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Groen subsidié par Di Rupo Ier

Petits arrangements « entre amis »: le gouvernement fédéral finance deux experts en réforme de l’Etat au profit de Groen, dans l’opposition. N-VA et FDF dénoncent une récompense pour loyauté à la cause de la majorité. Le procédé, inédit, pose questions : entre gouvernement et Parlement, les cartes se brouillent.

Un pied dedans, un pied dehors. Les Ecolos francophones et flamands sont étrangement « bien » payés pour assumer le pittoresque de leur position politique : jugés indésirables dans la coalition fédérale (socialiste-libérale-démocrate-chrétienne), mais bienvenus pour concourir à la mise en oeuvre de la réforme de l’Etat.

Relégués dans l’opposition, les Verts n’auront pas affaire à un ingrat. La preuve, en espèces sonnantes et trébuchantes : Di Rupo Ier leur finance deux experts de niveau universitaire, histoire de leur éviter de ne faire que de la figuration dans le chantier institutionnel en cours.

L’association momentanée d’Ecolo-Groen et des six partis de la majorité passe donc par un coup de pouce de 118.000 €. Tout ce qu’il y a de plus ponctuel. Strictement balisé pour les besoins du relifting en profondeur du pays.

Mais c’est une de ces petites faveurs que la N-VA a dénichées dans le budget fédéral 2012, et sur laquelle Ben Weyts, député fédéral, a sauté à pieds joints. La manoeuvre serait cousue de fil blanc : « La bonne volonté d’Ecolo-Groen est achetée par l’actuel gouvernement. De façon cachée, la soi-disant opposition reçoit deux collaborateurs supplémentaires, elle est donc financée par le gouvernement. » C’est pas réglo, insiste le lieutenant de Bart De Wever : « il est inédit qu’un gouvernement octroie une dotation à un groupe politique. Cette tâche appartient au Parlement. »

Elio Di Rupo (PS) feint de s’étonner que l’on puisse s’étonner. La réforme de l’Etat est d’une extrême complexité à mettre en oeuvre, les Verts risquaient de ne pas être à la hauteur de la tâche. « Toutes les formations politiques, par leur importance, leurs ministres, leurs bureaux d »études, peuvent bénéficier d’experts de manière quasi permanente. Le groupe Ecolo-Groen ne disposait pas des mêmes moyens. Le crédit supplémentaire sert à garantir le principe démocratique de l’égalité des armes lors des discussions. » CQFD.

Et puis zut, croit bon de rajouter le Premier ministre : « il est normal que chaque famille politique qui a eu le courage de conclure la négociation et de permettre ainsi la sixième réforme de l’Etat, ait besoin d’experts de haut niveau. » Tant pis donc, pour ceux qui sont restés au balcon. N-VA, FDF, sans évoquer le Vlaams Belang, n’avaient qu’à se montrer aussi sympas et conciliants que les Verts, s’ils voulaient bénéficier de cette générosité toute passagère.

Les spécialistes de la chose publique calent : « procédé peu orthodoxe, anormal, bizarre »

Le raisonnement fait sursauter plus d’un spécialiste de la chose publique, auxquels Le Vif L’Express a soumis le cas de figure.

« Procédé peu orthodoxe, pour ne pas dire choquant », réagit Marc Verdussen, constitutionnaliste à l’UCL. « On peut au contraire considérer qu’il y a rupture du principe d’égalité des armes : l’opposition parlementaire a tout autant besoin de moyens et d’experts pour mener correctement son travail de contestation de la réforme de l’Etat. »

« Il y a là une discrimination anormale entre groupes parlementaires », abonde Bart Maddens, politologue à la KUL. « La méthode a quelque chose de surprenant au regard de la séparation des pouvoirs », embraie Jean Faniel, politologue au CRISP. Herman Matthijs, spécialiste des finances publiques à la VUB : « cette façon de faire est exceptionnelle, certainement bizarre. »

Esprits chagrins, qui voient le mal et des entourloupes partout. Là où Di Rupo ne perçoit qu' »honnêteté et transparence » dans une démarche qui n’a fait l’objet d’aucune publicité tapageuse. Le montant alloué aux Verts se fait tout discret, dans le budget de la chancellerie du Premier ministre affecté à l’expertise externe.

Mais suivons plutôt le guide, dans la voie empruntée : « Il n’y a pas de financement supplémentaire d’un groupe, mais seulement un financement en faveur du groupe Ecolo-Groen, dans le cadre des travaux du Comité d’exécution des réformes institutionnelles. » Lequel comité est, bien entendu, « sous la responsabilité du gouvernement. » C’est plus clair, dit comme ça ?

Retour à la case départ, en compagnie du professeur Verdussen : « soit, il s’agit d’un financement supplémentaire octroyé à une formation politique, en marge de la loi sur le financement public des partis politiques : mais alors, sur quelle base ? Soit, l’enveloppe, même ciblée dans son affectation, est destinée au groupe parlementaire Ecolo-Groen : et dans ce cas, le système de dotations relève de la compétence du Parlement. »

Mieux valait éviter ce cap. Eviter d’offrir une tribune aux partis d’opposition pleine et entière qui auraient contesté cette « fleur » faite aux Verts dans une semi-opposition.

Olivier Maingain, président du FDF, donne le ton: « Je ne vois pas la nécessité d’accorder une aide financière particulière à un groupe parlementaire. A moins que la réforme de l’Etat ne soit jugée à ce point importante qu’elle exige des moyens spécifiques. Mais alors, pour tous. Et pas sous la forme d’une récompense accordée à un parti. » Le FDF va demander à la Cour des comptes de tirer cette affaire au clair.

Pierre Havaux

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