Un nouvel arrêté royal signé par les ministres Jambon et Geens (ici, avec Catherine De Bolle) prévoit d'évaluer les offices centraux, avant juin. © NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

Fraude fiscale : les flics financiers à nouveau menacés

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

L’OCDEFO, bras armé policier des juges d’instruction financiers, est toujours en sursis. L’office central de la police fédérale sera soumis, avant juin prochain, à une évaluation programmée pour le condamner.

Vu sa détermination sans faille depuis deux ans, le gouvernement Michel finira par avoir sa peau. L’Office central de la lutte contre la délinquance économique et financière (OCDEFO), le bras armé de la police fédérale en matière de criminalité en col blanc, semble à nouveau dans la ligne de mire des ministres de l’Intérieur et de la Justice. Cette fois, c’est par la tactique de l’évaluation que Jan Jambon (N-VA) et Koen Geens (CD&V) – et, derrière eux, la tête de la police fédérale – s’attaquent aux services centraux. Voici un nouvel épisode de la saga qui voit la Belgique perdre, lentement mais sûrement, une expertise reconnue internationalement en matière de lutte contre la criminalité financière, et notamment les fameux carrousels TVA, ce fléau qui, il y a à peine quinze ans, coûtait plus d’un milliard d’euros à l’Etat, chaque année.

Le pitch du nouvel épisode : un arrêté royal, en passe d’être signé par les deux ministres, prévoit une évaluation des services centraux de la direction générale de la police judiciaire (DGJ), d’ici à juin 2017, soit dans moins de huit mois. Ça ne traîne pas en matière d’évaluation à la police fédérale… Dans le collimateur : l’OCDEFO, la FCCU (Federal Computer Crime Unit), qui lutte contre la cybercriminalité, et le Fast (Fugitive Active Search Team), chargé de retrouver les prisonniers évadés et les condamnés en fuite. Les critères retenus pour cette évaluation sont suffisamment flous que pour pouvoir la mener comme on veut. L’OCDEFO semble particulièrement menacée par des critères comme  » la sauvegarde de l’exécution des tâches clés des services centraux  » ou  » la détermination claire des tâches et des responsabilités au niveau central « .

Il y a un an et demi, les ministres Jambon et Geens avaient tenté de décentraliser totalement les offices centraux vers les arrondissements judiciaires. Face au tollé que cela avait suscité à la Chambre et dans les médias, ils avaient finalement opté pour une décentralisation partielle, maintenant la moitié des effectifs à l’office central, soit une quinzaine d’enquêteurs et autant d’assistants fiscaux. Mais, depuis lors, ceux-ci se voient confier beaucoup moins de dossiers et, surtout, des dossiers sans grands enjeux. En mai dernier, Vanessa Matz (CDH), qui avait interrogé le ministre Geens, s’était étonnée que celui-ci n’avait pu lui dire qui, désormais, s’occupait concrètement de la lutte contre le blanchiment d’argent, l’OCDEFO ne recevant plus ce genre de dossiers…

Les hommes de l’OCDEFO, en particulier ses meilleurs enquêteurs, sont totalement découragés. Il y a un mois, on les a déménagés en les installant, dispersés sur deux étages, dans des locaux exigus de l’immense bâtiment de la police fédérale, rue Royale, au centre de Bruxelles. La plupart cherchent de nouvelles affectations. Le scénario paraît clair : on laisse pourrir le fruit avant de l’arracher. En juin prochain, il sera sans doute facile de dire que l’office central n’est guère efficace.

Le juge Michel Claise :
Le juge Michel Claise : « Sans l’OCDEFO, on retourne à la préhistoire en matière de carrousels TVA. » © JEAN-MARC QUINET/REPORTERS

Le 20 septembre, devant la commission parlementaire spéciale Panama Papers qui a repris ses travaux, le juge d’instruction financier Michel Claise a répété qu’il était insensé de vouloir casser les offices centraux. Au Vif/L’Express, le magistrat bruxellois précise :  » On a déjà retiré les dossiers de fraude sociale à l’OCDEFO. Si on supprime le service central, on retournera à la préhistoire en matière de carrousels TVA. Car il n’y aura plus d’enquêteurs pour contrôler mensuellement les 600 000 personnes morales via le datamining de l’Inspection spéciale des impôts. C’est en effectuant cette surveillance régulière et ciblée qu’on décèle les sociétés défaillantes ou missing traders à l’origine de la fraude. Qui sera responsable si, dans un an ou deux, vous écrivez que les carrousels TVA coûtent de nouveau un milliard d’euros par an à l’Etat ?  »

Pourquoi vouloir la peau des superflics anticriminalité financière et anticybercriminalité ? Dans le chef du ministre Jambon, beaucoup suspectent la volonté de régionaliser tout ce qui est central ou fédéral. Mais c’est surtout au niveau de la tête de la police fédérale qu’on décèle l’intention de rayer de la carte ces services spécialisés.  » L’Etat-major, dont la plupart des postes phares sont occupés par d’anciens gendarmes, ne supporte pas ce qu’il ne dirige pas « , souffle un observateur averti. Or, comme nous l’avons déjà écrit (Le Vif/L’Express du 5 juin 2015), l’OCDEFO a toujours été dirigé par des hommes de la PJ, puis par d’anciens péjistes. Résurgence de la guerre des polices ? C’est vraisemblable.

En tout cas, un épisode législatif interpelle. En effet, lorsque Joëlle Milquet (CDH) était encore ministre de l’Intérieur, un arrêté royal avait été préparé pour la mise en place de l’optimalisation des polices. Le texte organisait les Motem –  » teams d’enquête multidisciplinaire  » – dans les arrondissements judiciaires et cadenassait, par ailleurs, le maintien des offices centraux, ce qui contrariait la commissaire générale Catherine De Bolle, qui avait des relations tendues avec sa ministre de tutelle. Mais cet arrêté n’est pas passé avant les élections du 25 mai 2014. Après le scrutin, Joëlle Milquet et Annemie Turtelboom (Open VLD, qui était à la Justice) ont vite été nommées à de nouveaux postes ministériels, l’une à la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’autre au sein de l’exécutif flamand. C’est Melchior Wathelet (CDH) qui a assuré l’intérim à l’Intérieur et Maggie De Block (Open VLD) à la Justice. L’arrêté royal Motem, qui devait être signé par les deux ministres, a finalement été paraphé par Wathelet mais pas par De Block.

Selon une bonne source, le SAT, le secrétariat administratif et technique qui assure la liaison entre la police et les deux cabinets, a convaincu la ministre de la Justice ad interim que le texte nécessitait l’avis du Conseil fédéral de police, présidé par Willy Bruggeman, proche conseiller de Catherine De Bolle. Cette procédure d’avis (sans possibilité de veto) était-elle indispensable ? En tout cas, cela a fait traîner les choses. L’arrêté n’a finalement pas été cosigné. Et le gouvernement Michel, formé début octobre, a vite mis en oeuvre un nouvel arrêté royal qui, cette fois, démembrait les offices centraux. Avec l’évaluation programmée en juin prochain, l’Etat-major pourrait, cette fois, arriver à ses fins, en tout cas en ce qui concerne l’OCDEFO.

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