Coralie Ramon

« J’ai tenté de m’abonner à la STIB… j’ai fini par m’acheter un vélo »

Coralie Ramon Journaliste à Trends-Tendances.

Un banal mardi matin, boulevard général Jacques, à Bruxelles. Il ne reste rien de mon volant. Je viens, excédée, d’en dévorer le dernier bout.

Magie du parcours de l’embouteillée chronique. Qui transforme, le temps d’un (ou deux ou trois) feu rouge, le plus charmant des bipèdes (moi) en méconnaissable Lord von Surkatrou M’prendpalchou (toujours moi).

J’avance d’un mètre quand mon regard se pose sur un tag barbouillant l’abribus sur ma gauche : You’re not stuck in the traffic. You are traffic. Hum. C’est si vrai que j’en oublie de profiter des 20 secondes que le panneau tricolore me concède pour avancer. Résultat : une centaine de voitures me gratifient d’un tonitruant concerto pour klaxons en la majeur.

C’en est trop. Quand 47 minutes plus tard j’arrive au bureau, j’écris à Sabrina*, des RH, pour lui dire que j’abandonne ma C4, son lot de stress et de transformismes. Exit la voiture de société. Je profiterai désormais du calme et de la constance des transports en commun. Sabrina m’informe en retour – c’est super ! – que mon employeur m’offre 80 % de mon abonnement STIB, qu’elle se charge de remplir les papiers nécessaires et me les envoie. « Vous pouvez ensuite aller au guichet avec le document et là vous ne devez rien payer », m’écrit-elle.

Pleine de bonne volonté et de légèreté, je me dote donc de ma carte d’identité et de trois photos (on ne me l’a fait pas, à moi, j’ai des années estudiantines de files STIB dans les jambes) et me rends dans la station de Montgomery –place to be des navetteurs, pensais-je. Arrivée au guichet, je brandis mon précieux sésame, celui qui devait m’ouvrir les portes jaunes et bleues du trajet du bonheur.

L’homme derrière la vitre s’en saisit, l’observe comme s’il était rédigé en araméen, me demande une ou deux explications complémentaires et finit par me dire que, ici, je suis dans un Kiosk et que dans les Kiosk on renouvelle les abonnements. On ne les crée pas. Puis il me tend un folder des Bootik, ces lieux où la technologie avancée permet de délivrer une carte Mobib aux primo-arrivants « stibiens ». Bien.

Le lendemain je (re)rassemble mes photos, ma carte d’identité et mon sésame et me rends dans la Bootik de la station Roodebeek. En arrivant, je comprends ma méprise : les Bootik, ça n’a rien à voir avec les Kiosk. C’est beaucoup plus grand. Les Bootik, d’ailleurs, ce ne sont pas une, mais trois personnes toutes prêtes à vous délivrer un abonnement. En plus – chance ! – il n’y a pas de file. C’est donc en sautillant ou presque que je me dirige vers le premier guichet qui se présente à moi et que je salue avec entrain la dame derrière la vitre. Celle-ci lève alors les yeux et, sans un mot, m’indique de l’index un distributeur de tickets situé de l’autre côté de la station, afin que je sache à tout instant à quel stade de la (non)file je me situe. Docile, je m’exécute. Et j’attends patiemment (mais quand même un peu énervée) que l’écriteau indique mon numéro.

(…)

Beep – Je me dirige vers le guichet indiqué. Et je (re)sors mon sésame. L’homme (sa collègue étant décidément bien trop occupée) le regarde si longtemps que je finis par jeter un oeil aussi (« Mince c’est peut-être vraiment de l’araméen… Ah non. »). Il me (re)demande une ou deux explications supplémentaires et finit par me montrer le bas du document : handtekening/stempel, suivi de la signature de Sabrina.

