L'armée a bien été présente à Chaudfontaine dès le début mais "sans le matériel adéquat", estime son bourgmestre Daniel Bacquelaine. © PHOTONEWS

L’intervention de l’armée à la hauteur?

Des bourgmestres et des sinistrés jugent que l’armée est intervenue tardivement sur le front des inondations et manquait d’effectifs et d’équipements. Au moment critique de l’évacuation des populations de la vallée de la Vesdre, des communes ont appelé les militaires en vain.

L’intervention de l’armée sur le front des inondations dévastatrices de la mi-juillet laisse, chez certains élus locaux et sinistrés, une impression de trop peu. Surtout dans la vallée de la Vesdre, zone la plus touchée et où les victimes ont été les plus nombreuses. Lors de l’évacuation des populations menacées par les eaux, des militaires ont été envoyés à Chaudfontaine comme à Liège, mais ils ont été attendus en vain ou sont arrivés trop tard à Trooz, Pepinster, Verviers, Dolhain, Eupen… Défaillance du centre de crise provincial dépassé par l’ampleur du désastre? Moyens humains et matériels de la Défense insuffisants ou inadaptés? Un mois après le drame, l’heure est au bilan, aux leçons à tirer des événements.

L’armée n’intervient qu’en appui d’autres acteurs et seulement pour répondre aux situations d’urgenceu0022, rappelle-t-on au cabinet de la Défense.

Les forces armées ont prouvé leur efficacité en opérations, notamment lors de missions à l’étranger. Elles peuvent déployer des capacités de transport, de génie, de logistique: construction de ponts provisoires et de camps de tentes, coordination de la distribution de soins et de vivres, mise en place d’une communication stratégique, sécurisation des lieux… On peut aussi rappeler l’intervention rapide des militaires à Dison et Verviers après le passage, le 29 mai 1956, d’un violent orage accompagné de grêle. La tornade avait fait quatre morts et des dégâts considérables dans ces deux communes: pavés des rues arrachés, murs éventrés, centaines de maisons sinistrées… Les soldats du génie d’Amay avaient immédiatement été réquisitionnés par le ministre de la Santé publique Edmond Leburton, qui craignait les pillages et les épidémies.

Matériel inadéquat, hélicos au sol

Soixante-cinq ans plus tard, l’action des services de secours est la cible de critiques. Daniel Bacquelaine, bourgmestre de Chaudfontaine, confirme que l’armée a bien été présente dans sa commune dès le début des inondations du mois dernier, mais pas avec le matériel adéquat, selon lui. « Des hélicoptères nous ont été promis, mais on ne les a jamais vus », ajoute-t-il. Daniel Bacquelaine estime que la Défense est en « déficit d’équipements spécifiques » et qu’il faudrait « y réintroduire une véritable culture du sauvetage ». Le numéro 2 de la Défense ne le contredira pas: le lieutenant-général Marc Thys voit dans l' »érosion des services d’urgence » – Protection civile, pompiers, armée – l’une des causes qui ont compliqué les opérations de ces services dans l’est du pays. Selon lui, leurs capacités logistiques sont devenues très limitées en raison de la réduction d’effectifs et de moyens décidée par le gouvernement Michel Ier. « C’est comme ramer avec des rames devenues trop courtes », a assuré le « V-Chod » (vice-chef de la Défense) le 5 août, lors de l’émission Terzake de la VRT. Marc Thys souligne que les unités de génie de l’armée ne disposent plus de ponts portatifs « Bailey » pour remplacer des ouvrages civils endommagés et que les deux bataillons du génie – le 4e d’Amay et le 11e de Burcht – ont vu le nombre de leurs bulldozers réduit.

