Carte blanche

Je suis migraine (carte blanche)

Migraineuse depuis vingt-cinq ans, elle s’adresse aux politiques: « je suis triste et désespérée de constater que notre maladie ne soit pas plus considérée ».

Mesdames, Messieurs les politiques,

Je vous adresse ces mots comme on lance une bouteille à la mer. Bien consciente de la crise qui nous occupe et dans le respect de votre travail, je vous livre, à travers le vécu de ma maladie, ces quelques lignes en espérant alimenter vos réflexions sur les nouvelles thérapeutiques qui voient le jour dans la prévention de la migraine, les anticorps monoclonaux inhibiteurs du CGRP.

Je vous écris parce que, depuis quelques mois, je goûte une vie que je ne connaissais pas. Je découvre le bonheur de vivre ces moments avec mes enfants, mon mari, ma famille ; je parviens à travailler en profitant de mes pleines capacités sans devoir m’absenter, sans avoir mal quand je dois réfléchir; je peux enfin dormir sans craindre un réveil nocturne violent dans la douleur; je peux apprécier le temps partagé avec mes amis; je peux à nouveau pratiquer des activités sportives et m’engager pour la collectivité; j’arrive à sortir de chez moi sans m’inquiéter à l’idée qu’une crise de migraine se déclenche… Je ne suis pas seulement un cas d’étude mais bien une preuve vivante de résultats spectaculaires. J’en oublie que je suis atteinte de migraines chroniques sévères. Je vous écris parce que je vous fais confiance et veux croire que vous adopterez une décision juste et bonne pour nous, les migraineux chroniques sévères.

J’ai 45 ans, je suis maman de 4 enfants, infirmière licenciée en santé publique, active dans la société, au service des autres. Je suis migraineuse depuis 25 ans, c’est en quelque sorte ma marque de fabrique familiale. Ces dernières années, ma situation a évolué, jusqu’à atteindre une moyenne de 20 jours de crises de migraine par mois. Je crains d’aboutir sur le banc des invalides.

La migraine, cette prison intérieure, je la connais bien. Ce n’est pas un simple mal de tête. C’est une douleur lancinante qui vous martèle dans l’oeil au rythme de votre coeur. Tantôt légère et possiblement supportable – on essaie alors de vivre sa journée avec tout ce que cela implique -, cette crise de migraine devient souvent plus sévère et rapidement insoutenable. Elle s’accompagne de nausées et vomissements, les lumières et le bruit deviennent insupportables, votre esprit est démis et dépossédé de toutes ses capacités. Vous avez un marteau-piqueur dans la tête : la douleur prend toute la place. Cloué au lit dans le noir, durant des heures, vous espérez juste que cela passe. Vous avez la sensation d’avoir été frappé, vous êtes seul et vous sentez « foutu » pour la vie…Quand ce tsunami est passé, vous êtes ravagé. Il faudra des heures pour récupérer, avec la peur que ce cycle infernal reprenne au vu des nombreux facteurs déclenchants.

Je vous laisse imaginer l’impact de la maladie sur l’ensemble de votre vie:

– Lorsque vous avez une charge de famille et des enfants que vous souhaitez élever dans un climat heureux ;

– Pour votre mari, qui tente de vous soutenir mais qui devient, s’il l’accepte, aussi votre aidant proche ;

– Auprès de vos proches et amis, pour qui vous êtes aux abonnés absents, et dont certains, dans l’impossibilité de vous comprendre, s’éloignent.

– Sur votre travail, dont vous devez parfois vous absenter ou que vous tentez d’accomplir en occultant votre douleur auprès de vos collègues ou employeurs, la migraine étant très incomprise et stigmatisée. Vous vous efforcez de travailler pour ne pas perturber l’organisation, de peur d’être disqualifié ou de perdre votre poste. Vous renoncez à des perspectives professionnelles dont vous rêviez tout en étant bardé de diplômes.

Bref, un amas de renoncements et de deuils tant la maladie vous invalide dans votre vie. Les migraineux connaissaient déjà le confinement avant cette crise sanitaire, la douleur et l’invalidité en prime.

Des traitements de fond existent. Ils ne sont pas directement indiqués pour le traitement de la migraine mais pour d’autres pathologies. Utiles pour certains patients, ils sont inefficaces pour d’autres. J’ai tenté plusieurs thérapeutiques, sans succès, avec des effets secondaires considérables et difficilement supportables. Pour tenter de vivre un peu normalement, comme chacun, on consomme de façon démesurée toutes sortes d’antidouleurs, avec le risque d’entrer dans la spirale de la surconsommation médicamenteuse. On vous dira que vous êtes stressée, déprimée, que c’est psychologique, que vous en faites trop et qu’il faudrait ralentir la cadence. Alors vous tentez des thérapies en revisitant votre vie dans l’espoir de comprendre l’origine de ces maux, jusqu’aux pratiques les plus farfelues, pour la plus grande joie de certains charlatans. Notre vie ressemble à un casse-tête, une petite vie dans la douleur et dans l’ennui….

Il y a deux ans, je me suis référée à un neurologue de grande renommée, spécialisé dans le diagnostic et le traitement de la migraine, le Prof. J. Schoenen. A l’écoute et dans la compréhension des choses, il m’a permis de bénéficier d’un nouveau traitement : les anticorps monoclonaux inhibiteurs du CGRP. Depuis quelques mois, je dispose de ces « précieuses molécules » qui, pour moi, relèvent du miracle : de 20 crises de migraines par mois, je suis tombée à 4-5, qu’un simple antidouleur m’aide à faire taire. J’en oublie les traitements de crise, j’en oublie que je suis une migraineuse chronique sévère… Merci, je découvre une vie nouvelle !

Aujourd’hui, je m’adresse à vous car ce nouveau traitement m’en donne la capacité. Mais ce ne sera peut-être plus le cas dans quelques mois. Incluse dans un programme « d’urgence médicale », je fais partie des patients très atteints qui peuvent bénéficier momentanément et gratuitement de ces nouvelles molécules. Ces programmes, limités dans le temps, visent à offrir aux patients une réponse provisoire dans l’attente d’une décision sur les accords de remboursement pour ces produits.

Les négociations autour de ces éventuels remboursements, lancées il y a des mois, n’ont pas abouti pour l’instant. Nous, patients, restons dans l’angoisse et l’espoir d’une décision favorable car sans ces remboursements, ces traitements s’annoncent coûteux, autour de 500 € par mois. Comment se payer un traitement à 500 € par mois lorsqu’on est maman de 4 enfants, exerçant dans le secteur de l’action sociale où les salaires sont faibles? Lorsqu’on dirige une famille monoparentale, dont les fins de mois sont difficiles ? Lorsqu’on cherche un emploi et que répondre à ses besoins primaires relève déjà de l’exploit ? Lorsqu’on est étudiant ? Comment feraient-ils, ces patients ? Et vous, comment feriez-vous ? Et si l’un de vos proches devenait migraineux ?

Aujourd’hui, je suis triste et désespérée de constater que notre maladie ne soit pas plus considérée. L’intégrer dans les politiques de santé permettrait d’alléger le fardeau qu’elle représente pour la société et d’améliorer la prise en charge de ces patients. Les migraineux sévères représentent un public fragile et vulnérable qui vit dans l’oubli. Ils n’ont pas la capacité de faire valoir leurs droits tant ils se trouvent affectés.

Je suis inquiète des décisions que vous allez adopter. Aujourd’hui, une solution existe pour nous permettre de vivre dignement. La maladie migraineuse que je vis est génétique : mon cerveau ne fonctionne pas comme le vôtre, il présente des dysfonctionnements qui provoquent cette douleur insupportable à répétition. Après de longues années de recherche, la science a réalisé des prouesses et a trouvé enfin le traitement spécifique à notre maladie, qui nous permet de mener une vie de meilleure qualité, presque comme vous. Accorder l’accès à ces traitements grâce à leur remboursement constitue une véritable bouée de secours pour nombre de migraineux. Cette option éviterait des situations d’invalidité qui coûtent aussi beaucoup à notre société.

Aujourd’hui, j’ai peur.

Je vous écris pour faire entendre la voix des migraineux chroniques sévères. Je souhaite vous faire confiance et espère que vous prendrez une décision réfléchie et responsable pour nous permettre d’accéder à ces nouveaux traitements. Et nous donner la chance de vivre dignement.

Dans l’espoir d’une issue favorable, veuillez croire, Mesdames, Messieurs les Décideurs, en mes sentiments respectueux.

Migraine,

Membre du collectif de patients sous anti-CGRP

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