique risque de mettre toute l’administration en péril, ainsi que la poursuite de certaines procédures et projets qui doivent passer au gouvernement » bruxellois. Alors que la Région a des défis à relever, « une nouvelle majorité pourrait prendre des décisions totalement opposées à ce qui a déjà été fait ». « On pleure déjà sur le dossier des allocations familiales, qui n’a pas encore été mis en place. Et cela ne risque pas d’être le cas dans les prochains mois », réagit-il, ajoutant que de nombreux travailleurs craignent de voir leur travail dénaturé voire modifié.

Les syndicats du secteur de l’enseignement réagissent eux en front commun mardi, pour partager leurs préoccupations quant à des dossiers tels que le protocole d’accord sectoriel, le cours de philosophie et citoyenneté au secondaire et les mesures transitoires pour les enseignants du secondaire et du fondamental, la formation initiale des enseignants ou encore les adaptations du décret « Titres et fonctions ». « Pour les enseignants, les élèves, leurs parents, les écoles, il est essentiel que ces dossiers soient finalisés pour la rentrée afin que ceux-ci puissent s’organiser au mieux. Ils ne peuvent subir les conséquences du vide politique. »

Le front commun syndical « se tient prêt à réagir avec force contre toute mise au frigo de ces dossiers qui aura immanquablement des répercussions sur les conditions de travail des personnels ».

Enfin des inquiétudes naissent aussi au sein du Syndicat des indépendants et des PME (SDI), concernant la politique économique wallonne. « Celle-ci a actuellement des odeurs de soufre et risque de faire passer au second plan toute une série de politiques économiques en faveur du redressement wallon », principalement la réforme des aides à l’emploi, la formation et la politique en faveur des PME, indique-t-il dans un communiqué. « Les petits opérateurs économiques wallons regrettent, depuis un certain temps, l’absence totale de prise en compte de leur sort et d’une véritable politique de soutien », ajoute le SDI.

Pour l’Union wallonne des entreprises (UWE), la Région « ne peut pas s’offrir le luxe d’une longue crise politique », avec des finances publiques en déficit et des dossiers tels que le mécanisme de temporisation de certificats verts, ajoute son président, Vincent Reuter. « Cela doit donc aller aussi vite que possible. » En revanche, et même s’il faut attendre de voir avec qui serait formée une coalition, l’UWE n’est pas opposée à un retour du MR au régional, la politique du parti étant « en ligne » avec les attentes de ses membres.

Le cdH rencontrera cette semaine le MR et Ecolo pour un premier dialogue constructif

Le président du cdH Benoît Lutgen a annoncé dans un communiqué un calendrier de rencontres séparées qu’il tiendra mercredi et jeudi avec ses homologues du MR, de DéFI et d’Ecolo. Il s’agit de rencontres pour un « premier dialogue constructif », a-t-il précisé.

Benoit Lutgen rencontrera demain mercredi le président du MR, Olivier Chastel, à 9h30. Jeudi, il verra à 10 heures les co-présidents d’Ecolo Zakia Khattabi et Patrick Depriez.

Ces premières rencontres visent à « écouter positivement les propositions » de chacun, est-il précisé. Il s’agira notamment de propositions visant à « moraliser la vie politique » (‘décumul, limitation des revenus, sanctions, conflits d’intérêt’, etc.) et « simplifier le paysage public » avec une « réduction drastique des institutions et des organismes publics ».

Il s’agira également de propositions visant à assurer les « conditions de réussite du Pacte pour un enseignement d’excellence ». Seront également scrutées, celles qui permettant de libérer les initiatives économiques, associatives, culturelles et sociales, notamment pour créer de l’emploi. Enfin, sont également attendues, les propositions permettant de relever les opportunités du défi climatique et de la transition énergétique et renforcer le lien social et la responsabilité citoyenne.

Affaires courantes à l’ordre du jour du gouvernement wallon de jeudi

La séance hebdomadaire du gouvernement wallon prévoit pour ce jeudi un projet d’ordre du jour extrêmement succinct, après que le cdH eut annoncé lundi ne plus vouloir du PS aux gouvernements wallon, bruxellois et de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Transposition de directive européenne, projets dans le cadre des fonds européens, renouvellement de marché informatique, arrêtés d’exécution: les sept maigres points actuellement à l’ordre du jour démontrent que le gouvernement Magnette-Prévot est entré en période d’expédition des affaires courantes.

La réunion se fera sous format classique, et non pas électroniquement, selon le cabinet du ministre-président Paul Magnette. L’ambiance risque d’être glaciale. M. Magnette (PS), qui avait qualifié le président du cdH Benoît Lutgen de « loyal » dimanche, veille de l’annonce du divorce du cdH d’avec le PS, a publié mardi en milieu d’après-midi sur Twitter un lien renvoyant à la définition Larousse de ce qualificatif. M. Magnette réagira pour la première fois à la nouvelle donne politique dans les journaux télévisés de ce mardi soir.

Quant à la réunion du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, traditionnellement organisée chaque mercredi matin, elle n’aura vraisemblablement pas lieu demain. Une possible réunion électronique est évoquée pour les jours à venir, précise-t-on au cabinet du ministre-président Rudy Demotte.

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