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Formation fédérale: Georges-Louis, Joachim, Egbert et leur plan à trois

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Les présidents du MR, du CD&V et de l’Open VLD ont donc repris la direction des discussions fédérales des mains des présidents socialistes. Il leur reste à enquiquiner un peu Paul Magnette, et enfin à sortir le pays de la crise.

Souviens-toi l’automne dernier, fidèle lecteur, d’un moment si lointain que Georges-Louis Bouchez (MR) était à peine coopté, Joachim Coens (CD&V) tout juste élevé au rang des  » sept nains  » en course pour la présidence, et Egbert Lachaert (Open VLD) même pas encore candidat. Et, souviens-toi, Paul Magnette était l’homme politique le plus populaire de Belgique francophone.

Le déjà connu préside encore le Parti socialiste, mais les trois anciennement peu connus président désormais les trois partis du gouvernement ultraminoritaire de Sophie Wilmès, dont les pouvoirs spéciaux arriveront à échéance fin juin, et qui devra redemander la confiance de la Chambre le 17 septembre prochain au plus tard.

Ils étaient peu connus l’automne dernier, fidèle lecteur, ils ont eu le temps de se faire connaître, mais sans doute pas assez. Georges-Louis Bouchez et Joachim Coens, ensemble, avaient déjà mené une vaine mission d’information, de décembre à janvier. Elle les avait donnés à connaître, juste après une mission d’information menée par Paul Magnette, que chacun connaissait alors déjà, et qu’ils se plurent à contredire tout en lui donnant raison avec un réjouissant systématisme. Le socialiste connu voulait une coalition associant les rouges, les bleus, les verts et les oranges. Le social-chrétien et le libéral en quête de connaissance voulurent une coalition associant les rouges, les bleus, les verts et les oranges, ils lui trouvèrent le joli nom en quadrichromie de Vivaldi, puis en fait ils n’étaient pas d’accord entre eux pour le vouloir, puis ils voulurent une coalition associant les socialistes et la N-VA, en plus d’eux-mêmes et de l’Open VLD, ce dont Paul Magnette ne voulut pas, puis leur mission se termina. Georges-Louis Bouchez proclama que même Jésus n’aurait pu mettre d’accord PS et N-VA, et il fut enfin connu, et la Flandre commença à bien connaître Joachim Coens avec ça.

Bouchez proclama que même Jésus n’aurait pu mettre d’accord PS et N-VA.

Egbert Lachaert, chef de groupe Open VLD à la Chambre des représentants, lui, n’était toujours pas connu, ce printemps, lorsqu’en plein confinement un vote électronique le porta à la présidence de son parti. Il allait devoir se trouver une occasion de se faire connaître, et Joachim Coens et Georges-Louis Bouchez la lui offrirent, avec en ce début d’été comme en cette fin d’automne la joyeuse ambition de reprendre les pistes de Paul Magnette, de les suivre, de les rebrousser, de les piétiner et peut-être même de les reboucher avant de les rouvrir.

Paul Magnette et Conner Rousseau avaient tenté de relancer des négociations entre PS et N-VA, ils avaient retesté la Vivaldi, relancé les spéculations sur un arc-en-ciel amélioré ou pas, parlé, beaucoup parlé, bluffé, beaucoup bluffé, et n’avaient pas trouvé de majorité. A Sophie Wilmès, en fin de mission, ils avaient dit que la coalition minoritaire des trois familles (socialiste, libérale et sociale chrétienne), installée grâce à l’abstention de partis qui resteraient dans l’opposition – la N-VA ou, plutôt, les verts -, était  » la dernière possibilité avant des élections anticipées « , sachant qu’elle était la seule à ne pas avoir fait l’objet d’un veto formel des présidents des formations concernées.

Mais Georges-Louis Bouchez, Joachim Coens et Egbert Lachaert, les trois présidents que l’histoire récente a rendus connus ne pouvaient pas laisser d’autres présidents qu’eux dénouer la situation fédérale s’ils voulaient que l’histoire future les rende reconnus. Alors, ont-ils expliqué dans un communiqué de presse rédigé au 16 rue de la Loi et envoyé par le porte-parole de la Première ministre, mercredi 17 juin,  » cette piste n’est pas privilégiée par les partis concernés « . Georges-Louis Bouchez, Joachim Coens et Egbert Lachaert se promettent désormais ainsi de trouver  » des partenaires supplémentaires à la coalition actuelle afin de dégager une majorité politique qui mènera une politique de soutien et de relance efficace « . Soit simultanément installer un gouvernement majoritaire de plein exercice et mettre en oeuvre un plan de relance économique qui tiendrait le choc. De la coalition dépendra le plan de relance, et du plan de relance dépendra la coalition.

Paul Magnette n'a pas encore rencontré les trois présidents désormais aux manettes.
Paul Magnette n’a pas encore rencontré les trois présidents désormais aux manettes.© LAURIE DIEFFEMBACQ/BELGAIMAGE

L’un s’appuyant sur l’autre et l’autre reposant sur l’un, ils comptent se servir de leur position gouvernementale pour façonner l’un et l’autre à leur intérêt.

Et, pour commencer, pour régler un ou deux petits comptes.

Celui de Paul Magnette surtout, et de Conner Rousseau un peu, à qui la gloire d’avoir trouvé la solution n’aurait pu être concédée, et qui n’allaient pas s’en tirer déchargés de toute responsabilité si des élections anticipées devaient être convoquées.

Alors les trois présidents vont le faire un peu payer aux deux autres présidents.

