Damien Ernst

« Il n’y a plus de bulle des certificats verts. Il y a juste un manque de courage politique du Gouvernement wallon »

Damien Ernst Professeur à l’Université de Liège

On discute beaucoup de la bulle des certificats verts ces derniers jours. Ce que je ne comprends pas c’est pourquoi on discute de cette bulle car elle n’existe plus. La seule chose qu’on peut photographier, c’est un Gouvernement wallon qui a décidément toujours peur de s’attaquer aux surprofits des gros producteurs d’énergie renouvelable. C’est comme si on préférait donc endetter largement le wallon à hauteur de 1,8 milliards chez BNP Paribas tout en freinant également le développement de la transition énergétique.

Pourquoi cette bulle n’existe-t-elle plus ? Pour mieux comprendre, faisons d’abord un petit rappel de base sur les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables et les marchés de l’électricité. Pour faire bref, un producteur d’électricité renouvelable produit de l’électricité verte et reçoit donc pour ce faire des certificats verts. La valeur garantie d’un certificat vert (CV) est de 65 €/MWh. Par exemple, une éolienne va percevoir un certificat vert de subside par MWh produit, soit donc 65 euros, et ce pendant 15 ans. En plus de récolter son subside de 65 euros par MWh produit, un producteur d’énergie éolienne vend aussi son électricité sur les marchés de gros. En 2017, le prix de l’électricité sur les marchés de gros était d’environ 35 €/MWh. Petit calcul de base : en 2017, une éolienne rapportait donc 35+65 €/MWh soit 100 €/MWh. On notera que, pour un industriel bien installé, genre Engie ou Edf-Luminus, l’éolien est déjà rentable à 85 €/MWh. Entendez par là que s’ils touchaient juste 85 €/MWh, ils développeraient déjà leurs projets éoliens. Pour la totalité des éoliennes déjà en place, la rentabilité est assurée à 100 €/MWh. (sinon les promoteurs ne les auraient pas construites vu que qu’ils se basaient au maximum sur un prix de marché de gros de l’électricité de 35 €/MWh).

Mais un phénomène fondamental est observé depuis quelques mois. Les prix de l’électricité sur les marchés de gros se sont mis à flamber. On parle maintenant de plus de 67 €/MWh pour l’année 2019. Et ces prix ne sont pas près de baisser. Pourquoi ? Car ce sont principalement le gas et le prix du CO2 qui déterminent aujourd’hui et qui détermineront demain les prix de l’électricité sur les marchés de gros et que le prix du gas et du CO2 sont structurellement en hausse. Or on donnera toujours un certificat vert de subside par MWh produit par une éolienne. Vous me suivez ? Tout cela fait que l’éolien rapportera par MWh produit 67+65=132 €/MWh. Soit, accrochez-vous, 32 €/MWh de plus que ce qu’il ne faudrait pour pouvoir assurer la rentabilité du pire du pire des parcs éoliens wallons.

Il y a donc d’évidence un surprofit de 32 €/MWh à aller chercher dans l’éolien.

Ou de manière similaire, on pourrait réduire de moitié (oui, de moitié !) le nombre de certificats verts accordés à l’éolien et ce sans jamais menacer la rentabilité d’un producteur d’énergie éolienne.

Combien pourrait-on ainsi économiser ? En 2019, on devra sans doute attribuer de l’ordre de 1,800.000 certificats verts à l’éolien. Olé. En évitant le surprofit de l’éolien, on pourrait donc réduire ce nombre de moitié et éviter ainsi de payer 900.000 certificats verts. C’est plus de 58 millions d’euros. Appliquons le même raisonnement aux autres filières et on en déduit qu’avec un additif minimal de courage politique, l’actuel Gouvernement wallon peut aller économiser quelque 100 millions par an. Vous avez bien lu : 100 millions de taxes par an en moins pour les wallons. Cela devrait à tout le moins séduire notre ministre libéral de l’énergie Jean-Luc Crucke qui s’oppose de manière récurrente à toute taxe, non ?

La bulle certificats verts (que je définis comme étant l’excès entre ce que l’on doit payer pour ce système de CV dans le futur et ce que l’on paiera pour ce système à taux de taxation constant) étant de 600 millions (sous l’hypothèse que l’on n’accorde plus de subsides à de nouveaux projets), on pourrait donc gommer naturellement cette bulle en 6 ans.

On devra peut-être juste emprunter au maximum 200 millions. Pourquoi 200 millions d’emprunt ? Car les 600 millions de bulle apparaissent dans les 4 ans à venir, à raison environ de 150 millions d’euros par an. Vu les 100 millions que l’on peut sauver par an en évitant le surprofit, il faudra donc juste temporiser 200 millions d’euros.

C’est un peu complexe mais, en gros, on est donc très très loin du 1.8 milliard que le ministre wallon Jean-Luc Crucke veut emprunter pour régler de problème de bulle des certificats verts.

Et les nouveaux projets ? Il faut bien s’imprégner du fait que l’éolien est bel et bien rentable à 85 €/MWh. Si la région wallonne entend que l’éolien se développe, elle doit donc juste s’engager auprès des producteurs éoliens en leur garantissant un prix de 85 €/MWh.

Pour faire simple, à mon estime, la région wallonne doit juste leur dire ceci : « Je vous verserai par MWh produit des subsides pour un montant en euros égal à : 85 prix du marché. Donc, si le prix du MWh sur le marché est de 67 €/MWh, ils auront juste 18 €/MWh de subsides ou encore 18/65 = 0.28 certificat vert de subsides.

Or, dans son tout nouveau système, le ministre Jean-Luc Crucke veut leur donner 0.6 certificat vert par MWh produit. Bon d’accord il passe de 1 à 0.6, on l’applaudit pour cela, mais, mine de rien, il se fait toujours arnaquer. Et le wallon se fait toujours braquer. C’est la Casa del Papel, mais en version subsides. Maintenant prenez juste une minute pour relire ce que j’ai écrit au début de ce paragraphe. Relisez le jusqu’au moment où vous repèrerez pourquoi il est possible que le producteur éolien paye de l’argent aux citoyens et pas l’inverse. J’ai écrit : En gros la région wallonne doit leur dire : je vous verserai par MWh produit des subsides pour un montant en euros égal à : 85 prix du marché.

Mais que se passe-il avec une telle proposition de mécanisme de subsides si le prix de l’électricité est supérieur à 85 €/MWh ? Et bien on versera alors au producteur éolien un subside négatif. Pour faire simple, le producteur éolien donnera de l’argent à la Région wallonne, aux citoyens quoi. Vu l’augmentation continue des prix sur les marchés de gros, il y a fort à parier que dans les années qui viennent, avec ce type de mécanisme de subside pour les renouvelables – qui porte le nom un brin technique de « contract for differences » – les producteurs éoliens verseront de l’argent à la Région wallonne et non plus l’inverse. Il en va de même pour le gros photovoltaïque.

Cher Jean-Luc Crucke, je me permets ainsi de vous signaler qu’il n ‘y a plus de bulles des certificats verts, plus de problèmes financiers liés au financement des renouvelables. On a tout juste un problème avec le Gouvernement wallon qui tarde à se battre sur ce dossier des renouvelables. Contre le surprofit. Et donc, au profit de tous.

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