– L’homme : « Il manque le cachet. »

– Moi, pensant encore qu’une forme de négociation est possible : « Euh… Mais ce signe, une barre oblique, ça signifie ?et/ou?, non ? »

– L’homme : « Stempel ! Ça veut dire cachet. »

– Moi, un peu vexée que mon bilinguisme avancé ne se lise pas sur mon visage : « Je sais, mais je pense que slash ça veut dire qu’on peut mettre la signature ou le cachet. »

– L’homme : « Non. Il faut les deux. »

Bien.

Je remballe donc mes photos, ma carte d’identité, mon sésame et je retourne au bureau, d’où j’appelle Sabrina, qui me promet de me renvoyer un document estampillé des signatures et cachet. Nécessaires… pas suffisants…

La semaine d’après je me rends, le nouveau document plié en trois dans mon portefeuille, dans la Bootik de Roodebeek. J’arrive – pas de file, mais ticket quand même – et attends patiemment mon tour.

(…)

Beep – je me dirige vers le guichet indiqué, un rien moins enjouée évidemment… mais quand même. Je tends mon document à l’homme. À mon grand étonnement, il jette à peine un regard au papier, ne me demande aucune explication supplémentaire, décroche son téléphone et discute quelques bonnes minutes avec son interlocuteur, à grands coups de haussements d’épaules et de froncements de sourcils.

Puis il active le parlophone et me dit, montrant cette fois le haut du document :

  • « Votre papier, je ne peux pas l’accepter. Il est déchiré. »Moi, maintenant excédée : « Quoi ? » Lui, restant très calme, répète en détachant un peu plus chaque syllabe : « Votre papier, je ne peux pas l’accepter. Il est déchiré. »Moi : « Vous rigolez ? Il est juste plié ! »
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Et je lui explique mes embûches pour obtenir mon abonnement, argumentant à coup d’enfants en bas âge et de mari à l’étranger, inventant même une ou deux tentatives avortées pour apitoyer le bonhomme. Rien n’y fait.

  • Lui, toujours calme : « Madame, ceci est un document officiel. Si votre carte d’identité était dans cet état, la commune vous la refuserait. Les documents officiels, il faut en prendre soin, en les transportant dans une farde. »Moi, maîtrisant mes nerfs : « Monsieur, je n’ai pas 12 ans. Ne me donnez pas de leçons. D’ailleurs, vous allez rappeler cette personne que vous avez eue et lui dire que, selon moi, ce papier n’est pas déchiré. C’est tout juste s’il est corné. »

L’homme désactive le parlophone.

Re-décroche le téléphone.

Re-discute.

Re-hausse les épaules.

Re-fronce les sourcils.

Ré-active le parlophone.

  • Lui : « Je ne peux pas l’accepter. »Moi, sans voix.Lui : « Vous comprenez, c’est un document officiel que la STIB va devoir conserver. Si je l’accepte dans cet état, dans 10 ans, il n’en restera rien. »Moi : « Ce serait fâcheux, en effet. Mais vous allez quand même me donner votre nom, parce que je ne trouve pas normal que vous refusiez pour la troisième fois ce papier, qui vaut tout de même 500 euros. Donc j’aimerais pouvoir en référer à votre hiérarchie. »Lui : « Non »Moi : « Je m’excuse, mais vous ne devez pas être très sûr de votre coup, si vous refusez de me donner votre nom. »Lui : « Vous n’avez qu’à dire à quelle heure vous êtes venue et à quoi je ressemble. »

Puis, se rendant probablement compte du ridicule de la situation il m’indique l’écriteau de la caisse.

  • Moi, carrément désagréable : « Vous vous appelez Christian* Bienvenue/Welkom ? Eh bien, laissez-moi vous dire, Christian Bienvenue/Welkom que vous portez très mal votre nom. Au revoir ! »Christian Bienvenue/Welkom, d’un ton presque guilleret : « Au revoir ! Et bonne journée ! »

C’était le 17 juin 2015. Il était 12h08 et mon ticket portait le numéro 107. J’ai songé un instant à rappeler Sabrina, à reprendre ma C4. Puis j’ai repensé à mon ancienne moi, bouffeuse de volant, et je me suis acheté un vélo. Tout simplement.

*nom d’emprunt

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