 » Le cirque pour faire lambiner Magnette  »

D’ailleurs souviens-toi il y a trois semaines, fidèle lecteur, de toutes parts fuitaient les intentions socialistes de, tout de même encore, essayer de voir s’il n’y avait pas moyen de faire quelque chose avec la N-VA. D’un bureau du parti était même sortie une alternative  » ce sera un gouvernement avec la N-VA ou les élections  » dont parlèrent tous les journaux. Les conditions ajoutées ensuite par des socialistes anonymes (insister pour qu’Ecolo en soit et, surtout, en exclure l’Open VLD) avaient permis à Paul Magnette d’une part de tester sa base, toujours aussi réticente à une alliance suicidaire avec les séparatistes flamands, et d’autre part d’inquiéter l’Open VLD, voire le MR (avec la N-VA, les socialistes, les sociaux-chrétiens et les verts dans une majorité, les libéraux devenaient numériquement superflus). C’est cette inquiétude, dûment maturée, qui fit qu’aucun des présidents concernés ne réfuta formellement l’idée socialiste d’un gouvernement minoritaire.

On ne voit pas un gouvernement miser sur le silence approbateur du Vlaams Belang pour s’introniser.

Et souviens-toi ce lundi, fidèle lecteur, des articles qui, de plus en plus, répercutent les ambitions libérales et CD&V de, tout de même, essayer de voir s’il n’y a pas moyen de faire quelque chose sans le PS. Au MR, le bureau du parti, lundi 22 juin, a laissé planer l’idée qu’il était possible que le CDH et le SP.A se joignent aux quatre partis de l’ancienne suédoise pour constituer, avec 77 sièges, une courte mais suffisante majorité à la Chambre. Depuis la table où les trois présidents ont déjà convié tout le monde sauf Paul Magnette, on dit le CDH pas nécessairement hostile, et le SP.A pas spécialement effrayé.  » C’est du cirque pour faire lambiner Magnette, pour fracturer l’unité de la famille socialiste, et peut-être, pour prouver une énième fois aux partenaires flamands que la N-VA n’est en fait pas prête à monter dans un gouvernement fédéral « , juge pourtant un membre du bureau du MR, qui est certain que  » la majorité du bureau ne validera de toute façon pas une option aussi risquée « .

Risquée parce que le CDH voudra se faire payer chèrement son entrée dans un équipage aussi minoritaire côté francophone.

Risquée, aussi, parce que le CDH ne semble plus tenu par son serment postélectoral de vouer cette législature à l’opposition, et que s’il redevient disponible pour gouverner en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles, PS et Ecolo pourraient en profiter pour recomposer les gouvernements où ils ont dû, faute de majorité, faire monter le MR. Willy Borsus, vice-premier du gouvernement wallon, l’a signalé, ce même lundi, à son bureau de parti.

Le président libéral peut donc, comme son homologue socialiste avant lui, bluffer un peu, mais il ne peut pas le mettre irréversiblement en colère tout de même.

On trouvera sans doute là une des raisons de la relative pondération de Georges-Louis Bouchez depuis l’opération menée contre Philippe Close après la manifestation Black Lives Matter à Bruxelles.  » Oui, il a été convenu qu’on calmerait nos attaques contre les socialistes, là « , explique un parlementaire.

Un plan de relance… pour l’alliance PS-NVA

Sachant que Georges-Louis Bouchez, Joachim Coens et Egbert Lachaert eux-mêmes ont déjà déclaré qu’il était impossible de forcer le PS à gouverner avec la N-VA, que cette impossibilité a été répétée tout au long de leurs premiers jours de mission, proclamée partout et donc, apparemment établie, que leur reste-t-il donc à explorer, sous peine d’élections anticipées ?

Une autre expérience minoritaire que celle des  » trois familles  » proposée par Paul Magnette et Conner Rousseau ? Il faudrait pour ça s’appuyer sur des abstentions au moment du vote de la confiance, et on ne voit pas, en Belgique, un gouvernement miser sur le silence approbateur du Vlaams Belang pour s’introniser.

Ou alors les trois présidents bluffent, et veulent tout de même encore une dernière fois essayer de coincer Paul Magnette et son parti ?

Ils en ont à la fois le pouvoir et les moyens, et Paul Magnette le sait tellement bien qu’il a déjà tenté de s’en échapper.

Parce que le gouvernement fédéral peut tout de même encore une dernière fois, sous l’impulsion de Sophie Wilmès et des trois présidents de parti, lui refaire le coup des  » kern+10  » et du Conseil national de sécurité élargi aux gouvernements fédérés, mais à grande échelle : une tempête de propositions qui ne seraient que modifiables à la marge. Il faudrait pour cela jeter les bases d’un plan de relance fédéral, et surtout y associer les Régions, qui sont déjà en train de travailler au leur. Les Régions, ce sont la Flandre de Jan Jambon, la Wallonie d’Elio Di Rupo et la Bruxelles-Capitale de Rudi Vervoort. Le PS et la N-VA, associés dans un plan de relance fédéral piloté par un gouvernement fédéral dont ils ne pourraient finalement que faire partie. C’est sans doute ce qui va tenter de se négocier dans les semaines qui viennent. Et ce qui immanquablement devra échouer, tant Paul Magnette et les socialistes s’y attendent.

Mais que restera-t-il donc alors, au bout du bout des solutions de la dernière chance et de la dernière chance des solutions ?

Eh bien, peut-être, la Vivaldi, dont, souviens-toi fidèle lecteur, Paul Magnette lui-même avait pourtant proclamé la mort il y a quelques semaines, lorsqu’il bluffait devant son bureau, ou qu’il bluffait devant une caméra de télévision. Elle forcerait le centre-droit à s’associer à des écologistes qu’ils honnissent toujours plus. Mais au moins elle donnerait tort à Paul Magnette.

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