Ahkim Ahmed

Gens du Voyage : Des ponts, pas des murs svp !

Ahkim Ahmed Directeur du Centre de Médiation des Gens du Voyage et des Roms en Wallonie

 » Honte et consternation 1« , tel est le sentiment largement partagé à l’annonce de la construction d’un mur en béton pour  » cacher  » des Gens du Voyage. Cela ne se passe pas dans un village lointain d’Europe centrale, mais chez nous, à la frontière franco-belge !

Honte et consternation, car tant l’histoire tragique des Gens du Voyage, notamment lors de la Seconde Guerre mondiale, que la situation actuelle de crise économique, rendent tout propos ou toute décision envers cette population éminemment sensible. Disons-le tout de suite, il est totalement irresponsable, en période de crise, de renforcer les peurs et de tourner une catégorie de la population contre l’autre !

Certes, nous prenons acte des propos de M. Gadenne, bourgmestre de Mouscron se distanciant de ce projet. Cependant, nous ne pouvons pas éluder le malaise qui émerge et continuer comme s’il s’agissait d’une simple méprise. Il est pour nous important de rappeler de qui et de quoi nous parlons.

Vivre en Wallonie, c’est être citoyen d’une des communes de la région, y naître, y habiter, s’y instruire, y travailler, y exercer ses droits et ses devoirs et en bout de course y mourir.

Pour un petit groupe de citoyens, les Gens du Voyage, vivre en Wallonie c’est parfois habiter en caravane et se heurter à bien des tracasseries. Obtenir une domiciliation dans une demeure mobile constitue un tel parcours du combattant que beaucoup se découragent. Les demandes d’installation sur terrain privé ne reçoivent pas d’autorisation de l’urbanisme malgré les efforts d’aménagement consentis.

Il est totalement irresponsable, en période de crise, de renforcer les peurs et de tourner une catégorie de la population contre l’autre

Vivre en Wallonie, pour tous les citoyens, cela devrait être aussi être reconnu et respecté dans sa diversité.

Voyager en Wallonie, pour la plupart, cela évoque le tourisme, la détente, la découverte. C’est une activité hautement valorisée, chaudement recommandée par les acteurs économiques notamment. L’accueil de ces voyageurs bénéficie de toute l’attention des pouvoirs publics qui veillent à ce que leur séjour soit agréable et leur donne envie de revenir.

Pour un petit nombre de wallons, voyager en Wallonie est une nécessité impérieuse, une question de survie économique et identitaire. Ce type de voyage est moins bienvenu que celui des touristes et souvent mal compris. L’accueil de ces voyageurs est rarement organisé et leur retour est plutôt redouté. Tant que les caravanes passent, tout va bien, mais quand elles s’arrêtent, les choses peuvent prendre une tournure assez déplaisante. Le refus ou l’expulsion sont trop souvent la règle. Une demande sur trois est tolérée ou acceptée, cela signifie qu’il y a 75 % de refus ou d’expulsion et cette proportion reste une constante depuis des années.

Or, l’expérience nous montre que lorsque l’accueil temporaire des Gens du Voyage de passage est organisé en concertation avec tous les acteurs : les autorités communales, leur administration, leur police, les Gens du Voyage et les habitants de ces communes, les tensions diminuent considérablement et la vie s’organise en intégrant l’événement, un peu comme lorsqu’une manifestation fait gonfler pour quelques jours le nombre d’habitants d’une commune.

Voilà plusieurs années que quelques communes se sont engagées dans l’organisation de l’accueil temporaire des Gens du voyage avec l’aide de la Région wallonne, du centre de médiation et l’expertise des Gens du Voyage eux-mêmes.

L’organisation de cet accueil peut prendre plusieurs formes : certaines communes choisissent d’aménager un terrain entièrement dédié à cela, d’autres choisissent d’adapter provisoirement un terrain le temps de l’accueil. Les deux modèles conviennent aux Gens du Voyage – l’adaptation, ils la pratiquent à longueur d’année.

Il est vraiment souhaitable que davantage de communes s’inscrivent dans cette politique d’accueil afin de mieux répartir la pression que cet accueil met sur les riverains notamment, dont le seuil de tolérance peut baisser avec l’augmentation de la fréquence d’occupation du terrain avoisinant. Une réglementation régionale imposant l’accueil temporaire des Gens du Voyage sur tout le territoire wallon devient une urgence.

Les Gens du Voyage ont toujours habité la Wallonie, leurs caravanes ont toujours sillonné nos villes et nos campagnes. Sans eux, notre société ne serait pas complète. Nous partageons le même territoire et nous gagnerons tous à une cohabitation harmonieuse.

Fidèles à notre mission, nous invitons tout un chacun à un rapprochement par la reconnaissance réciproque et le dialogue. Il n’y a pas d’alternative au vivre ensemble !

1 Titre judicieux de l’édito de la Libre Belgique ce lundi 18 mai 2015

Ahmed Ahkim, directeur du Centre de Médiation des Gens du Voyage

Etienne Charpentier, président, Comité national des Gens du Voyage

Eliane Driesen, présidente, Centre de Médiation des Gens du Voyage en Wallonie

Vincent Dufoing, directeur, Picardie Laïque

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire