Carte blanche

Il est temps de proposer un travail décent aux aides-ménagères

Il est nécessaire de stimuler davantage le débat sur les conditions de travail des travailleurs dans le secteur des services. Environ un million de personnes dans notre pays recourent au système des titres-services.

En tant que clients nous ne sommes pas suffisamment informés des risques et des conditions de travail stressantes auxquelles sont exposées les aides-ménagères. En signant cette lettre, nous souhaitons contribuer à des conditions de travail plus saines.

En tant que médecins de Weerwerk (un collectif de médecins généralistes, de médecins du travail et de syndicalistes qui travaillent et agissent sur la santé au travail), nous formulons un certain nombre de propositions concrètes qui peuvent apporter une solution aux problèmes de santé les plus urgents. Ces propositions sont fondées sur l’expérience pratique, la recherche scientifique, les enquêtes et les entretiens avec les aides-ménagères. Les pouvoirs publics jouent un grand rôle à cet égard. Au travers des subsides qu’ils accordent aux entreprises titres-services, ils disposent d’un levier essentiel pour améliorer le statut de l’aide-ménagère. C’est là une grande opportunité qui se présente à eux pour réaliser la promesse d’un ‘travail faisable’. Néanmoins, ce sont surtout les entreprises titres-services qui ont une responsabilité majeure dans l’offre d’un travail sain, sûr et ergonomique. Les multiples plaintes en matière de santé liées au travail sont la preuve que bon nombre d’entre elles manquent à leur devoir.

Quelques chiffres

En Belgique, le secteur occupe plus de 140.000 personnes, presque toutes des femmes (98%). Avec un emploi d’aide-ménagère et leurs responsabilités au au sein de leur propre ménage, beaucoup d’entre elles combinent une double journée de travail. Selon une étude d’IDEA Consult, 72% travaillent moins de 30 heures par semaine. Une raison importante du travail à temps partiel est le caractère pénible du travail, tant sur un plan physique que mental. Une étude menée par la FGTB en 2017 a révélé que 70% des aides-ménagères interrogées faisaient état de douleurs musculaires et articulaires. Dans une étude récente réalisée par des chercheurs de la VUB, ce pourcentage a déjà atteint les 84%, en plus des 82% qui se plaignent de maux de dos.

Ces chiffres sont extrêmement élevés comparés à ceux d’autres secteurs. Les plaintes de santé sont souvent liées à l’exécution de mouvements répétitifs tels que frotter, repasser, travailler en position penchée ou accroupie… 54% des aides-ménagères affirment ne pas pouvoir travailler jusqu’à la pension. De plus, une étude de 2017 menée par la VUB a démontré que les aides-ménagères décédaient plus souvent d’une maladie pulmonaire que la population moyenne puisqu’elles sont exposées à toutes sortes de substances chimiques présentes dans les produits d’entretien.

Le facteur temps, tout comme les exigences des entreprises de titres-services et du client suscitent des plaintes supplémentaires. Les aides-ménagères n’ont souvent pas assez de contrôle sur le temps ou la quantité de travail ou encore sur le matériel qu’elles doivent utiliser. Il n’y a souvent pas assez de pauses prévues, ce qui augmente l’intensité du travail. En comparaison avec d’autres secteurs, ces problèmes entrainent donc plus d’absences de longue durée pour cause de maladie. Les périodes de maladie de longue durée entrainent souvent des licenciements, car l’employeur ne prévoit pas de travail adapté.

En matière de coaching et de formation, il y a encore énormément de pain sur la planche: 22% des aides-ménagères n’ont encore jamais bénéficié de formation. Souvent, les formations expliquent comment être le plus efficace possible au boulot, mais ne traitent pas de sujets tels que la sécurité et l’ergonomie. La sécurité et l’ergonomie sont aussi dépendantes du matériel de nettoyage que le client met à disposition. Là encore, on semble déplorer un manque de garanties: la responsabilité incombe à l’aide-ménagère de reconnaître le matériel ou les produits toxiques, et d’ensuite avoir le courage d’aller demander d’autres produits au client. C’est une mission compliquée pour de nombreuses aides-ménagères.

Beaucoup d’aides-ménagères se sentent isolées et seules au travail. Les contacts avec les collègues sont presque inexistants. La moitié des aides-ménagères affirment ne pas recevoir suffisamment de soutien de l’employeur. La combinaison des clients exigeants, du manque de soutien de l’employeur et le sentiment d’abandon, suscite beaucoup de stress supplémentaire. En outre, les possibilités de trouver un autre emploi sont limitées, surtout si les formations se limitent aux tâches immédiates et ne traitent pas de sujets plus généraux.

