Peter Praet © Belga

« Grâce à la politique de taux d’intérêt bas, les gouvernements attirent à eux les richesses de leurs citoyens »

C’est une bonne nouvelle pour nos finances publiques, mais une mauvaise nouvelle pour tous les épargnants : les taux d’intérêt seront très bas pendant longtemps encore. Comment tout cela va-t-il se terminer ?

Vous pensiez que nous avions digéré la crise financière et économique qui a éclaté en 2008 ? Réfléchissez. Il y a maintenant une certaine croissance économique et les banques font à nouveau des profits records, mais c’est en grande partie, si pas totalement, lié aux taux d’intérêt extrêmement bas que nous connaissons depuis des années. En termes simples, l’emprunt est tellement bon marché, presque gratuit, que les familles et les entreprises peuvent consommer et investir davantage – et ainsi, stimuler l’économie. Cette « politique de l’argent gratuit » dope notre économie depuis des années. Combien de temps cela durera-t-il et quelle sera l’intensité des symptômes de sevrage?

« Il devient difficile d’espérer le meilleur », déclarait récemment notre compatriote Peter Praet lors de son interview d’adieu au quotidien De Tijd. Praet a été économiste en chef de la Banque centrale européenne (BCE) et, avec le président Mario Draghi, l’architecte de la politique monétaire anti-crise. Il a fait en sorte que les crédits habitations et entreprises soient bon marché, mais aussi que l’intérêt sur les comptes d’épargne soit presque nul. Ce faible taux d’intérêt est particulièrement bon pour les gouvernements très endettés, comme le gouvernement belge. Ils peuvent contracter de nouveaux emprunts à des taux très bas pour rembourser leurs dettes. Grâce aux faibles taux d’intérêt, notre gouvernement fédéral devra dépenser 220 millions d’euros de moins en intérêts cette année, mais au total, ces derniers s’élèvent encore à 8,44 milliards d’euros. On peut se demander si la baisse des taux d’intérêt n’a pas facilité la tâche du gouvernement Michel : même sans interventions, il a dépensé moins d’argent.

Pour les épargnants, les taux d’intérêt bas ne sont certainement pas une bonne chose. Ils perdent même de l’argent. Aujourd’hui, le taux d’intérêt d’un compte d’épargne s’élève à environ 0,10 % par an, alors que l’inflation dans notre pays est supérieure à 2%. En d’autres termes, un compte d’épargne vous appauvrit de 1,9% par an. Il y a un terme pour cela : la répression financière. Grâce à la politique de taux d’intérêt bas, les gouvernements endettés attirent à eux la richesse de leurs citoyens. Depuis des années, les épargnants sont sourdement spoliés. Et « il faudra peut-être beaucoup de temps avant que les taux d’intérêt n’augmentent à nouveau », estime Peter Praet.

En attendant, les gens qui veulent emprunter de l’argent se frottent les mains. Jamais encore un emprunt pour acheter un terrain ou une maison n’avait été aussi bon marché. À bien y réfléchir, ce n’est pas une bonne nouvelle. Le fait que beaucoup de gens se rendent sur le marché immobilier fait grimper les prix. La Banque Nationale avertit depuis longtemps que l’immobilier est surévalué et que de fortes baisses ne peuvent être exclues. En d’autres termes : les taux d’intérêt faibles provoquent une bulle immobilière qui, tôt ou tard, risque d’éclater.

Une autre conséquence du faible taux d’intérêt est qu’on emprunte des montants plus importants. En 2018, la dette hypothécaire de nos ménages s’élevait à 231 milliards d’euros, soit une hausse de près de 3% par rapport à 2017. Que se passera-t-il si une crise économique s’ensuit et que certains ménages ne sont plus en mesure de rembourser leurs prêts hypothécaires ?

À cela s’ajoute que les banques, poussées par la concurrence entre elles, accordent beaucoup trop facilement des prêts à des taux d’intérêt excessivement bas. La Banque Nationale a mis en garde à plusieurs reprises contre ce risque : en cas de hausse des taux d’intérêt ou de baisse des prix de l’immobilier, elles risquent de se mettre en difficulté. Depuis 2008, nous nous souvenons des conséquences catastrophiques que cela pourrait avoir, mais les banquiers eux-mêmes semblent l’avoir oublié.

On prête également de plus en plus facilement aux entreprises, ce qui suscite de plus en plus d’inquiétudes, en particulier aux États-Unis. Les prêts aux entreprises fortement endettées ont énormément augmenté ces dernières années. Dans le jargon, il s’agit de « leveraged loans » (prêts à effet de levier) qui sont reconditionnés et revendus. Tout comme ce qui s’est passé avec les subprimes qui ont causé la crise financière. Janet Yellen, ancienne présidente de la Banque centrale américaine, avait déjà mis en garde contre le « risque systémique ». Si l’économie ralentit et que les entreprises sont incapables de rembourser leurs prêts, le système financier risque de chavirer à nouveau.

Personne ne sait comment et quand le faible taux d’intérêt prendra fin. Toutefois, il est clair que la progression du populisme et du protectionnisme ne fait qu’exacerber la situation. Seuls les gouvernements résolus qui osent réformer pourront le faire. Et cela vaut certainement aussi pour la Belgique.

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