Jean-François Etienne des Rosaies, le pion central du Kazakhgate. © BELGAIMAGE

Kazakhgate : Etienne des Rosaies, un farfelu très crédible

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Chargé de mission dans l’ombre de Nicolas Sarkozy en 2010, Jean-François Etienne des Rosaies est l’homme clé du Kazakhgate. Un homme énigmatique, dont les courriers saisis par la justice, révélés par les médias, ne sont pas des « élucubrations ».

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Il en a écrit des courriels et des notes confidentielles. Une mine d’or pour les policiers et les journalistes. D’autant qu’au fil des enquêtes judiciaire et parlementaire, leur contenu s’avère plutôt exact. Jean-François Etienne des Rosaies y rend compte, à ses supérieurs de l’Elysée, du bon déroulement de l' » opération Charly Parker  » visant à libérer Patokh Chodiev et ses acolytes de leurs ennuis judiciaires en Belgique.

Rappelons que les trois célèbres milliardaires kazakhs y étaient poursuivis pour corruption et blanchiment d’argent dans le dossier Tractebel. Or, en échange de juteux contrats commerciaux, l’Elysée avait promis au président kazakh Nazarbaïev de s’arranger pour que le trio échappe à un procès public. Ce qui a été accompli, grâce à la transaction pénale élargie, adoptée en urgence, au printemps 2011, par le Parlement belge.

Etienne des Rosaies est le barbouze qui a plongé les mains dans le cambouis, faisant office de charnière entre l’Elysée et l’équipe d’avocats constituée à Bruxelles par Catherine Degoul. C’est lui qui a recruté cette dernière dans le cabinet de la star controversée du barreau de Paris, feu Jacques Vergès, dont il était un intime et pour qui il travaillait occasionnellement. Selon les déclarations de Degoul aux enquêteurs français, Vergès avait d’ailleurs été approché en premier pour s’occuper du dossier  » Charly  » mais, prudent, il avait refusé. C’est aussi des Rosaies qui a pensé à Armand De Decker pour renforcer l’équipe d’avocats. Il l’avait connu durant sa jeunesse et l’a retrouvé via l’Ordre de Malte dont il était délégué. Le président du Sénat belge de l’époque allait lui être fort utile pour faire du  » lobbying juridique « , selon les termes utilisés par des Rosaies lui-même lors d’un interrogatoire judiciaire.

Que fabriquait à l’Elysée cet homme mondain et loquace, au nez pansu et à la crinière nacrée ?  » Il n’avait pas de fonction officielle et ne dépendait pas d’un service spécifique, a expliqué son ancienne secrétaire aux policiers qui l’ont questionnée en 2014. Il était « officieux », alors que son bureau se trouvait au sein même de la présidence. Il avait lui-même demandé que lui soit attribué le titre de « chargé de mission », sans autre précision « . Dans son CV, qui ressemble à un inventaire à la Prévert,  » chargé de mission  » constitue, depuis les années 1970, le principal métier de cet amoureux des chevaux, si l’on en croit sa notice du Who’s Who français. Que ce soit auprès de dirigeants africains, du président de la Compagnie générale des eaux, du groupe des démocrates au Parlement européen, de Robert Pandraud (alors ministre français de la Sécurité publique), de l’Inspection générale de la région Ile-de-France, du patron de la police nationale française, du président Sarkozy…

Sa note confidentielle, à la base de l’enquête

C'est JFER qui a pensé à recourir aux services d'Armand De Decker.
C’est JFER qui a pensé à recourir aux services d’Armand De Decker.© Bas Bogaerts/ID Photo Agency

Que fait un  » chargé de mission officieux  » qui travaille dans l’ombre de dirigeants ? En bon ancien pigiste de l’ORTF et correspondant de guerre en Indochine, il rédige des mails, des rapports, des notes confidentielles, comme l’a expliqué l’ancien secrétaire général de l’Elysée, le 3 mai dernier, à la commission d’enquête parlementaire belge sur la transaction pénale.  » S’il a fait des notes, c’est qu’il suivait le dossier, a dit Claude Guéant en évoquant les Kazakhs. La note est un moyen de communication et d’information.  »

