Carte blanche

L’aide médicale comme socle de l’Europe de la Défense

Souvent évoqué, parfois souhaité, peut-être autant réprouvé, le projet d’une « Europe de la Défense » semble toujours plus difficile à saisir, comme s’il s’évanouissait chaque fois qu’il se trouvait à portée de nos mains.

Pourtant, l’époque à laquelle l’Europe avait le loisir de se reposer sur le « parapluie américain » est révolue. Si la présidence de Joe Biden sera sans aucun doute différente, le regard des États-Unis restera tourné vers ses affaires intérieures et le Pacifique.

Serait-ce là l’occasion de se pencher sur cette Europe de la Défense, sésame émancipatoire de la construction européenne, qui nourrit les fantasmes des uns, et l’euroscepticisme des autres ? Ce qui est sûr, c’est que nous sommes à un tournant lié à la pandémie de Covid-19.

Car oui, l’Europe de la Défense est un projet qui a du sens. Un projet qui ferait de l’Union européenne la deuxième puissance militaire mondiale, avec un budget total atteignant les 200 milliards d’euros, sur base des budgets actuels des Etats membres de l’UE. Un projet qui doperait également l’économie européenne avec de nouvelles coopérations industrielles entre les entreprises nationales actives en matière de Défense, et ce faisant, serait créateur d’emplois. Un projet qui, enfin, serait synonyme d’économies d’échelle et d’interopérabilité, via des achats militaires communs permettant une compatibilité totale du matériel ainsi qu’un socle uniformisé de formation pour le personnel des armées européennes.

On l’aura compris, cette Europe de la Défense a donc une portée rationnelle. D’aucuns diront « Certes, mais pour quoi faire? ». Le slogan est connu, l’Union européenne est une construction davantage économique que politique, et encore moins « géopolitique », adjectif qu’a voulu adjoindre Ursula von der Leyen à sa Commission. Or, si l’on veut donner une dimension géopolitique à l’Union européenne, il faut avancer sur son intégration en matière d’affaires étrangères et donc de Défense.

Tout un chacun l’aura remarqué, lorsque la situation est critique, les Etats ont recours à l’un des plus ancestraux de leurs pouvoirs régaliens : l’armée. L’on ne compte plus les exemples de construction d’hôpitaux de campagne, de soutien logistique, de transport de patients ou encore de mise à disposition de militaires pour gérer la crise du Covid-19. Partout en Europe et dans le monde, le personnel des armées nationales a fait preuve d’un dévouement et d’un courage incontestables pour affronter cette pandémie, dans des missions que l’on se plait aujourd’hui à appeler « d’aide à la Nation ». La Belgique n’est d’ailleurs pas en reste, comme en témoigne l’aide apportée par le personnel de la Défense dans les hôpitaux et maisons de repos lors de la première vague. Un soutien dans la lutte contre la pandémie qui a été renouvelé fin octobre, avec la récente décision de la Ministre de la Défense de déployer à nouveau 1500 militaires.

Le Covid-19 nous l’aura, encore une fois, démontré : les armées européennes bénéficient de savoirs et de compétences indispensables dès lors qu’il s’agit de gérer une crise et ce, que ce soit par la nature même de la fonction militaire, ou encore, par la qualité du personnel médical qui compose nos forces armées. Ainsi, tout comme ce fut le cas pour la coopération en matière de santé en mars et avril derniers, une meilleure entraide militaire à l’échelle européenne aurait sans doute permis de sauver des vies.

Revenons en arrière et imaginons maintenant que cette crise eut pu être gérée avec une Défense européenne intégrée, ainsi qu’une chaîne de commandement plus centralisée et mieux organisée. Peut-être aurait-on pu profiter d’un savoir-faire partagé et d’une mobilité militaire accrue, au bénéfice de tous les Européens. Peut-être aurait-on pu faire preuve de plus de solidarité envers l’Italie, en guerre contre un virus alors très méconnu, mais pas moins meurtrier. Peut-être que, cet automne, notre pays aurait reçu le soutien de ses alliés européens. Surement aurait-on pu déployer rapidement aux 4 coins de l’Europe des hôpitaux militaires provisoires pour venir en aide aux acteurs de la santé.

Nous devons apprendre et grandir de cette crise. Comme les socialistes francophones le soutiennent depuis longtemps déjà, l’avènement d’une Europe de la Défense accouchera in fine du graal que représente l’autonomie stratégique et donc le début d’une Europe (géo)politique. Elle serait aussi le premier pas pour que, lors de la prochaine crise, les Européens agissent en tant qu’alliés.

Si certaines initiatives ont déjà pu voir le jour (Agence européenne de défense, Fonds européen de la défense, etc.), le chemin d’une véritable Europe de la Défense sera certainement encore long et semé d’embûches. Il faut espérer que les ambitions de la Commission conjuguées au momentum de la pire crise connue depuis la Seconde Guerre mondiale soient capables de faire bouger les lignes…

Hugues Bayet

Député Fédéral – Bourgmestre de Farciennes

Marc Tarabella

Député européen – Bourgmestre d’Anthisnes

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