Le bourgmestre de Trooz, Fabien Beltran, confie qu’il a contacté directement l’armée, mais on lui a répondu qu’il fallait « passer par le gouverneur ». C’est lui qui peut solliciter les ministères de la Défense et de l’Intérieur, puis répartir les secours et l’aide en fonction des besoins. Il y aurait eu, selon plusieurs témoignages, des lacunes à ce niveau. « Huit militaires sont finalement arrivés dans ma commune, raconte le mayeur. Un effectif insuffisant pour répondre aux besoins. » Fabien Beltran a demandé lui aussi l’intervention d’un hélicoptère de la Défense. « On me l’a refusé car, m’a-t-on dit, il pleuvait et les appareils ne peuvent intervenir de nuit. » Le bourgmestre de Pepinster, Philippe Godin, reconnaît que l’armée s’est rendue dans son village, mais pas immédiatement. « Il y avait des soldats flamands et francophones. Les premiers se sont montrés efficaces, mais m’ont prévenu qu’une action supplémentaire au-delà de la première mission assignée exigeait une demande à faire remonter vers la haute hiérarchie, ce qui prendrait trois ou quatre heures. D’où une perte de temps avant une éventuelle remise au travail. Les francophones avaient moins le doigt sur la couture du pantalon. »

Compétences de secours éclatées

D’autres bourgmestres de la vallée de la Vesdre déplorent que l’armée ne soit pas intervenue dans leur commune avant quatre ou cinq jours. La question du coût des opérations est soulevée par l’un d’eux: « En cas de plan d’urgence fédéral, l’Etat central règle la note, mais ce n’est pas le cas pour un plan provincial. » Un mandataire de Malmedy pointe trois couacs dans le déroulement des opérations: les hélicoptères de l’armée cloués au sol le 15 juillet pour cause de mauvais temps, cinq cuisines de campagne disponibles en tout et pour tout, et des compétences de secours éclatées entre le fédéral, dont dépendent les gouverneurs de province, les Régions et les communes.

Le politologue verviétois André Dumoulin, professeur à l’ULiège et spécialiste des questions de Défense, apporte un autre éclairage: « L’ aide à la nation est l’une des tâches dévolues aux forces armées, mais elle a été reléguée au second plan pendant des décennies. Les militaires sont surtout formés pour les opérations extérieures et la défense collective du territoire. Ces dernières années, ils ont toutefois dû assumer des missions de sécurité intérieure face à la menace terroriste et, plus récemment, des tâches d’assistance à la nation dans le cadre de la crise sanitaire. La ministre de la Défense, Ludivine Dedonder, tient à ce que l’aide au pays devienne une priorité majeure pour l’armée, au même titre que l’ engagement dans les opérations à l’étranger. On verra si la catastrophe de juillet conduit la Défense à retoucher son Plan stratégique. »

Après la phase critique d’évacuation des populations, l’armée est intervenue en fonction des besoins locaux: livraison de sacs de sable, déploiement de grues, pompes et excavatrices, transport de lits de camp et de vivres, mise en place de cuisines de campagne, de conteneurs-douches et de tentes, déblayage des débris, renforcement des digues… Aurait-elle pu faire mieux, et plus vite? « Il est trop tôt pour l’affirmer, nous répond Rodolphe Polis, porte-parole du cabinet de la Défense. Les militaires n’interviennent qu’en appui d’autres acteurs comme les pompiers, la Protection civile ou la Croix-Rouge. Il leur faut un mandat légal, notamment pour sécuriser une zone afin d’éviter les pillages. Les demandes d’aide des communes sont traitées par le gouverneur, qui peut solliciter l’aide de l’armée via le commandant militaire de province. »

Effectifs de l’armée limités

La Défense a mis plus de 1 500 militaires à la disposition des secours en provinces de Liège, Namur, Luxembourg et Limbourg, précise encore le cabinet Dedonder. « Ce n’est pas rien, car les effectifs opérationnels sont limités: des soldats sont en opération à l’étranger ou se préparent à s’y rendre. D’autres sont toujours déployés en rue et autour des sites nucléaires dans le cadre de la surveillance antiterroriste. Une partie des effectifs occupe des fonctions administratives. Par ailleurs, l’armée ne peut aider qu’en situation d’urgence. Il n’est pas question pour elle de se substituer aux administrations civiles ou au secteur privé pour la reconstruction de ponts et autres infrastructures. »

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