Claude Guéant © BELGA

Kazakhgate: Ce que nous a appris Claude Guéant

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Entendu ce matin par la Commission d’enquête parlementaire Kazakhgate, l’ancien ministre de l’Intérieur français Claude Guéant nous a appris au moins deux choses. 1. Il y a bien eu une demande du Kazakhstan à la France de trouver une issue favorable aux ennuis judiciaires belges de Patokh Chodiev. 2. Jean-François Etienne des Rosaies, l’homme de l’ombre de l’Elysée dont les mails ont fait éclater puis rebondir le scandale d’Etats lié au trio kazakh, n’est pas du tout un farfelu. Intéressant…

Il était très attendu dans la salle Marguerite Yourcenar, où la Commission Kazakhgate se réunit depuis le mois de janvier pour tenter de dénouer l’écheveau de la transaction pénale dont a bénéficié le désormais célèbre trio kazakh. Sombrement vêtu, Claude Guéant a été cuisiné pendant trois heures par les dix-sept députés de cette commission, tous présents pour l’occasion, sous l’oeil des caméras et des photographes plus nombreux que d’habitude. L’ancien bras droit du président Sarkozy n’a pas vacillé. Il s’est parfois énervé, trahi par le rouge qui envahissait soudain son visage froid, il s’est beaucoup répété, en s’amusant de l’insistance de certains commissaires-députés, il s’est surtout excusé de ses défaillances de mémoire, opportunes, qui lui permettaient (comme l’a souligné le VLD Vincent Van Quickenborne) de ne pas mentir, vu qu’il avait prêté serment au début de son audition.

Sans surprise, Claude Guéant n’a mouillé aucun politique français ou belge, et surtout pas Didier Reynders, l’ami de Sarkozy. Il a aussi réfuté toute ingérence de la France dans les affaires belges et, bien sûr, minimisé son rôle dans ce dossier, malgré les nombreux documents publiés par la presse qui l’accablent. Mais il a tout de même confirmé un élément crucial : il y a bien eu une demande du Kazakhstan à la France pour que Chodiev et ses associés sortent la tête haute du bourbier judiciaire dans lequel ils étaient empêtrés en Belgique. « En 2009, le président Nazerbaïev a fait savoir qu’il souhaitait que les ennuis judiciaires de Chodiev se terminent et que ça faciliterait les relations commerciales entre nos deux pays », a répété plusieurs fois Guéant. Or cette demande du président kazakh, qui s’apprêtait à signer un juteux contrat d’achat d’hélicoptères français, est à la base du Kazakhgate. Voilà un ancien responsable politique de haut niveau qui le confirme, même s’il nuance ensuite : « Je ne sais pas si la transaction pénale signée par Chodiev a eu une influence sur le contrat des hélicoptères. » Difficile pourtant de ne pas y voir un lien direct.

Claude Guéant a aussi confirmé, et c’est également une première, que c’est bien l’Elysée qui a cherché un avocat pour défendre Patokh Chodiev en Belgique. Il s’agissait, en l’occurrence de Me Catherine Degoul, qui a ensuite engagé Armand De Decker dans son équipe. Il reconnaît également avoir reçu régulièrement des mails ou des rapports sur le suivi de cette affaire, de la part notamment de Jean-François Etienne des Rosaies. Il admet surtout que deux de ses collaborateurs à l’Elysée, Loras et des Rosaies, étaient chargés de suivre en permanence le dossier Chodiev en Belgique… Pour lui, tout cela est « d’une banalité totale ». Y compris le déjeuner à l’Elysée, avec Degoul, De Decker, des Rosaies et Loras, fin février 2011, à un moment charnière de la procédure judiciaire du trio kazakh. Un déjeuner organisé « par courtoisie ». Il ne se souvient pas du contenu de toutes les discussions, en tout cas pas celle qui a tourné autour de Chodiev. Mais il se souvient avoir parlé du jumelage entre Uccle et Neuilly…

Enfin, Claude Guéant – et c’est surprenant – n’a dit aucun mal de Jean-François Etienne des Rosaies, pourtant qualifié de farfelu depuis le début du Kazakhgate par les personnalités belges concernées par ses mails et ses notes que la presse a dévoilés. De Decker et Reynders ont parlé d' »élucubrations » d’un homme qui aime exagérer ce qu’il fait. Guéant, lui, ne dit rien de tel. Au contraire. Selon lui, des Rosaies n’était ni un farfelu ni un électron libre qui faisait ce que bon lui semble. « Il me rendait compte du dossier pour lequel il avait été mandaté », a dit l’ancien secrétaire général de l’Elysée, avant d’ajouter : « Il avait de l’expérience ». Crédible, des Rosaies ? Eh bien, oui, même si « c’était un collaborateur qui cherchait à être fidèle à la mission qui lui avait été confiée et inondait ses supérieurs pour leur montrer qu’il suivait bien l’affaire ». Excepté cette unique appréciation un rien critique, Etienne des Rosaies était donc bien considéré à l’Elysée. A bon entendeur.

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