Dans deux courriers envoyés à Guéant, saisis par les enquêteurs, des Rosaies résume en détail toute l’affaire du Kazakhgate, de 2009 à 2011 : le deal entre Sarkozy et Nazarbaïev, la mise sur pied de l’équipe franco-belge pour Chodiev, l’organisation par De Decker du vote de la loi sur la transaction pénale, avec l’aide des ministres belges de la Justice (Stefaan De Clerck), des Finances (Didier Reynders) et des Affaires étrangères (Steven Vanackere) et, enfin, l’heureux épilogue judiciaire pour le trio, juste avant le salon du Bourget où devait être signé un gros contrat aéronautique franco-kazakh.

Il était « officieux », alors que son bureau se trouvait au sein même de la présidence »

C’est d’ailleurs l’une de ces deux notes confidentielles, révélée par Le Canard enchaîné en octobre 2012, qui a fait éclater le scandale du Kazakhgate dans les médias. Mis en cause, Armand De Decker avait alors parlé de  » déclarations farfelues  » et Reynders d' » élucubrations « . Or, on le sait, cette note ainsi que les mouvements de fonds suspects détectés par Tracfin (organe français de lutte contre le blanchiment) ont entraîné l’ouverture d’une enquête judiciaire à Paris, qui inquiète désormais Guéant. Les  » élucubrations  » se sont révélées pertinentes.

Plus récemment, un autre écrit détonant de des Rosaies a gagné en crédibilité. Un mail du 14 mars 2011, dans lequel il évoque un déjeuner parisien au cours duquel De Decker aurait remis à Claude Guéant une fiche de la Sûreté de l’Etat sur un individu  » V « . Il s’agit d’Eric Van de Weghe, proche du trio kazakh. Déclarations farfelues ? Guéant a reconnu que ce déjeuner avait bien eu lieu, fin février 2011. Le Comité R (qui contrôle nos services de renseignement) a établi, en avril dernier, pour la commission d’enquête Kazakhgate, que des démarches de De Decker auprès des renseignements français avaient été observées à la même période. Puis, le 7 juin, lors d’une seconde audition au Parlement de l’ex-patron de la Sûreté, Alain Winants, on apprenait que celui-ci avait consulté le dossier de Van de Weghe, sans raison objective, deux jours avant le fameux déjeuner à Paris….

Même constat pour ces mails de fin 2013 où des Rosaies évoque ses  » amis  » du ministère des Affaires étrangères ainsi que ses  » liens particuliers  » avec Jean-Claude Fontinoy, fidèle bras droit de Reynders. Interrogé par la presse qui avait révélé ces courriels et contacts, Fontinoy avait d’abord nié avoir jamais vu ou entendu des Rosaies. Puis, après les révélations du Vif/L’Express sur la saisie d’une clé USB par la justice française, contenant notamment des mails adressés au président de la SNCB, ce dernier a été forcé de reconnaître, devant la commission parlementaire, avoir rencontré l’homme de l’ombre de l’Elysée au moins à quatre reprises.

La fiche
La fiche « V » évoquée par des Rosaies : Alain Winants, ex-patron de la Sûreté, l’a bien consultée en février 2011.© Ivan Put/ID photo agency

Un coffre rempli de liquide

Alors, sérieux ou fantasque, Etienne des Rosaies ? Aux enquêteurs français, Catherine Degoul se dit persuadée qu’il a inventé, dans ses notes, être intervenu  » au plus haut de l’Etat belge pour se faire mousser « . Mais alors pourquoi a-t-elle envoyé, en 2012, un courrier en copie à Reynders, en parlant d’une réunion avec  » une haute personnalité du royaume de Belgique « , pour se plaindre des honoraires non payés par Chodiev (Le Vif/L’Express du 28 avril dernier) ? Dans un livre publié en 2015 aux éditions du Rocher (Mes Galops), Jean-Louis Gouraud, journaliste et cavalier, évoque des Rosaies, né en Algérie en 1941, sur plusieurs pages.  » Je me suis agacé de certains de ses comportements lorsqu’il présidait l’Institut français du cheval, nous dit ce spécialiste équestre. Beaucoup se demandaient ce qu’il faisait là…  »

