Carte blanche

Football à la télévision: trop is te veel! (carte blanche)

Jacques Liesenborghs, ancien vice-président du conseil d’administration de la RTBF, regrette que la mission de service public soit oubliée avec le traitement actuel de l’Euro, d’autres sujets brûlants étant délaissés.

J’aime le foot. Qu’il se joue en flamand, en français, en italien, en anglais, en danois … j’aime le (beau) foot. Mon goût du foot remonte aux années 50. Je jouais avec mes copains à l’école et j’oubliais parfois de manger à midi tellement j’étais pris. J’aimais aller voir des matchs avec des copains, à l’Union, au White Star, au Heysel. A noter que les joueurs étaient des quasi amateurs (même en D1). Plus tard j’ai joué avec mes élèves, mes fils et mes petits-fils. Et, aujourd’hui, je regarde avec plaisir certains matchs de l’Euro sur les chaines télé du service public.

La télévision, parlons-en

Depuis le milieu des années 50 (il y a 70 ans), le spectacle du foot à la télé n’a pas arrêté d’occuper de plus en plus d’heures dans les programmes. Tant mieux si un large public peut profiter de ce spectacle (quand il est beau). Tant mieux si ces spectatrices-teurs peuvent partager de belles et fortes émotions. Tant mieux si des familles, des amis peuvent vivre à l’unisson des moments forts de convivialité voire de stress. Ah, le suspense et les retournements de situation (France-Suisse, un monument !). Et la fête après les victoires des Diables, pourquoi pas ?

Mais quand même…

Faut-il que, dès potron-minet et tout au long de la journée, les radios et TV de service public « occupent le terrain » de foot quasi non stop? Pourquoi ne pas se satisfaire de l’essentiel: le spectacle offert par les joueurs, les coups de génie, les gestes fairplay, … Pendant près de 15 jours, les accros ont pu s’offrir 2 matchs par jour. Soit 180 minutes c’est-à-dire trois heures. Ajoutez-y plusieurs fois des prolongations et des penalties.

C’est déjà pas mal, non? Mais ce n’est pas assez! Au fil des années on a multiplié les rendez-vous : à tout seigneur tout honneur, d’abord les entretiens avec les joueurs et l’entraineur. La grande trouvaille, ce sont les nombreux plateaux avec une kyrielle d’experts, plus experts les uns que les autres. Quelle maestria pour décortiquer les phases de jeu, les choix tactiques (que dis-je, stratégiques)! Refaire le match, quoi. Merci Benjamin, Frédéric, Kalilou, Swann et tous les compères. Qui serais-je sans vous?

Bon, reconnaissons que ces échanges ponctués d’images vues et revues, ça ne coûte pas cher. Du moins si on compare à l’achat des droits de transmission de tous les matchs. Par le service public, svp! Notons que les savants du foot n’ont droit qu’aux quelques minutes laissées par les pubs. La multiplication des écrans de pub autour de l’Euro me laisse songeur. Oui, bien sûr, ça paie une partie des droits de retransmission. Mais quand même.

Au détriment de

Non, je ne vais pas refaire le procès (justifié) de la pub. Ni de ce milieu du foot transformé et perverti par le fric (les transferts, les salaires, les agents, le Qatar, l’équipe de bandits de la FIFA, ….). Non, je voudrais « simplement » que nous interrogions le service public sur son traitement de l’actualité. Sur la disproportion entre les temps accordés à l’Euro (ou aux GP de F1) et celui consacré à éclairer le citoyen sur la complexité des questions brûlantes que notre société doit affronter et résoudre pour le bien de tous les habitants de notre planète.

Certes, il y a le bon magazine Investigations et quelques rares rendez-vous (surtout en radio). On y prend le temps de donner la parole aux unes et aux autres. On veille à ce que les invités-experts s’écoutent et ne s’interrompent pas. Mais elles sont bien trop rares ces émissions au terme desquelles l’auditeur ou le téléspectateur a pris du recul par rapport à sa première approche et se sent mieux outillé pour se construire une opinion personnelle.

Prenons deux événements qui ont fait l’actualité ces dernières semaines : le foulard (1) et la grève de la faim des travailleurs sans papiers. Deux sujets très sensibles qui nécessitent nombre de remises en contexte et en perspective. Autant que d’éclairages pluriels : d’abord par les actrices-teurs concernés, ensuite par des ‘experts’ capables d’aider à pénétrer dans la complexité des sujets évoqués. Pas seulement des faits, des disputes entre politiques, mais avant tout des apports qui permettent de prendre le temps du recul indispensable.

Voilà qui demande du temps d’élaboration, de recherches et d’enquêtes. Beaucoup de temps. Et beaucoup de talents pour rendre abordables, pour accrocher à des sujets difficiles et délicats. Le talent ne manque pas. Il faut faire des choix. C’est un énorme défi à relever par le service public. S’il n’y consacre pas bien plus de moyens humains et matériels, il portera une lourde responsabilité dans la détérioration de notre démocratie.

Faites les comptes. Sachant que les missions du service public sont « informer, éduquer, divertir« , examinez les grilles de programmes: quel temps, quelle place, quels moyens, quelle promotion pour les émissions (existantes et à venir) qui éclairent les citoyens sur la complexité des enjeux cruciaux pour aujourd’hui et pour demain? C’est la mission de service public qui est au coeur de ces réflexions.

Pour l’Euro, pas d’inquiétude? Sûrement pas pour les temps d’antennes qui lui sont consacrés ! Mais toutes les « célébrations » sportives, les vedettes, les porteurs d’eau, les exploits, les victoires et les défaites, tout cet univers soulève des questions de fond et de mesure qui sont souvent éludées.

Jacques Liesenborghs

Vice-président du CA de la RTBF de 1999 à 2004

  • Oui, foulard. Pourquoi a-t-on abandonné ce terme et lui a-t-on substitué « voile islamique » ? Un choix qui n’est pas neutre.

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