Groupe du vendredi

Instaurer un service civique ou militaire obligatoire permet de nous armer contre la polarisation croissante

Groupe du vendredi Forum composé de jeunes provenant de divers horizons qui prennent du temps pour la réflexion et le débat

Aujourd’hui aussi, nous sommes en guerre. Et nous ne luttons pas uniquement contre les djihadistes de l’Etat Islamique. Plus près de nous, depuis la récente vague d’attentats, il nous faut d’abord nous armer contre la polarisation croissante entre les musulmans (européens) d’une part et le reste de la communauté.

Alors que la Première Guerre mondiale sévissait depuis un an, le célèbre économiste britannique John Maynard Keynes sentait la tempête du service militaire obligatoire venir. En tant que conseiller au Trésor britannique, il écrivit à partir de 1915 plusieurs notes internes mettant en garde contre les conséquences économiques désastreuses du service militaire obligatoire pour le Royaume-Uni. Un Anglais mort apporte moins à l’effort de guerre qu’un Anglais qui paie ses impôts, argumentait Keynes. Malgré cela, le Military Service Act fut promulgué en 1916 et Keynes, à l’époque âgé de 33 ans, fut appelé à prendre les armes pour défendre son pays. Il continua cependant à refuser de rejoindre les forces armées ayant une « objection morale de remettre ma liberté de jugement sur une question aussi vitale que le service militaire ».

Aujourd’hui aussi, nous sommes en guerre. Et nous ne luttons pas uniquement contre les djihadistes de l’Etat Islamique. Plus près de nous, depuis la récente vague d’attentats, il nous faut d’abord nous armer contre la polarisation croissante entre les musulmans (européens) d’une part et le reste de la communauté. Depuis le 22 mars, UNIA a ainsi recensé davantage de plaintes islamophobes et antisémites. Aux États-Unis et en France, on fait état d’une augmentation de la violence envers les musulmans depuis les attentats, ce qui incite certains jeunes à vaciller dans le cercle vicieux d’une interprétation plus radicale et plus fondamentaliste de l’islam tournée contre l’Occident.

Apprendre à (mieux) se connaitre pour mettre un terme aux préjugés et à la discrimination constitue une étape indispensable si nous souhaitons apaiser les tensions croissantes entre les communautés. Or, dans nos villes, les communautés vivent en grande partie les unes à côté des autres : elles habitent des quartiers différents, fréquentent des écoles différentes, se rendent dans des associations différentes, et côtoient des amis différents. En dehors des villes, la situation est encore pire : là, il faut se contenter d’informations souvent négatives relayées par les médias pour se forger une image des musulmans.

Apprendre à (mieux) se connaitre pour mettre un terme aux préjugés et à la discrimination constitue une étape indispensable si nous souhaitons apaiser les tensions croissantes entre les communautés.

Vivre à nouveau ensemble paisiblement, dans le respect des convictions mutuelles et endéans le cadre normatif des Lumières, voilà ce que doit devenir la Grande Paix de notre génération. Mais comment y parvenir si nous avons perdu tout contact, si les ponts fragiles laissent la place à la politique de l’isolement comme au Royaume-Uni et en Hongrie, et bientôt peut-être en Autriche, en France et aux États-Unis ?

Si, comme Keynes il y a 100 ans, nous sommes en guerre, ne devons-nous pas relancer le débat de l’obligation d’un service citoyen, civique ou militaire, pour chaque Belge âgé de 18 ans ?

Théodore Roosevelt appelait le service militaire « l’école de la Nation » quand, au début du 20e siècle, l’Amérique connut une nouvelle vague d’immigration. Le 29 juin dernier, l’Assemblée nationale française a adopté un amendement rendant le service civique obligatoire en France. Quoique le projet de loi risque d’échouer, il fait écho à une réflexion menée depuis 20 ans dans la plupart des hémicycles parlementaires européens sur l’instauration d’un engagement obligatoire de jeunes entre 17 et 23 ans pour s’engager dans la société et favoriser la mixité sociale. Le fait que cette proposition ressurgisse suite aux attentats de Charlie Hebdo et de Paris n’est donc pas anodin.

Plus que tout, le service civique permettrait en effet un brassage social qu’aucun autre service public n’offre aujourd’hui, pas même l’école malheureusement. Il doit aider à combattre la discrimination et le racisme, mais tout autant pour démanteler les bombes à retardement que sont devenus les quartiers chauds et offrir de nouvelles opportunités aux plus défavorisés. Le service permettrait également de rétablir un contact avec la notion de droits et devoirs citoyens. Loin des leçons rébarbatives, expérimenter le rôle d’une institution étatique et ses limites, c’est comprendre ce qu’elle offre et ce dont elle manque cruellement.

Concrètement, l’obligation d’un service civique pourrait former la base d’un nouveau contrat social pour notre pays : les jeunes âgés de 18 ans seraient attribués à une service civique et mentor pendant 1 an via. En même temps, il se construisent des droits civique et sociaux, tels que le droit de vote, une pension et l’accès à nos excellents soins de santé. Grâce à un algorithme qui tient compte des préférences personnelles et maximise la diversité, des jeunes et des communautés qui n’ont pas forcément l’habitude de se côtoyer rentreraient en dialogue.

Beaucoup de détracteurs dénoncent cependant l’effet punitif de cette mesure. Ils défendent un modèle volontaire, davantage porteur, moins cher et moins coercitif. Peut-être, mais on y perdrait toute la vertu du brassage social car ce sont précisément les jeunes les plus réceptifs à la mixité et aux devoirs citoyens qui s’engageraient. Par ailleurs, un récent sondage pour Unis-Cité en France révèle que deux tiers des jeunes sont favorables au caractère obligatoire du projet. Il serait intéressant d’ouvrir le débat chez nous pour voir ce qu’en pensent les jeunes belges.

Reste la cherté de la proposition, qui elle, est avérée. Si le débat sur le service civique obligatoire n’est pas neuf en Europe, il a souvent été avorté faute de budget. Selon les études, une année de service civique coûterait près de 10.000 euros par jeune par an pour s’assurer d’un revenu suffisant pour vivre comme bénévole tout en étant encadré. Si tous les jeunes belges font une année de service civique obligatoire à 18 ans, cela représenterait un budget de près d’un milliard d’euros par an.

Ce montant est bien sûr conséquent. Mais quel est le coût de la passivité ? De communautés de plus en plus distantes, qui ne se connaissent plus (ou ne cherchent plus à se connaître) ? Combien coûtent la discrimination et le racisme, combien coûtent la radicalisation et la violence ? Le Keynes de 2016 aurait-il toujours la même opinion à propos de l’obligation du service militaire ou civique que le Keynes de 1916 ? Nous ne le saurons jamais, mais l’économiste affirmait cette année-là qu’il est « insupportable de voir nos jeunes périr, d’abord à l’ennui et au malaise, et ensuite à l’horreur de la guerre ». La dessus, nous sommes d’accord.

Par Maxime Parmentier, économiste et entrepreneur, Brieuc Van Damme, économiste et président du Groupe du Vendredi, une plate-forme politique pour jeunes d’horizons divers, soutenue par la Fondation Roi Baudouin www.groupeduvendredi.be @Friday_Group

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire