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« Il n’y a qu’un seul vrai projet pour ce pays, celui des nationalistes flamands »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Trois interviews passionnantes dans la revue Wilfried évoquent l’avenir du pays. Bart De Wever (N-VA) et ses « deux démocraties », Zakia Khattabi (Ecolo) et la nécessité d’un contre-projet, Raoul Hedebouw (PTB) et son unitarisme social.

La Belgique dispose d’un gouvernement fédéral majoritaire. Mais elle reste à la croisée des chemins en vue des prochaines élections législatives – prévues, si rien n’explose d’ici là, en 2024. Le numéro d’automne de la revue politique Wilfried met cela en exergue à travers trois interviews passionnantes – et édifiantes – de Bart De Wever (N-VA), Zakia Khattabi (Ecoloe) et Raoul Hedebouw (PTB). Ces trois regards pour trois Régions – le Flamand, la Bruxelloise et le Wallon – témoignent de la crise existentielle que nous traversons, et l’épidémie de Covid n’y change pas grand-chose.

Dans le premier volet de ce triptyque national, Bart De Wever pronostique des années « très dures » pour la Belgique et se dit preneur d’un référendum sur sa survie si on venait à lui proposer. « Je ne suis pas très favorable aux référendums, d’une façon générale, explique-t-il. Condenser des problèmes très complexes en une phrase, obliger les citoyens à y répondre par oui ou par non, je pense que c’est compliqué et qu’on risque en plus de se retrouver avec un résultat peu clair. (…) On a eu un référendum en Belgique en 1950, à propos du retour de Léopold III, et c’était presque la guerre civile. Un référendum, c’est un truc dangereux. Mais si demain pour m’embêter on me donne un référendum, je l’accepte, car c’est aussi une opportunité pour mener le débat. Si on organise un référendum, je serai dans chaque salle de Flandre, de La Panne à Maasmechelen, pour dire ce que je pense de la Belgique. Et je crois que, dans une salle, je peux être très convaincant. »

Ce qu’il pense de la Belgique? Le leader nationaliste n’a évidemment pas changé d’avis et parle d’un enterrement annoncé. « La dislocation de la Belgique, c’est un processus très lent », dit-il. C’est la fameuse ‘évaporation’ dont il parle depuis dix ans… « C’est devenu très difficile d’expliquer à un étranger le fonctionnement de ce pays, dit-il. Alors, j’utilise des images simples. L’image des deux démocraties, mes visiteurs comprennent. (…) Imaginez donc, monsieur l’Argentin: vous avez voté à droite et on vous présente tout à coup un gouvernement à gauche qui est minoritaire dans votre région mais qui est formé par d’autres partis pour lesquels vous ne pouvez même pas voter. »

Sans surprise, le gouvernement De Croo, à ses yeux, n’est guère légitime: « En Belgique, aucun des deux plus grands partis du pays n’est représenté au gouvernement. Est-ce que ça existe quelque part dans le monde démocratique? Non, nulle part. On a maintenant un Premier ministre issu du septième parti au Parlement fédéral. Est-ce que ça existe quelque part ? Oui, en Lettonie. Dans tout le reste de l’Europe, c’est le premier parti, parfois le deuxième, qui livre le Premier ministre. »

Et encore: « On vient de rater une opportunité énorme en ne réussissant pas à former un gouvernement autour du PS et de la N-VA, un gouvernement qui aurait eu une base solide dans les deux communautés, notamment pour réaliser des réformes institutionnelles. Les prochaines années vont être très dures, pas seulement pour la N-VA mais pour l’ensemble du monde politique. Et bon, en Flandre, il existe une tradition d’extrême droite depuis cent ans, donc ce ne sont pas des gens qui sont mal organisés comme en Wallonie. Ces partis-là vivent maintenant dans une époque intéressante pour eux. On verra… »

Zakia Khattabi, désormais ministre fédérale Ecolo, souligne quant à elle: « Dans les débats institutionnels, il y a une dimension profondément humaine et émotionnelle. Moi, ça me touche de savoir que l’engagement politique se nourrit souvent d’une blessure profonde, même chez Bart De Wever. Je trouve ça bouleversant, vraiment. »

« Que manque-t-il en Belgique pour recréer de l’enthousiasme autour d’un projet commun?, demandent nos confrères de Wilfried. « Je ne préjuge pas du projet qu’on aurait dû mettre en place dans les années 1960 et 1970, mais force est de constater qu’aujourd’hui il n’y a plus qu’un seul vrai projet pour ce pays, c’est celui des nationalistes, répond Zakia Khattabi. Donc c’est à nous de proposer un contre-projet convaincant. Il y a quelques mois, presque tous les observateurs et acteurs politiques semblaient acquis à l’idée d’aller vers le confédéralisme. Mais l’étape raisonnable avant de passer au confédéralisme, ne serait-ce pas d’aller au bout de la logique fédérale? » La ministre écologiste plaide notamment pour une hiérarchie des normes claires, qui donne la primauté au fédéral.

Au passage, dans l’interview, elle réplique à la N-VA et à Theo Francken: « La valeur ajoutée de l’immigration marocaine, elle se trouve dans les mains de mon père, qui a été ouvrier, qui a construit Bruxelles. »

Enfin, Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB, souligne: « Mon combat pour l’unité de la Belgique n’est pas désespéré ». La volonté flamande de casser l’Etat repose sur celle de revenir sur les acquis sociaux, souligne-t-il: « Beaucoup de nos acquis sociaux construits depuis plus d’un siècle l’ont été à l’échelle nationale. On ne peut pas nier que les sous-régionalismes, notamment en Flandre, servent à casser ces acquis sociaux. »

Les « deux démocratie » évoquées par Bart De Wever? « Moi, ce que je vois, c’est qu’il y a énormément de points communs entre Wallons, Bruxellois et Flamands dans le ressenti par rapport à la crise, dans la volonté d’instaurer un impôt sur la fortune, dans l’attachement à la sécurité sociale. » Un combat désespéré? « Il n’y a pas de fatalité », plaide-t-il.

D’ici 2030, année du deux centième anniversaire de l’indépendance belge, le combat entre ces visions antagonistes risque d’être âpre.

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