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« Il y a une perte de crédibilité de la parole politique de crise »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les partis ne souhaitent plus jouer les figurants et reviennent aux tensions d’avant, constate Nicolas Baygert, professeur de communication politique. Résultat:  » La communication de crise est en crise.  » Voilà pourquoi le Conseil national de sécurité du jour est crucial.

Le Conseil national de sécurité, en cours ce mercredi matin, s’inscrit dans une période compliquée pour la Première ministre, Sophie Wilmès (MR) et les ministres-présidents des entités fédérées. Suite à la communication tardive et confuse du vendredi 23 avril, et aux critiques qui ont suivi pour dénoncer un « manque d’humanité », les autorités doivent reprendre la main pour maintenir le respect des mesures au cours de ce déconfinement progressif, tout en étant attentive à un éventuel rebond de l’épidémie. Le tout dans un contexte politique compliqué, avec la fin de la grande union nationale, et économiquement sensible, avec une pression maximum pour la reprise des activités.

« Nous sommes dans une période de transition qui n’est pas évidente à gérer, acquiesce Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’Ihecs et à l’ULB. Suite à ce ‘vendredi noir’, il y a une perte de crédibilité des politiques qui peut amener à une perte d’adhésion aux mesures. Il y a en outre une repolitisation des débats en parallèle avec le début du déconfinement qui ne rend plus les choses aussi lisibles que ce n’était le cas auparavant. Enfin, c’est une situation dans laquelle le rôle des médias, surtout audiovisuels, ne doit pas être sous-estimé. » Une allusion, notamment, aux heures de directs inutiles lors du dernier Conseil national de sécurité, qui ont fait fortement monter la pression. D’où l’importance, cette fois, de bien gérer l’horaire.

On constate, dit Nicolas Baygert, un changement de grille de lecture au sujet de la Première ministre. « Sophie Wilmès semblait faire un sans-faute. Ella avait réussi à neutraliser le débat, à sanctuariser la parole politique, un peu à l’image de la trêve sacrée des Jeux olympiques. Cette conférence de presse et les critiques qui ont suivi ont marqué pour elle la fin de l’état de grâce. »

Cette rupture est autant l’effet d’une gestion compliquée de l’annonce du plan de déconfinement que d’un retour des rivalités traditionnelles. « Il y a visiblement une volonté de la part des partis de mettre fin à un mutisme de plus en plus intenable. Se taire pour laisser la place à une communication de crise, c’est un travail d’abnégation contre-intuitif pour la plupart des politiques. Cela devient intenable pour eux d’autant que la crise s’enlise. Tout le monde en en marre, d’autant plus que l’on n’a aucune feuille de route. Ce qui nous attend, c’est une nouvelle normalité à laquelle il faut s’habituer. »

C’est dans ce contexte que les partis qui soutiennent Wilmès II de l’extérieur ont annoncé leur volonté de lui retirer la confiance fin juin et d’ouvrir des négociations pour un nouveau gouvernement. « Depuis, nous assistons à un retour en force de la communication politique partisane avec une volonté des partis de regagner du capital auprès des citoyens, quitte à ce que cela se fasse sur le dos de la communication de crise. C’est un choix stratégique. »

Cela s’accompagne, aussi, d’une volonté pour les politiques de retrouver leur leadership et la primauté sur les experts qui ont occupé le devant de la scène durant des semaines. « On a un peu l’impression qu’ils oublient que la situation n’a pas fondamentalement changé. Les gens restent majoritairement confinés chez eux et nous venons de franchir le cap des 8000 morts. Il y a une volonté pour eux de reprendre l’ascendant sur cette narration de crise qui les renvoyaient au statut de figurants. Le résultat de cela, c’est que la communication de crise est en crise. »

Voilà pourquoi la communication de ce mercredi, à l’issue du Conseil national de sécurité, est importante. « Les communicants politiques, j’entends par là la Première ministre et les ministres-présidents, doivent regagner la confiance, faute de quoi ils risquent de perdre l’adhésion de la population. Il faut revenir à la pédagogie de la gestion de la crise et, pourquoi pas, parler de la complexité de sa gestion. Nous devons aussi avoir des perspectives au-delà de cette période de transition. Nous avons aujourd’hui besoin de transitologues en plus des virologues ou des politologues. Plus que jamais, nous avons besoin d’une grille de lecture lisible pour l’avenir, au-delà des propos partisans de partis qui reposent encore sur la société d’avant le coronavirus. »

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