Le système des titres-services offre un environnement de travail plus ou moins stable et réglementé aux personnes qui seraient sinon amenées à faire du travail au noir ou qui seraient laissées à la merci d’un travail non régulé et incertain. C’est incontestablement un atout du système. Cependant, l’ambition première du statut des titres-services allait bien plus loin: ce système devait être tremplin vers le marché du travail régulier et offrir de cette manière la possibilité d’obtenir un « emploi durable » ou d’ouvrir les portes vers d’autres emplois. Aujourd’hui, cette ambition n’est pas tenue. Au contraire, les conditions de travail pénible mettent en péril une participation durable dans le marché du travail.

Conclusions

La grande majorité des problèmes de santé auxquelles les aides-ménagères sont confrontées peuvent être évités. Lorsque le travailleur rencontre des problèmes de santé et qu’il n’est plus en mesure de faire son travail, l’employeur refuse souvent de prévoir un travail adapté. Le travail doit être adapté à la personne, pas l’inverse. Les autorités ont toutes les cartes en main pour rendre le travail digne et faisable grâce aux subsides qu’elles accordent au secteur.

Certains employeurs du secteur des titres-services fournissent effectivement des efforts pour rendre le travail des aides-ménagères faisable. Néanmoins, le cadre légal et les directives que l’employeur doit appliquer sont encore très vagues ce qui laisse la porte ouverte au laxisme, voire à l’abus de la part des entreprises des titres-services.

Les chiffres relatifs aux problèmes de santé pour les aides-ménagères sont excessivement élevés. Bon nombre d’affections peuvent être évitées en prenant des mesures préventives au travail. Nous, en tant que médecins et clients des entreprises de titres-services, mais également en tant que contribuables/payeurs de travail subventionné, sommes d’avis qu’il est possible et qu’il faut intervenir.

Propositions

  1. En vue de limiter l’exposition à des produits chimiques dangereux et de garantir de meilleures conditions de travail ergonomiques, l’employeur peut proposer un ensemble de produits de nettoyage certifiés et sûrs aux clients ainsi que du matériel de travail ergonomique.
  2. Les travailleurs dans le secteur des titres-services souffrent de plaintes inhérentes au travail. Des problèmes pulmonaires, des affections cutanées, des troubles tendineux ou ligamentaires. Nous sommes d’avis qu’un suivi périodique par un service de médecine du travail est absolument indispensable tant pour détecter les problèmes que pour permettre des mesures préventives. Ces conditions sont clairement dues à la nature du travail. Elles pourraient être reconnues comme maladies professionnelles par FEDRIS (l’ancien Fonds des Maladies Professionnelles). FEDRIS pourrait également accorder plus d’attention à la prévention de ces maladies et lancer des campagnes d’information à leur sujet auprès du grand public.
  3. Toutes les entreprises devraient accompagner leurs travailleurs lorsqu’ils visitent un nouveau poste de travail. Elles peuvent procéder à des contrôles réguliers en vue de rendre le travail ergonomique et sans danger ainsi qu’informer les clients du contenu correct des tâches de leur aide-ménagère. Ceci fait partie intégrante de l’analyse des risques obligatoire.
  4. Le travail d’aide-ménagère est souvent un métier solitaire. A cet effet, nous songeons à l’introduction du travail d’équipe, p.ex. des équipes de quartier, en concertation avec les clients et dans le respect de la relation de confiance entre l’aide-ménagère et le client. Ceci permettra aux aides-ménagères de nettoyer ensemble chez des clients, d’apprendre les unes des autres et de gérer ensemble des situations difficiles. Elles peuvent planifier mutuellement le travail et assurer une permanence lorsqu’une d’entre elles est malade ou en vacances. L’information des clients concernant la sécurité et la santé, la recherche de nouveaux clients, tout comme la réalisation de tâches administratives pourraient relever de la responsabilité de ces équipes. Davantage de travail en équipe pourrait également conduire à une rotation ou un absentéisme moindre et une meilleure prestation de services.
  5. Environ 1 sur 4 aides-ménagères n’a jamais pu suivre une formation. Des formations en sécurité et ergonomie doivent être offertes par l’employeur. En 2009, le Fonds de formation sectoriel des titres-services fut créé en vue de développer et de coordonner des formations. Après 10 ans, il s’avère que beaucoup d’attentes restent toujours sans réponse. Les pouvoirs publics peuvent y veiller, p.ex. en délivrant des certificats de qualité aux entreprises de titres-services qui offrent des formations de qualité sur une base régulière. L’octroi de subventions à ces entreprises pourrait être assorti de certaines conditions, telle que l’offre de formations de qualité.

Les membres du collectif Weerwerk

Merci de soutenir notre proposition en signant notre pétition

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire