Trois Wallons : socialiste, écologiste, réformateur. Pour trois ambitions : sociale, écologique, économique. © BENOIT DOPPAGNE/ISOPIX

Gouvernement : les promesses de l’arc-en-ciel sont-elles à la hauteur des enjeux ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Il a mis le temps à advenir, cet arc-en-ciel wallon et francophone présenté, lundi 9 septembre, par Elio Di Rupo, Willy Borsus et Jean-Marc Nollet. Rouges, bleus et verts s’affichent « ambitieux et progressistes ».

Ils étaient trois, mais ils étaient tous bons. Pas de brute ni de truand, apparemment. Seulement trois Wallons chantant une triple ambition.  » Une ambition sociale, une ambition écologique et une ambition économique « , écrivaient-ils dès la première ligne des 122 pages de la déclaration de politique régionale 2019-2024 présentée, avec la déclaration de politique communautaire, lundi 9 septembre à Namur. Ambitieux, l’arc-en-ciel wallon et francophone ? Peut-être. Précise, sa feuille de route ? Pas trop. Crédibles, ses engagements ? C’est loin d’être certain. Or, c’est de certitudes que la Belgique francophone a besoin. Car l’état d’urgences est déclaré.

L’urgence budgétaire

Le gouvernement wallon prévoit le retour à l’équilibre budgétaire en 2024. C’est une façon de desserrer quelque peu l’étreinte et de dégager des marges pour les investissements nécessaires.  » Reculer l’équilibre à 2024, ce n’est pas un problème énorme, souligne Giuseppe Pagano, économiste à l’université de Mons. Les taux d’intérêt sont tellement bas que la dette n’a en réalité plus tellement d’importance. Ce n’est pas comme dans les années 1980, quand on devait rembourser à des taux de 10 %. Cela dit, il faut veiller au respect de nos engagements européens et tenir compte des autres composantes de la Belgique, parce que les efforts que la Wallonie ne réalisera pas, ce seront d’autres niveaux de pouvoir qui devront les faire.  »

Plus, mieux, et plus vite. C’est toute la triple nécessité de trois ambitieux.

Cette épure ne tient en outre pas compte de l’échéance de 2025, quand la Wallonie commencera à perdre de l’argent en raison de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi de financement négociée lors de la sixième réforme de l’Etat.  » A partir de cette date, la Wallonie perdra environ 62 millions d’euros par an, précise l’économiste. J’avais proposé qu’une fois revenu à l’équilibre budgétaire, on crée un fonds pour amortir ce choc. Or, c’est exactement l’inverse que l’on fait. C’est un choix.  »

Il s’agit aussi de voir ce que l’on fera des investissements rendus possibles par ce léger relâchement et… si cela sera suffisant.  » Ce ne sont pas les investissements nécessaires qui manquent, note Giuseppe Pagano. Mais pour ne prendre qu’un point, l’objectif de réduction des gaz à effet de serre à 55 % à l’horizon, c’est une ambition absolument gigantesque. C’est politiquement louable, bien sûr, mais il faut se rendre compte du coût que cela va engendrer, ne fût-ce que pour l’isolation des bâtiments. L’urgence climatique sera bien plus problématique encore que l’urgence budgétaire.  »

L’urgence climatique

Damien Ernst, professeur à l’ULiège, partage cette circonspection.  » Ce n’est plus de l’ambition, c’est irréaliste, annonce-t-il. A cette échéance-là, trois postes seront très difficilement comprimables : l’industrie, l’énergie et l’agriculture. Vouloir aller trop vite, c’est le meilleur moyen d’avancer lentement sur le long terme. En 2030, les technologies vertes ne seront pas suffisamment matures pour effectuer une transition qui ne tue pas notre industrie.  » Sur le papier, l’objectif semble pourtant faisable. En 2017, la Wallonie émettait l’équivalent de 35,3 millions de tonnes de CO2 par an, soit presque 40 % de moins par rapport à 1990. Pourquoi ne pas viser une baisse de 55 % d’ici à dix ans ?  » C’est surtout en fermant notre industrie lourde que l’on a diminué nos émissions, poursuit Damien Ernst. Les autres postes ont peu progressé en ce sens et l’aviation n’est pas comptabilisée. Par ailleurs, la fin du nucléaire, qui sera compensé par des centrales au gaz, va ajouter l’équivalent de 4 millions de tonnes de CO2 par an. Les objectifs à l’échelle de la Wallonie ne vont absolument rien changer au sort de la planète. Il serait beaucoup plus intelligent de s’en tenir au niveau d’émission actuel mais d’investir dans les technologies pour capturer le CO2 dans l’atmosphère, et faciliter ainsi la transition future.  »

Avec des petits pas, on va peut-être loin, mais on n'y va pas très vite.
Avec des petits pas, on va peut-être loin, mais on n’y va pas très vite.© JEAN-MARC QUINET/BELGAIMAGE

L’urgence énergétique

Néanmoins, selon le Liégeois, l’accord de gouvernement répond aux principales attentes sur le volet énergétique.  » Je suis agréablement surpris, ceux qui ont écrit le texte savent de quoi ils parlent, précise-t-il. Il n’y a pas de mesures phares, mais beaucoup d’évidences laborieuses à mettre en oeuvre. L’accord met un gros accent sur les communautés énergétiques, ce qui est bien sur le plan technique. Cela permet aussi de subsidier les usagers, plutôt que des groupes industriels. Le texte ne verse d’ailleurs pas dans les subsides inutiles au renouvelable.  » Le professeur relève aussi la qualité de la partie axée sur les bâtiments.  » Le mécanisme de tiers investisseur pour les rénovations a l’avantage de créer de l’emploi tout en permettant aux ménages de faire des économies à terme, sans frais. L’objectif visant à isoler ou rénover 250 000 logements me semble tout à fait louable, même si l’accord ne précise pas dans quel délai.  »

L’urgence scolaire

Evacuons tout de suite les symboles, celui qui concerne le décret inscriptions, bête noire de certains parents. Le dispositif sera remplacé  » par de nouvelles dispositions décrétales « . Lesquelles ? Quand ? Pas un mot. Et celui qui concerne le CEB (certificat d’études de base) : on l’a dit trop facile, il va être remusclé. Prenons plutôt le Pacte d’excellence, élaboré par la majorité PS-CDH. On l’a dit et répété : c’est notre  » Davos de l’éducation  » pour tenter d’améliorer les performances scolaires. Il est maintenu. Sa colonne vertébrale, le tronc commun (les mêmes programmes pour tous de la maternelle à la 3e secondaire), aussi, mais modulée. Les  » activités orientantes  » sont renforcées en 3e dans les écoles volontaires. Une annonce qui fait dire à d’aucuns qu’il ne s’agit plus d’un cursus unique, gage d’une lutte contre les inégalités.

On ne s’attaque pas (encore) au réacteur de l’éducation : la formation des enseignants,  » la pièce maîtresse de la mise en oeuvre du Pacte d’excellence « , celle par laquelle il aurait fallu commencer, qu’il faut allonger mais que les partis ont décidé de retarder. Alors que depuis des années, les rapports (OCDE, Aeqes, universités) pointant du doigt l’enjeu de la revoir sérieusement se suivent et se ressemblent. On y retrouve plusieurs fois ce même constat : la formation doit être plus longue, plus exigeante, plus qualitative, plus professionnelle (davantage de stages pratiques). Et pour lutter contre la pénurie de professeurs, on défait le texte qui réglemente l’accès à la profession. Comment ? Pas un mot non plus. En clair, tout cela donne l’impression qu’il s’agit de prendre son temps et de ne pas provoquer de haut-le-coeur. La politique des  » petits pas  » d’une Marie-Dominique Simonet ou d’une Marie-Martine Schyns, on ne nous avait pas dit que c’était fini ? Avec des petits pas, on va peut-être loin, mais on n’y va pas très vite.

Olivier de Wasseige (UWE) :
Olivier de Wasseige (UWE) : « Que va-t-on faire concrètement ? »© JEAN-LUC FLÉMAL/BELGAIMAGE

L’urgence économique

Ces petites foulées, dans la course effrénée que se livrent les économies mondiales, ne suffiront pas non plus à la Wallonie pour rattraper les régions les plus prospères : il lui manque toujours un élan décisif.  » Cet accord de majorité a du potentiel pour y arriver, ce n’est déjà pas mal, estime Olivier de Wasseige, administrateur délégué de l’Union wallonne des entreprises (UWE). La déclaration de politique régionale met l’accent sur l’urgence, insiste sur les trois transitions – économique, sociale et environnementale – c’est positif. Elle insiste sur la création de valeurs et d’emplois, sans mettre de freins à la prospérité wallonne. Fort bien. Mais pour autant, elle ne dit pas suffisamment comment y arriver. Il est essentiel à nos yeux de ne pas disperser les moyens et de prioriser les mesures. Cet accord ne dit pas où il met le curseur. La culture de l’évaluation enfin mise en place, que ce soit en matière climatique ou d’emploi, nous semble par contre positive et indispensable.  » Le patronat wallon insiste sur la nécessité de créer de la richesse pour faire face à l’urgence, a fortiori dans un contexte budgétaire compliqué.  » Nous saluons la volonté d’augmenter le taux d’emploi de 5 % (de 63,7 % à 68,7 %). Nous avons nous-mêmes évoqué la possibilité d’arriver au plein emploi en 2030. La différence, c’est que nous fixions dix conditions pour y arriver : l’accent mis sur l’enseignement en alternance, des solutions pour les métiers en pénurie, une réforme du Forem, l’accompagnement des chômeurs… Que va-t-on faire concrètement ?  » s’interroge Olivier de Wasseige.

Christine Mahy (Réseau wallon de lutte contre la pauvreté) :
Christine Mahy (Réseau wallon de lutte contre la pauvreté) :  » On stigmatise un peu moins. Mais… « © JEAN MARC QUINET/REPORTERS

L’urgence sociale

Une interrogation partagée à l’autre bout de l’échelle sociale, à la lecture de la page et demie du chapitre engageant une  » lutte transversale contre la pauvreté et pour la réduction des inégalités « .  » Clairement, l’ambition sociale est la moins développée des trois. Moins chiffrée, aussi bien dans ses diagnostics que dans ses objectifs, et sans qu’aucun financement ne soit précisé « , déplore Ricardo Cherenti, directeur général du CPAS d’Ecaussinnes, et chercheur associé à Econosphères. Mais il y a selon lui un mieux. L’équipe précédente, dont la déclaration de politique régionale était plus succincte, n’avait offert à ces thématiques que quelques paragraphes, qui portaient surtout sur la responsabilité des allocataires et la priorité à se trouver un emploi. Le plan de lutte contre la pauvreté qui en était issu sera évalué, et remplacé.  » L’accent est davantage mis sur la réduction des inégalités et la lutte contre la pauvreté – c’est important de lier les deux – que dans les déclarations de politique précédentes, estime Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. Il y a davantage d’audace, comme quand on envisage de créer des indicateurs pour mesurer l’impact des politiques sur l’appauvrissement de la population. Des signaux ont été entendus au sujet des 25 % de la population en décrochage. On stigmatise un peu moins. Mais nous espérons bien sûr plus, mieux et plus vite.  »

Plus, mieux, et plus vite. C’est toute la triple nécessité de trois ambitieux. Sans brute et sans truand.

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