Jozef De Kesel © Dieter Telemans

L’archevêque Jozef De Kesel: « L’avenir est avec l’islam »

Michel Vandersmissen
Michel Vandersmissen Journaliste pour Knack

Pour la première fois, l’archevêque Jozef De Kesel s’exprime sur l’ouverture des écoles catholiques aux musulmans. Selon lui, les évêques belges approuvent ce projet. « Lieven Boeve (le directeur de l’enseignement catholique flamand, NDLR) n’a pas dit qu’il fallait de petites mosquées dans les écoles catholiques. »

De Kesel a été évêque de Flandre-Occidentale pendant 5 ans. Il est moins populaire que son prédécesseur André-Joseph Léonard, parti en Provence, où il passera le reste de sa vie comme chapelain auxiliaire de Notre-Dame-du-Laus. Contrairement à Léonard, De Kesel ne fera pas de farces dans l’émission flamande « De slimste mens ter wereld ». Cependant, il est plus progressiste et plus proche de la ligne pontificale du pape François.

Votre vie a-t-elle fort changé depuis le 12 décembre 2015, le jour où vous êtes devenu archevêque ?

Jozef De Kesel : Pas énormément, même si les responsabilités importantes entraînent parfois du stress, et particulièrement depuis que je me suis rendu compte que tout ce que je dis est examiné à la loupe. À Bruges j’étais plus proche du fonctionnement quotidien de l’Église. C’est ce qui me manque.

Vous êtes aussi le « patron » de Lieven Boeve, le directeur de l’enseignement catholique flamand. Que pensez-vous de ces propositions au sujet des écoles du dialogue ?

Lieven Boeve prépare ce projet depuis longtemps. L’année passée, nous en avons débattu longuement avec tous les évêques et nous approuvons ses propositions. L’enseignement catholique part de sa propre idée, ce qui implique automatiquement qu’il soit ouvert et respectueux de l’autre.

Vous n’avez donc pas d’objections contre les espaces de prière pour les élèves islamiques dans les écoles ou les cours d’islam après la classe?

Certains se focalisent trop sur les apparences. Les écoles peuvent décider elles-mêmes. Une école rurale qui ne compte presque pas d’élèves allochtones s’y prendra autrement qu’une école colorée à Anvers ou à Bruxelles.

Le pape François a déclaré récemment que le foulard ne lui pose pas de problème, du moins si les chrétiens ont le droit de porter une croix, s’ils le souhaitent.

Je suis entièrement d’accord avec lui. Par contre, je m’oppose au port de la burqa, car la rencontre d’une personne passe par le visage et les yeux. On peut aussi se demander si le foulard est une question culturelle ou religieuse.

Que signifie pour vous le projet catholique dans l’enseignement?

C’est entre autres par les écoles que l’Église catholique est fort ancrée dans notre société, ce qui signifie qu’être chrétien ne se limite pas à la vie privée. C’est pourquoi je désapprouve la pure idéologie des Lumières, qui veut que la religion ait le droit d’exister uniquement dans la vie privée du citoyen. Cela revient à dire que la religion est non pertinente. La chrétienté doit demeurer pertinente sur le plan culturel et sociétal.

De nombreux parents musulmans disent qu’ils ne demandent pas d’espaces de prière ou de foulards en classe.

Lieven Boeve a uniquement voulu dire que les écoles qui comptent beaucoup de musulmans peuvent l’envisager. Il n’a pas dit qu’il faut des petites mosquées partout. Je pense que les musulmans choisissent une école catholique pour des raisons de qualité, mais certainement aussi parce que c’est un environnement croyant. N’oubliez pas que nous partageons quelque chose de primordial avec les musulmans, à savoir la foi en Dieu.

Les détracteurs des écoles du dialogue déclarent que ceux qui veulent s’affilier au club de catholiques doivent se tenir aux règles de club.

L’Église dit qu’il faut être baptisé pour être membre. Mais une fois baptisé, il y a beaucoup de façon d’être membre. Quand on est croyant, on peut avoir des convictions, mais il faut toujours rester hospitalier. C’est pourquoi je ne pense pas que nous devons réserver les écoles catholiques aux catholiques convaincus.

Quels sont les défis principaux à relever, pour vous et l’Église ?

Le plus grand défi de notre Église, c’est de trouver sa place dans cette société laïque, et ce n’est pas un paradoxe. La société occidentale n’a jamais été aussi laïque, mais en même temps la religion n’a jamais été aussi présente que maintenant. En partie grâce à l’islam, car celui-ci a favorisé le retour de la religion. J’ai déjà dit que la culture laïque ne niait pas la religion, mais la privatisait. La société laïque est basée sur la liberté individuelle du citoyen qui dit : si vous voulez être religieux, c’est votre droit le plus strict, tant que vous ne dérangez pas l’autre.

Parfois, je m’inquiète de l’avenir de nos grandes institutions chrétiennes et je pense notamment à l’enseignement et aux soins dispensés aux malades. Il se peut que le nombre d’institutions se réduise, mais j’espère que le réseau restera assez fort.

Vous avez déclaré dans une interview accordée au Soir: « Nous avons besoin d’un christianisme fort, car sinon c’est l’islam qui prendra notre place. »

Je n’ai pas dit ‘sinon’. Je parlais d’une Église vitale qui ne peut être marginalisée. L’homme est un être religieux. La religion restera toujours un phénomène de société. Et si on marginalise le christianisme, l’islam restera très fort socialement. Il n’y a rien à faire. On peut espérer que l’islam se laïcisera, mais ce serait un travail de longue haleine. Il est important de défendre les droits de son Église. Une société pluriforme, plurireligieuse est dans l’intérêt de tous.

Cela explique-t-il ce que Rik Torfs appelle « la grande peur de l’islam » ?

Je sens cette peur et je la comprends en partie, mais la peur est mauvaise conseillère. L’avenir est avec l’islam. L’identité est très importante. Tous les hommes ont leur particularité, et doivent respecter celle des autres.

Le faisons-nous? Beaucoup de gens ont le sentiment que le racisme et l’intolérance n’ont jamais été aussi graves que maintenant.

Certains prêchent les idéaux de la Révolution française: la liberté, l’égalité et la fraternité. Je me demande parfois où est cette fraternité.

Récemment, vous avez répété que vous approuveriez que les hommes mariés puissent être ordonnés prêtres. Et qu’en est-il des femmes ?

Théologiquement et historiquement, le dossier de l’ordination de l’homme marié est très différent de celui de l’ordination de la femme. Mais ce n’est pas parce que la femme ne peut être ordonnée prêtre qu’elle ne peut endosser de plus grandes responsabilités dans l’Église.

Est-il vraiment impossible d’ordonner des prêtres féminins ? L’Église anglicane a déjà un évêque féminin.

C’est exact, mais cet évêque sème aussi la discorde et l’agitation parmi les croyants, particulièrement au sein des Églises africaines anglicanes. Ce n’est pas seulement théologiquement difficile, mais culturellement aussi.

Vous trouvez aussi que l’Église doit s’ouvrir davantage aux homosexuels?

Il s’agit de respect pour chaque personne, quelle qu’elle soit et quelle que soit son orientation, car personne ne choisit. C’est ce qu’on est. Ce respect est profondément ancré dans l’évangile.

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