Carte blanche

« Gratuité: rien ne peut arrêter une idée dont le temps est venu »

PS, Ecolo, et même cdH bruxellois rejoignent en tout ou en partie aujourd’hui l’idée des transports en commun gratuits. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

« Et si nous testions la gratuité des transports en commun » lance le PTB en août 2018 dans le cadre de la campagne électorale pour les communales. Après une première vague de réponses négatives, l’idée lancée par le PTB a fait de nombreux petits. La mobilisation des jeunes est passée par là. Aujourd’hui, rien ne semble arrêter cette idée dont le temps est venu : PS, Ecolo, et même cdH bruxellois rejoignent en tout ou en partie aujourd’hui l’idée des transports en commun gratuits. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Cette semaine, le conseil communal de Charleroi a même voté une motion reprenant l’idée du PTB invitant à étudier la faisabilité de la gratuité des TEC dans la ville.

Tout le monde ne l’entend pourtant pas de cette oreille. « Impayable », la gratuité n’aurait aucun impact sur le comportement des automobilistes, entend-on souvent dire. Pire, « elle ne s’adresse[rait] pas aux travailleurs qui prennent la voiture » estime le patron des patrons bruxellois, Olivier Willocx. D’autres prétendent qu’investir dans la gratuité se ferait au détriment des investissements dans la qualité de l’offre. Tous ces arguments cachent mal les vertus de la gratuité.

Urgence climatique

La crise du climat est une crise et elle doit être traitée comme une crise. C’est ce que les jeunes qui manifestent depuis maintenant 8 semaines nous demandent. D’arrêter les déclarations mais de passer aux actes. L’urgence climatique nous impose de ne plus nous contenter de demi-mesures.

Le transport est responsable d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre en Europe occidentale. La pollution de l’air a aussi un impact sur la santé : tous les Liégeois fument ainsi chaque jour l’équivalent de trois cigarettes en respirant notre air. Ce sont 10.000 personnes par an qui meurent prématurément en raison de la pollution de l’air en Belgique. Construire des nouvelles liaisons autoroutières (comme à Liège et Charleroi), subsidier les voitures de société et diminuer les moyens des sociétés de transport public ne vont pas résoudre le problème. La gratuité est au contraire une mesure ambitieuse, hors du cadre, qui peut aider à lutter contre le réchauffement climatique.

Eloge de la gratuité

Contrairement à ce que certains prétendent, la gratuité des transports collectifs ont démontré que les déplacements en voiture baissaient sensiblement et permettaient de désembouteiller les villes.

On pourrait citer l’exemple d’Aubagne en France où l’agglomération (qui a aussi misé sur une augmentation de l’offre) a vu la fréquentation des bus tripler depuis l’instauration de la gratuité en 2009. On a assisté à 35% de report modal, soit 5 000 autos et motos de moins par jour. On pourrait également citer l’ambition de Dunkerque : l’objectif annoncé avec la gratuité qui est instaurée depuis septembre est de doubler la fréquentation des bus. Mais nous n’avons même pas besoin d’aller si loin. En Belgique, une partie de la population bénéficie aussi de la gratuité des transports en commun. 15 % des travailleurs dispose en effet d’un remboursement total de leur trajet domicile-travail. Et ils sont près de la moitié (45%) à utiliser les transports en commun pour se rendre au travail… contre seulement 5 % des travailleurs qui ne bénéficient d’aucun remboursement de la part de leur employeur (et qui doivent donc supporter l’entièreté du coût). Ces chiffres proviennent de la très sérieuse enquête Beldam, grande enquête de mobilité réalisée tous les 10 ans en Belgique. Les conclusions des cette enquête sont très claires : plus le navetteur voit son trajet domicile-travail remboursé, plus il utilise les transports en commun. Un argument de poids pour la gratuité des transports en commun dans les villes et la gratuité du trajet domicile-travail en train comme le propose le PTB.

Et puis si la gratuité des transports en commun n’était pas efficace, pourquoi la Région wallonne et la Région bruxelloise ont-elles instauré la gratuité en cas de pic de pollution ? Pourquoi ce qui est possible un jour de pollution extrême ne l’est pas toute l’année ? Ne dit-on pas : « mieux vaut prévenir que guérir » …

La gratuité comme enjeu social

Mais la gratuité est aussi un enjeu social. A l’instar de l’éducation, concevoir la mobilité comme un droit, et les transports en commun comme des services publics implique de les rendre accessibles le plus largement possible. La gratuité est la meilleure réponse car le coût est une barrière importante qui entrave l’accès à la mobilité. Ainsi, suivant les chiffres communiqués par le Ministre Pascal Smet, 45 % des bénéficiaires de l’abonnement annuel 65+ n’ont pas renouvelé leur abonnement lorsque celui-ci est devenu payant en avril 2013. Avec comme conséquences que ces personnes ont moins de possibilité de se déplacer.

Pour les personnes les plus précarisées, la gratuité est une vraie aide pour affronter toutes les difficultés liées à un faible revenu, que ce soit en matière de recherche d’emploi, d’accès aux services publics comme les hôpitaux (souvent de plus en plus éloignés) ou encore pour rompre la solitude. Autre argument : les incivilités ont également tendance à baisser : 60 % depuis 2015 à Dunkerque et l’instauration de la gratuité les weekends.

Certains préfèrent une diminution des tarifs ciblée vers des groupes cibles (les plus pauvres, les jeunes, les personnes âgées). A ceux-ci, nous répondons qu’un critère de séparation entre bénéficiaires et non-bénéficiaires sera de toute façon arbitraire. Il impliquera une stigmatisation des bénéficiaires et last but not least, des lourdeurs administratives de contrôle.

C’est payable

Bien sûr, tout cela a un coût. Mais il est encore relativement raisonnable : le coût total de la gratuité pour les TEC et la STIB est estimé à 320 millions d’euros par an. 500 millions si on y rajoute De Lijn. Il s’agit d’un vrai choix politique : ainsi à Dunkerque (coût de la gratuité : 8 millions d’euros), il est réfléchi et assumé par les autorités locales.

Comment financer ces mesures ? D’abord, nous pouvons généraliser le remboursement total par les employeurs des abonnements de transports en commun. Aussi, plutôt qu’un remboursement individuel, l’employeur paierait un montant forfaitaire par travailleur pour financer la gratuité des transports en commun.

La gratuité des transports en commun est aussi un choix de société. Un choix pour un service collectif de transport, et pas pour un transport privé et individualisé, comme le symbolise à merveille la voiture de société. En démantelant progressivement l’avantage fiscal pour les voitures de société (qui fait perdre de 2 à 4 milliards d’euros de recettes par an à l’État selon les estimations), nous pouvons dégager de moyens pour garantir la gratuité.

Une autre source de financement est également possible : la réaffectation des moyens perçus par la taxe kilométrique des camions (ViaPass). Au total, elle a rapporté 712 millions d’euros de recettes en 2017. De façon absurde, ces recettes servent en partie à améliorer le réseau routier. Une partie de cet argent serait mieux investi dans une mobilité durable, notamment via la gratuité des transports en commun.

Enfin, ne perdons pas de vue que le transport public et collectif est certainement moins cher pour la société dans son ensemble (bouchons, accidents, pollution, infrastructures et production de matériel roulant) qu’une mobilité privée et individuelle.

Par Françoise De Smedt, tête de liste PTB pour le Parlement bruxellois et Germain Mugemangango, porte-parole francophone du PTB, tête de liste pour le Parlement Wallon – Charleroi

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