Jacques van Ypersele dans le bureau de Baudouin, en juillet 1990. " Le roi ne supportait pas que l'on parle de son image. " © Photo News

Jacques van Ypersele : « Le roi Baudouin ne supportait pas qu’on parle de son image »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Il a été le chef de cabinet de Baudouin de 1983 à 1993. Sa discrétion est légendaire. Pour la première fois, Jacques van Ypersele de Strihou accepte d’évoquer les traits marquants de la personnalité du roi et ses principales préoccupations.

Avant de devenir le chef de cabinet d’Albert II, vous avez été celui de Baudouin. Quels aspects du personnage vous ont frappé ?

Le roi Baudouin ne supportait pas que l’on parle de son image. Ce mot  » image  » le hérissait. Quand ses conseillers lui suggéraient d’utiliser la télévision pour soigner sa popularité, il se rebellait. Il était totalement allergique à tout ce qui touchait au paraître. La perception que les médias avaient de lui le laissait complètement indifférent. En 1975, lors du 25e anniversaire de son règne, l’un des organisateurs de l’événement a eu l’idée, pour fêter le roi, de réaliser un projet durable, qui perpétuerait sa mémoire. Il a proposé d’ériger une statue du souverain. Le roi a eu vent de cette intention et s’y est opposé avec la plus ferme énergie. Il a suggéré que les dons prévus pour ce jubilé servent à la création d’une fondation destinée à améliorer les conditions de vie des gens, avec un accent mis sur le social. Cela dit beaucoup sur le souverain.

Une fondation au service de la monarchie ?

Il n’avait aucun sentiment possessif vis-à-vis de la fondation qui porte son nom. Il ne la voyait pas comme un instrument de pouvoir de la royauté, même si, indirectement, cela a eu ce résultat. Il suivait ses travaux dans les grandes lignes. La fondation a son identité, sa personnalité, ses organes de décision propres. Cette indépendance et le pluralisme social, philosophique et communautaire ont été voulus par le roi. J’ai siégé à la fondation entre 1988 et 2013, comme représentant du souverain. Elle est restée fidèle à l’inspiration du roi Baudouin.

Comment a-t-elle évolué ?

Elle s’est adaptée aux nouveaux besoins, comme l’intégration des migrants dans la société. Il y a vingt ans, elle a soutenu la création de Child Focus. Elle s’est investie dans les soins de santé, l’éducation et la protection du patrimoine, domaine dans lequel le roi s’était peu impliqué. Son budget annuel est aujourd’hui de 75 millions d’euros. Son professionnalisme est reconnu par le monde politique belge et européen.

A ses visiteurs qui lui semblaient u0022sukkeleru0022, le roi remettait un bout de papier avec le nom d’un médicament à prendre

Quelles étaient les principales préoccupations sociales du roi Baudouin ?

Outre la pauvreté et la précarité, la question de la traite des êtres humains l’a vivement interpellé. En 1992, il a lu Elles sont si gentilles, Monsieur, l’enquête du journaliste Chris De Stoop sur un réseau de prostitution. Avec Paula D’Hondt, commissaire royale à l’immigration, il s’est rendu au centre Payoke d’Anvers, fondé par Patsy Sörensen. La fondation a ensuite joué un rôle concret en la matière, notamment au travers de programmes de prévention dans les Balkans.

D’autres projets l’ont intéressé ?

Il a été marqué par sa rencontre avec le Bangladais Muhammad Yunus, l’initiateur du concept de microcrédit, lauréat du prix Roi Baudouin en 1992. Le roi Baudouin et la reine Fabiola étaient aussi sensibles au sort des femmes rurales dans le tiers-monde. De son côté, la fondation est devenue un lien de rencontre unique pour des responsables de tous horizons dans la société.

Peut-on dire que le pouvoir moral de Baudouin a augmenté au cours de son règne, tandis que diminuait son pouvoir politique ?

Jusqu’au bout, il a continué à suivre de près l’évolution du pays et à exercer sa magistrature d’influence dans les affaires politiques. Quant aux défis sociaux, ils l’ont préoccupé dès le début de son règne. Il s’est intéressé au sort des sans-abri et des familles en difficulté. En décembre 1952, l’abbé Froidure, fondateur de l’association Les Petits Riens avant la guerre, lui a fait visiter les taudis des Marolles. Autre visite imprévue : en juin 1991, le roi s’est rendu à Borgerhout, près d’Anvers, ou les tensions étaient vives entre Belges et immigrés. Dans un souci d’équilibre, le souverain s’est entretenu avec des retraités belges et les conseils turc et marocain.

Quels échanges l’ont particulièrement marqué ?

Le courant passait bien avec François Mitterrand. Le roi Baudouin, qui a connu une jeunesse troublée par la guerre et l’après-guerre, n’avait pas fait d’études universitaires, ce dont il souffrait. Mais il avait l’intelligence du coeur. Le président français s’en rendait compte. Les deux hommes prenaient plaisir à dialoguer sur le sens de la vie et d’autres questions philosophiques. Le roi Baudouin aimait aussi converser avec l’ancien Premier ministre social-chrétien Pierre Harmel, une belle figure, avec Wilfried Martens et Willy Claes, ou encore avec Dom Hélder Camara, l’évêque brésilien proche des pauvres et de l’Eglise progressiste sud-américaine. Il appréciait Jacques Delors et Vaclav Havel, le dramaturge et ancien président tchèque, qu’il a rencontré après la révolution de Velours, à New York et en Tchécoslovaquie. Le roi jugeait nécessaire l’approfondissement de la construction européenne.

Comment se déroulaient ses entretiens avec ses visiteurs ?

Tous ceux qui ont été reçus en audience ont été frappés par sa capacité d’écoute et son empathie. Ce n’était pas du paraître. Il cherchait à comprendre les motivations de ses interlocuteurs, leurs espoirs, leurs soucis. Il prenait des nouvelles de la famille de ses visiteurs, de ses collaborateurs, de son chauffeur. Il faisait cela genuinely, sans se forcer, de façon naturelle.

Un souvenir personnel de cette empathie du roi à l’égard ses visiteurs ?

Une anecdote amusante : à ceux qui lui semblaient sukkeler, être mal en point, il conseillait de prendre un médicament et précisait lequel. Car ses propres ennuis de santé l’ont conduit à rencontrer de nombreux médecins et à acquérir des connaissances en médecine. Grand joueur de golf et de tennis dans sa jeunesse, il ne faisait plus beaucoup de sport à l’époque où je suis devenu son chef de cabinet, à cause de ses douleurs au dos. Il lui restait la marche, qu’il pratiquait régulièrement dans le parc du palais de Laeken et au domaine royal de Ciergnon. A bon nombre de ses visiteurs, qu’ils soient ministres ou membres de son entourage, il remettait un petit bout de papier sur lequel il avait griffonné le nom d’un médicament. Et il leur disait :  » Vous devriez prendre cela.  » Souvent, en rentrant chez moi, je disais à ma femme :  » J’ai reçu ma prescription !  »

Baudouin a longtemps été qualifié de « roi triste », surtout au début de son règne. Est-ce l’image que vous gardez de lui ?

En privé, il pouvait être joyeux, avoir le sens de l’humour. Mais en public, il avait une grande réserve, une certaine pudeur aussi, en raison de son histoire personnelle. Il restait surtout d’une grande prudence. C’est une question de tempérament et une conséquence des conditions de son accession au trône.

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