Un autre dossier aéronautique

Dans son ouvrage, Gouraud décrit son amour des uniformes, des médailles et des décorations, que des Rosaies collectionne. Sa connaissance du terrain aussi, auprès des dirigeants africains, même si l’ancien Premier ministre sénégalais Abdou Diouf a confié au journaliste ne pas se souvenir de lui. L’auteur s’interroge sur le rôle que le chargé de mission dit avoir joué dans la libération des otages du Liban en 1988, alors qu’il était au cabinet du ministre Pandraud. Un rôle pourtant confirmé par Charles Pasqua, à l’époque ministre de l’Intérieur, et par le commissaire Georges Portelli, qui travaillait à ses côtés lorsque des Rosaies était préfet de la Meuse, la même année.  » Un rôle prépondérant, salué publiquement après la libération des otages, a confié le policier au journal La Dépêche, quelques années plus tard. D’ailleurs, de fortes sommes d’argent ont transité à l’époque par la préfecture où un coffre-fort rempli de liquide avait été installé.  »

Le préfet semble aussi avoir joué les barbouzes dans plusieurs affaires troubles. Fin 1998, un cambriolage a lieu aux archives du ministère de l’Intérieur. Une pièce compromettante pour Bernard Bonnet, préfet de Corse, disparaît. Paris-Match dénoncera un coup d’Etienne des Rosaies, le seul des fonctionnaires de permanence ce jour-là qui a refusé de donner ses empreintes… En 1991, il est épinglé par Le Point lorsqu’il est entendu par Carla Del Ponte, alors procureur en Suisse, dans un dossier de tentative de corruption liée à un projet de vente d’avions Mirage aux Helvètes. Selon Libération, il est passé, à diverses reprises, à travers les mailles de procédures pénales.

Claude Guéant, ex-bras droit de Nicolas Sarkozy, se montre plutôt élogieux pour son chargé de mission.
Claude Guéant, ex-bras droit de Nicolas Sarkozy, se montre plutôt élogieux pour son chargé de mission.© Kenzo Tribouillard/REUTERS

A la fin des années 1990, il se lie d’amitié avec Claude Guéant, alors  » Pasqua boy  » et directeur général de la police nationale. Il le suivra à l’Elysée lorsque Sarkozy, dont il a organisé des meetings de campagne, occupera les lieux. De lui, Guéant n’a rien dit de négatif, devant la commission Kazakhgate. Au contraire.  » Ce n’était pas un électron libre qui fait n’importe quoi, mais un fonctionnaire qui a de l’expérience, a-t-il reconnu. S’il rend compte de beaucoup de choses, c’est parce qu’il estime de son devoir de le faire.  » Aux enquêteurs, le général français Benoît Puga, également cité dans les mails de des Rosaies sur le Kazakhgate, l’a décrit comme  » un ami  » qui a commencé sa carrière dans l’armée de l’air, attaché à la Légion étrangère, sans le noircir le moins du monde. Ce n’est sans doute pas un hasard non plus si, en juillet 2011, le conseiller de l’ombre a accédé au grade d’officier de la Légion d’honneur, dix-huit ans après avoir été fait chevalier.

Nous avons tenté de joindre le préfet des Rosaies. Son avocat, Pierre Kopp, nous a fait savoir qu’il refusait de nous voir. Il est aussi très peu probable qu’il vienne témoigner devant la commission parlementaire, vu son état de santé. Victime d’une crise cardiaque lors de sa garde à vue, à Paris, en septembre 2014, il ne s’en est jamais remis et ne supporte plus le moindre stress. Il se repose dans son jolis haras de Glanville, en Normandie, au lieu-dit Le Jardin Holin, à quelques kilomètres du manège que dirige son épouse, plus jeune que lui de trente-cinq ans. Un haras qu’il a acquis cash, fin 2011. Il faut dire qu’il a gagné beaucoup d’argent entre 2011 et 2012. L’enquête a repéré sur ses comptes bancaires des montants suspects à hauteur d’un million d’euros, durant cette période.

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