A Dinant aussi, des rues entières se sont effondrées. Même à un ou dix millions près, le ministre wallon des Infrastructures est incapable d'estimer ce que coûteront les réfections. © belga

Inondations: la facture des dégâts, forcément colossale

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Combien ? Deux semaines après les inondations, la question est sur toutes les lèvres. Celles des citoyens sinistrés, qui craignent le verdict des assurances. Celles des pouvoirs publics, qui redoutent la facture des dégâts. Car celle-ci sera forcément colossale : aucune catastrophe naturelle n’avait, jusqu’à présent, autant détruit.

« A votre avis, combien ? » « Aucune idée, Madame », répond en substance l’avocat. « Même pas une fourchette ? » insiste la sinistrée, venue quérir quelques conseils à la permanence juridique organisée par le barreau de Liège dans les centres d’accueil des zones qui, il y a deux semaines, furent englouties par des torrents boueux.

Mais l’homme de loi ignore complètement ce que les compagnies d’assurance pourraient bien indemniser. A vrai dire, elles-mêmes n’en savent absolument rien. Elles font les comptes, bien sûr: des milliers de dossiers leur parviennent.

Quelque 5 700 (dont 600 pour des voitures) chez AG, l’un des plus importants assureurs du pays, en date du 18 juillet (la firme ne communique pas de données plus récentes). Plus de 7 000 chez Ethias, « et ce sont plutôt les petits sinistres qui ont été déclarés en premier, observe Serge Jacobs, porte-parole. Certains n’ont peut-être pas encore eu l’opportunité de faire une déclaration. » D’autres assureurs contactés n’ont pas souhaité avancer de chiffres. Impossible, donc, de répondre précisément à cette question que tous se posent. Combien ? Combien de personnes ont tant perdu ? Combien recevront-elles d’indemnités ? Combien de bâtiments publics faudra-t-il reconstruire ou rénover ? Combien de routes, d’infrastructures, d’écoles ?

Combien les inondations coûteront-elles à la collectivité ? En province de Liège, plus de 30 000 personnes auraient été victimes de la catastrophe. A Trooz, l’une des communes les plus touchées, 47 % de la population est concernée. A Esneux, c’est « un bon 30 %, dont 10 % très sévèrement, estime la bourgmestre, Laura Iker (MR). On avait déjà connu une grosse inondation dans les années 1990 mais, à ce point-là, c’est incomparable. » L’élue serait bien incapable d’évaluer le montant des dégâts. Des millions d’euros, c’est certain. Car au-delà des biens privés, subsistent les espaces publics à réhabiliter. Liège, défigurée dans ses quartiers d’Angleur et de Chênée, a ainsi fait le point sur ses bâtiments dégradés. Sept ont « juste » eu leur cave inondée (cinq écoles, une bibliothèque et le musée de La Boverie), mais douze (quatre écoles, deux crèches et six administratifs) ont vu leur rez-de-chaussée englouti. La Fédération Wallonie-Bruxelles est occupée à faire le compte des écoles sinistrées. Selon le Segec (Secrétariat général de l’enseignement catholique), plus de quarante seraient concernées en région liégeoise. Le ministre des Infrastructures scolaires, Frédéric Daerden, a d’ores et déjà avancé cinq millions d’euros pour les réparations.

Rien qu’à Esneux, une petite centaine de rues sont abîmées (un peu, beaucoup, « certaines sont redevenues des chemins pierreux »).

Puis il y a les routes. Juste un petit exemple : une petite centaine de rues sont abîmées (un peu, beau-coup, « certaines sont redevenues des chemins pierreux ») rien qu’à Esneux. Aucun Liégeois n’oubliera l’image du tunnel de Cointe complètement submergé ; le pompage des eaux était toujours en cours au moment de rédiger ces lignes. « Il y aura ensuite la phase de net-toyage et alors, seulement, on pourra évaluer les dégâts », considère Corentin Vuylsteke, adjoint en communication à la Sofico (Société wallonne de financement complémentaire des infrastructures). Au cabinet du ministre wallon des Infrastructures, Philippe Henry (Ecolo), on confirme qu’une estimation est actuellement encore impossible, « même à un ou dix millions près ».

D’autant qu’il faudra prendre en compte les coûts moins visibles, comme celui – « colossal » – du traitement des déchets, ou encore la réparation des voies hydrauliques, la navigation n’ étant toujours pas complètement rétablie. Voies ferroviaires : pareil. Des kilomètres et des kilomètres sont à refaire, 25 lignes sont concernées, 70 000 tonnes de ballast ont dû être réacheminées sur les lieux, selon Infrabel, le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire belge. Le trafic ferroviaire international depuis la mer du Nord jusqu’à la Méditerranée reste à l’arrêt, les itinéraires principal et de secours étant tous deux HS. Il faudra aussi réparer tous les dommages électriques et électroniques, sécuriser les talus aux abords des voies… « Un tel impact sur le réseau ferroviaire, c’est inédit« , commente Frédéric Sacré, porte-parole. L’impact financier risque de l’être aussi.

Tunnel de Cointe
Tunnel de Cointe© belga

Deux milliards wallons

Chez Resa, le principal opérateur des réseaux de distribution d’électricité et de gaz en province de Liège, la première estimation des réparations s’élève à près de l’équivalent d’une année d’investissement sur l’ensemble du réseau. Soit 65 millions. Vingt pour l’électricité (réparation de cabines, reconstruction de cinquante kilomètres de réseau, changement d’environ 7 500 compteurs) et quarante-cinq pour le gaz (4 000 compteurs à changer et quarante-cinq kilomètres de conduites à remplacer, soit plus du double de la cadence annuelle). Des travaux qui, pour certains, ne pourront pas être réalisés avant plusieurs mois, car dépendants d’autres partenaires.

Idem pour les canalisations d’eau, également défaillantes à certains endroits. La Cile (Compagnie inter-communale liégeoise des eaux) ne s’est pas (encore) risquée à une estimation, elle dont les caves de son siège (abritant le magasin et une partie des pièces de fontainerie) ont été inondées…

« Soyons honnêtes, pour aider nos concitoyens, entreprises et communes, nous aurons collectivement besoin de montants colossaux non encore estimables », déclarait le 20 juillet le ministre-président wallon, Elio Di Rupo (PS), en annonçant un plan de reconstruction régional de deux milliards d’euros. Plus 200 millions sur fonds propres pour refinancer le Fonds des calamités, et 800 millions du plan de relance Covid qui seront « réorientés à la lumière de la catastrophe ». Il se murmure ainsi que le centre sportif de haut niveau pourrait être sacrifié. Et que le fédéral pourrait davantage délier les cordons de la bourse, au-delà des 21 millions débloqués pour les CPAS. La Wallonie espère solliciter le fonds de solidarité de l’Union européenne, qui n’est toutefois accessible qu’aux dégâts dépassant 2,8 milliards d’euros, à de strictes conditions. En Allemagne, pays également touché par des crues dévastatrices, la fédération des assureurs a estimé l’intervention des compagnies à cinq milliards d’euros, se basant notamment sur les enseignements d’une inondation d’ampleur datant de 2002. Les assurances belges manquent, pour leur part, de références : les dernières inondations, bien moins destructrices, datent de 2016 et avaient coûté 143 millions, toutes compagnies confondues. Soit 5 000 à 6 000 euros en moyenne par sinistre. Ce sera cette fois plus, forcément plus…

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