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Il y a 20 ans, le cataclysme social de Renault Vilvorde

Le 27 février 1997 aurait dû être un jour comme les autres pour les travailleurs de Renault à Vilvorde. Et pourtant… Retour sur un licenciement collectif qui a changé la donne.

Le site avait été choisi l’année précédente comme usine pilote pour construire la nouvelle Megane et la direction s’était montrée rassurante face à une situation financière pourtant peu encourageante. Mais ce jeudi-là, les ouvriers de l’équipe du matin constatent que de nombreux véhicules ‘Megane’ et ‘Clio’ sont évacués du parking de stockage, laissant présager que « quelque chose est en train de se passer ». Le même jour, un conseil d’entreprise extraordinaire est convoqué dans l’urgence et les journalistes sont précipitamment invités à une conférence de presse à l’hôtel Hilton, à Bruxelles.

Après les regrets d’usage, la direction de la filiale belge de Renault finit par y annoncer que le groupe a décidé de rationaliser sa production et dès lors de « mettre un terme à ses commandes de véhicules assemblés à Renault Industrie Belgique », entraînant de facto la fermeture du site de Vilvorde où travaillent à l’époque 3.098 personnes, dont 2.635 ouvriers. « Malgré la reconnaissance de la qualité de production de Renault Industrie Belgique et les efforts importants consentis ces dernières années pour améliorer la productivité, les activités du site cesseront en juillet 1997 », écrit notamment le groupe dans une communication au conseil d’entreprise.

Renault était présent en Belgique depuis 1908 et à Vilvorde depuis 1925. Sonnés par cette annonce, les délégués syndicaux informent les travailleurs dans le réfectoire de l’usine. L’occupation du site est décidée et les clés des 5.300 véhicules déjà assemblés sont confisquées au titre de ‘butin de guerre’. Le bras de fer entre les travailleurs et la direction du groupe français, largement médiatisé, durera finalement cinq mois.

Un outil qui a ses limites

Face à l’émoi suscité par cette décision abrupte et unilatérale, le monde politique se saisissait de l’affaire et approuvait une loi rendant plus contraignante la procédure à suivre en cas de licenciement collectif. Nous étions le 13 février 1998 et la loi Renault venait de naître.

Cette loi impose notamment, sous peine de sanctions, une information préalable aux travailleurs ou à leurs représentants annonçant l’intention de licenciement collectif. L’employeur est ainsi contraint d’indiquer par écrit les raisons du licenciement, le nombre et les catégories de travailleurs concernés, la période durant laquelle les licenciements seront effectifs et la méthode de calcul des indemnités, s’il y en a. La loi impose également une concertation sociale orale avec les représentants des travailleurs. Ces derniers peuvent poser des questions, formuler des suggestions et demander des mesures d’accompagnement. La direction doit écouter, mais aucune obligation de résultat n’est prévue. En d’autres termes, avant la loi Renault, une entreprise pouvait convoquer un conseil d’entreprise le matin et fermer l’usine concernée dans la foulée. Depuis 1998, une procédure de consultation et de concertation doit être respectée sans pour autant que la direction ne soit contrainte d’accéder aux demandes des syndicats. Conscient de ces lacunes, le législateur a remis plusieurs fois la loi sur le tapis afin de l’améliorer. En septembre dernier, quelques semaines après l’annonce de l’intention de fermeture du site de Caterpillar à Gosselies, le ministre de l’Emploi Kris Peeters a ainsi soumis au Groupe des Dix une proposition prévoyant qu’outre le conseil d’entreprise, le parlement et les entités fédérées soient également obligatoirement informés par l’employeur de son intention d’activer la loi Renault. Elle préconise également qu’une analyse d’impact intègre les sous-traitants et que le rôle du médiateur social soit renforcé. Enfin, le plan social deviendrait obligatoire et vaudrait pour tous les travailleurs de l’entreprise. « Une initiative respectable, mais incomplète et si peu ambitieuse que la montagne ne pourra qu’accoucher d’une souris », a déjà répondu la CSC à Kris Peeters.

Ces longues semaines de conflits sont marquées par des grèves, dont l’une des premières grèves européennes quand toutes les usines Renault arrêtent le travail le 7 mars 1997; par des manifestations rassemblant plusieurs milliers de personnes tant à Bruxelles qu’à Paris et par des actions de boycott de la part des communes et des administrations qui annulent leurs commandes. Le Premier ministre de l’époque, Jean-Luc Dehaene – originaire de Vilvorde – y voit l’occasion de travailler à une Europe plus sociale.

La commission européenne s’en mêle également, estimant que la décision de fermeture est contraire à la réglementation européenne en matière d’information et de consultation préalable des travailleurs. Le 16 mars, quelque 70.000 personnes marchent « pour l’emploi » dans les rues de Bruxelles. Trois jours plus tard, les syndicats belges et français rencontrent la direction du groupe. C’est la douche froide: « la décision est irrévocable », répète inlassablement le président de Renault, Louis Schweitzer. En avril, alors que les ventes de Renault s’effondrent de plus de 40% en Belgique, le tribunal du travail de Bruxelles déclare nuls la fermeture du site et le licenciement des travailleurs, un jugement qui est confirmé par un tribunal de Nanterre (France). Parallèlement, une première réunion de consultation est organisée. Le 14 avril, l’équipe du matin reprend le travail après un référendum, mais la production est de nouveau arrêtée dans l’après-midi. Le mois suivant débute par une nouvelle victoire juridique pour les travailleurs, la cour d’appel de Versailles estimant que l’annonce de la fermeture n’est pas valable, car le conseil d’entreprise européen de Renault n’a pas été consulté ‘en temps utile’. Mais à Vilvorde, le mouvement s’essouffle et le 26 mai, 87% du personnel opte par référendum pour le lancement des négociations sur un plan social. Prévoyant des prépensions et des mesures de reclassement, ce plan sera finalement approuvé à une très large majorité le 22 juillet 1997. L’usine, elle, sera fermée quelques jours plus tard.

Depuis, d’autres drames sociaux ont secoué la Belgique et l’industrie automobile s’y est réduite à peau de chagrin après la lourde restructuration de VW Forest et la fermeture de Ford Genk. Mais Renault Vilvorde a frappé à jamais les esprits, laissant le souvenir d’une lutte à armes inégales qui, faute d’empêcher l’inéluctable, aura tout de même conduit à l’adoption d’une loi plus contraignante en cas de licenciements collectifs.

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