Carte blanche

« Je ne suis pas complotiste, mais… » (carte blanche)

Les nouvelles restrictions sanitaires qui s’additionnent à la prolongation des précédentes, le début de la campagne de vaccination, les incertitudes liées aux variants annoncent le renfrognement de l’opinion publique lassée par ce tunnel dont aucun expert n’en perçoit le bout.

Nous, chantres du tout et tout de suite, exigeons des explications, des réponses, une issue. La sphère privée autant que l’agora 4.0 deviennent les laboratoires où s’articulent nos théories artisanales, où se désignent les coupables de cet imperturbable marasme, où la liberté d’expression prend tout son sens, car elle ne souffre que d’une limitation relative.

« Je ne suis pas complotiste, mais… »cette formule introductive employée sans discontinuer depuis le début de la crise sanitaire, répétée inlassablement par bon nombre de mes interlocuteurs, dite et redite sur les plateaux de débats politiques, lue maintes fois lors d’échanges antagonistes sur les réseaux sociaux; cette formule introductive qui sert à la fois, de carte blanche aux élucubrations tantôt modérées tantôt relevant de la facétie, et de paravent subtil coupant court à toute contre-argumentation.

Ce virus, sa fulgurance, son invisibilité, son caractère insaisissable, ses mutations, ses variantes, la paralysie et l’emprisonnement qu’il suscite, la mort charnelle et économique qu’il provoque, semble avoir atrophié la part rationnelle de notre réflexion, pour le meilleur comme pour le pire. Et c’est ce que je considère comme le pire que je viens pourfendre. Je ne suis personne. Un lambda qui, comme tout un chacun, a subi une rupture de rythme dans son quotidien depuis mars 2020. Je ne suis personne. Un petit-fils qui a dû prendre ses distances avec sa seule et unique grand-mère qui craint qu’elle ne périsse par la contamination ou par l’isolement.Je ne suis personne. Un simple client qui s’inquiète de voir son bar préféré mettre la clef sous la porte et qui implore la réouverture du salon de coiffure tenu par ses proches.Pourtant, autant les manquements dans la gestion de cette crise méritent d’être soulevés et dénoncés, autant je refuse de me soumettre aux diktats des complotistes s’adonnant à des critiques simplistes et inconséquentes. Oui, inconséquentes et pétries de contradictions. Je parle de ces râleurs de nature, ces esprits en quête du complot, ceux qui aimeraient ne pas se faire vacciner, tout rouvrir et se libérer de toute restriction sans que cela n’occasionne ni malades ni morts. En bref, ceux qui veulent voler le beurre et l’argent du beurre.Parmi eux, certains contestent par instinct de sédition, font feu de la moindre parole pour s’indigner et distiller leur commentaire négatif, quitte à se contredire. D’autres s’expriment ainsi, à dessein, pour faire naître des oppositions inexistantes. Qu’ils créent ce désordre consciemment ou non, au final, la dynamique en marche vers le compromis n’en est pas moins enrayée. Le compromis entre la santé et l’économie. Bien sûr, l’exécutif vacillant au gré des intempéries fit montre de ses approximations, ses contradictions, ses rétropédalages. Mais, entre les décisions prises à tâtons qui tentent d’atteindre cet équilibre impossible et la volonté de maintenir en vie tous les secteurs affectés, peut-on sincèrement accuser notre gouvernement de ne pas s’atteler à la tâche ou encore le soupçonner de se réjouir de la dégradation de l’activité du pays ? Le scepticisme est démocrate, la vindicte est autoritaire.

« Pourquoi ne pourrait-on pas avoir une bulle de contacts plus large alors que les transports en commun sont bondés ? » La doxa entonne cette question rhétorique en choeur et paraît unanime sur sa logique. À mes yeux, cette question-slogan contient toutes les contradictions consubstantielles au discours des râleurs de nature et autres conspirationnistes au sujet de cette pandémie. D’abord, en guise de réponse, les études scientifiques menées par l’Union internationale des Transports publics (UITP) affirment que le risque de contamination des usagers par d’autres usagers est faible puisque le port du masque est obligatoire et respecté par la grande majorité contrairement au contexte du regroupement entre amis, en lieu clos, même en comité restreint. Ce sont les faits auxquels visiblement beaucoup refusent de prêter l’oreille.Je suis aussi en droit de m’interroger sur ce qui se cache derrière ce manque de volonté d’entendre cette donnée voire de la récuser (je m’interdis de croire que cela résulte d’une incompréhension de leur part). S’agit-il de mépris envers les citoyens qui n’ont pas les moyens de s’offrir une voiture ? Faut-il rappeler que tout le monde ne peut se permettre l’achat d’un véhicule et que les transports en commun restent, dans bons nombres de cas, la seule alternative ? S’agit-il d’envoyer dans les méandres du chômage des milliers de personnes dont l’exercice du métier est incompatible avec le télétravail tels que les caissiers, les petits commerçants, les guichetiers en tout genre, les bouchers, etc. ? Ce qui, par ailleurs, amplifierait la dimension de cette crise. Encore un paramètre qu’ils n’avaient pas envisagé.

Des exemples de ce type sont légion grâce à leurs auteurs dotés d’une intarissable inspiration. Aujourd’hui, la tendance est au rejet du vaccin. Que les complotistes invétérés entendent ceci :

Se faire vacciner n’est pas synonyme de soumission à l’Etat.Se faire vacciner ne signifie pas la défaillance intellectuelle.Refuser le vaccin ne fait pas de vous de nobles révolutionnaires. Refuser le vaccin ne garantit en rien une connaissance supérieure sur ce sujet complexe ni une soi-disant capacité à déjouer les machinations d’une société interlope qui dirigerait le monde. Ceux qui, aujourd’hui, conspuent l’idée de se faire vacciner, seront les mêmes qui, demain, manifesteront leur mécontentement en disant que les doses manquent et ne sont pas délivrées et/ou injectées assez rapidement.Ce sont les mêmes qui rechignaient à porter le masque, mais se plaignaient lorsque ceux-ci n’étaient pas encore disponibles.Les sceptiques et frondeurs notoires s’arment de la moindre mesure pour vilipender, voire condamner. La rédaction de ces quelques paragraphes comme un appel l’humilité et au bon sens. L’humilité face à un phénomène sanitaire qui nous dépasse et le bon sens qui tente d’écouter les cris des entreprises en galère. Approprions-nous ces vertus qui méritent leur place entre le manichéisme opposant la naïveté au complotisme. La condition des petites et moyennes entreprises est trop sérieuse que pour être défendue par des théories conspirationnistes ou soutenue par thèses souvent infondées, partiales et contradictoires. La réflexion autour de la santé friable de nos proches les plus vulnérables ne peut se laisser confisquer par ceux qui enjoignent l’Etat de lever toutes les barrières, car il s’agirait, selon eux, d’une mascarade montée de toute pièce.

Les émules conspirationnistes pullulent et en deviennent envahissants. Cette contestation n’a pas de limite et ne rend service à personne.

Mandela Lokondo (employé bancaire)

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