Paul Magnette et Stephan Vanfleteren. © Diego Franssens

« J’aime Charleroi. Je l’embrasse sur la bouche bien qu’elle ait mauvaise haleine »

Le Vif

Paroles du photographe flamand Stephan Vanfleteren, qui a examiné la ville et ses habitants sous toutes leurs coutures. Le voici face à Paul Magnette, bourgmestre PS de Charleroi. Comme un duel entre rivaux amoureux finissant en ménage à trois.

Dans la préface de son livre Charleroi, il est clair, que le gris est noir (1), qui vient de sortir, Stephan Vanfleteren écrit : « J’espère ne pas avoir trahi la ville. » Au Musée de la photographie, il expose le résultat de ses pérégrinations dans les rues, sur les terrils et dans les zones industrielles d’une ville pillée et généreuse (2). Mission terminée au terme de deux ans de résidence presque forcée et de quinze ans de visites sporadiques et secrètes à sa seule maîtresse, à l’en croire. Une amante pour laquelle il a écrit sur un mur du musée : « J’aime Charleroi. Je l’embrasse sur la bouche bien qu’elle ait mauvaise haleine. »

Le voilà face à Paul Magnette, le bourgmestre. A notre initiative.

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.© Stephan Vanfleteren

Le Vif/L’Express : Aujourd’hui, Charleroi se transforme de fond en comble… Vous êtes sceptique, Stephan Vanfleteren. Pourquoi ?

– Stephan Vanfleteren : Charleroi représente aussi un brûlant patrimoine industriel. Dans vingt ans, ce sera précisément l’atout de votre ville. C’est pour ça que je voulais vous rencontrer, Paul Magnette, pour vous demander, s’il vous plaît, de garder intact votre patrimoine.

Paul Magnette : Nous sommes conscients du terrain historique sur lequel nous vivons. Nous allons conserver les usines, les hauts fourneaux, les tours de refroidissement… Mais pas tout, ce n’est pas possible.

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.© Stephan Vanfleteren

Stephan Vanfleteren a aussi photographié les pauvres de Charleroi. Qu’en dites-vous, Paul Magnette ?

P. M. : Il l’a fait d’une façon rigoureuse. La question reste de savoir ce qu’est la misère. A Charleroi, de nombreuses personnes vivent avec des moyens limités. Ces gens, que les statistiques appellent « pauvres », n’ont pas la vie facile, mais ils vont voir les matchs de foot au Sporting, ils choient leurs amis et leur famille… Ils ne se sentent pas pauvres. Il faut être prudent quand on parle de misère. A Charleroi, une personne sur cinq est vraiment pauvre avec structurellement trop peu pour vivre et de gros problèmes sociaux. Quatre personnes sur cinq ont une vie qui les satisfait et se contentent de ce qu’elles ont. Ce sont, comme le dit le sociologue français Pierre Sansot, « des gens de peu ».

S. V. : Je n’aime pas ce concept de résignation. Les gens ont-ils le choix ? Et si oui, qu’en est-il de leurs ambitions ? J’ai le sentiment qu’il vous paraît acceptable que des gens se résignent à survivre avec peu de choses. Je trouve que chercher à progresser dans la vie est une attitude plus positive. Evidemment, il faut que ce soit possible et, à Charleroi, ce n’est pas évident. J’ai rencontré ici des enfants dont le père est chômeur depuis trente ans. Il est logique que ces jeunes aient peu d’ambition. Ce qui me perturbe, c’est cette attitude qui consiste à se satisfaire de sa situation parce que, finalement, elle n’est pas tellement mauvaise.

P. M. : Oui, nous, les soi-disant intellectuels de la classe moyenne supérieure, nous projetons notre vision dans toutes les catégories sociales. Mais il existe vraiment des gens qui refusent de s’embarquer dans une logique capitaliste. Qui accordent moins d’importance à l’argent qu’à la joie de vivre.

S. V. : Je comprends ça, je l’ai aussi ressenti dans votre ville. Charleroi est chaleureuse, différente de Liège qui est un peu amère. Il n’y a pas d’amertume chez le Carolo. Il rayonne même de bonheur.

P. M. : A Liège, on se dit : « Nous sommes les héritiers de la ville du Prince-Evêque » et « nous aurions pu être la capitale de l’Europe ». Les Carolos pas. Qu’est-ce qui devrait leur manquer ? De quoi devraient-ils être fiers ? Je leur dis souvent : allons, un peu d’ambition s’il vous plaît !

S. V. : Charleroi me fait parfois penser à l’Afrique. J’y trouve un même esprit de solidarité. Même si les gens ne possèdent rien, on est le bienvenu chez eux. Quand on n’a pas grand-chose, on ne craint pas de le perdre.

P. M. : Les sociologues disent souvent que la pire des misères est la misère relationnelle. Un partenaire, des amis, une famille sont importants, certainement pour les 20 % de la population auxquels s’applique le mot « misère ». Ils possèdent au moins cette richesse-là.

Marijke Libert

(1) Il est clair que le gris est noir, par Stephan Vanfleteren, éd. Cannibale, 256 p.

(2) Charleroi, par Stephan Vanfleteren, au Musée de la Photo, à Charleroi. Jusqu’au 6 décembre. www.museephoto.be

L’intégralité du face-à-face dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

  • Paul Magnette, parlez-vous suffisamment avec les gens de leur situation concrète ?
  • N’est-il pas regrettable que la reconstruction du centre-ville se fasse avec des capitaux venus d’Anvers ?
  • « A Charleroi, on n’achète pas des maisons, mais des rues »
  • Vous déplorez que Charleroi n’ait pas d’université ?
  • Avec les grands travaux, de nombreuses nuances de gris carolorégien vont disparaître, non ?

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