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Fête et contagion : « Garder les boîtes de nuit fermées, c’est du populisme à deux balles »

Muriel Lefevre

Des chiffres qui explosent en Catalogne, des évènements qui se transforment en cluster aux Pays-Bas, la réouverture des boîtes des nuits ne se fait pas sans remous en Europe. Pourtant, « garder les boîtes de nuit fermées, c’est du populisme à deux balles », estime Lorenzo Serra, co-fondateur de Brussels by Night Federation, qui représente les professionnels du monde de la nuit à Bruxelles.

En Espagne, les boîtes de nuit ont rouvert depuis le 21 juin. Timidement, c’est vrai, puisque le nombre de personnes présentes est limité et que les masques sont obligatoires sur la piste de danse et au bar. Mais tout de même, c’est toujours mieux que ce qui est permis dans la plupart des pays européens. Il n’en fallait pas plus pour faire de l’Espagne une espèce d’eldorado festif pour de nombreux jeunes venant de toute l’Europe et souhaitant faire la fête comme avant le covid. La fête risque néanmoins d’être de très courte durée puisqu’on assiste aujourd’hui à une explosion des contaminations en Espagne. Pour expliquer cette recrudescence, on lorgne vers les boîtes de nuit qui ont tout d’un coupable idéal. S’il est difficile de dire quel est le rôle exact de ces dernières dans la recrudescence de l’épidémie, de nombreux témoignages révèlent que tous les clubs espagnols n’appliquent pas les règles à la lettre et que si, dans la plupart des cas, la soirée commence comme elle le devrait, il n’est pas rare que la situation dérape vers les 1h du matin.

Une cible un peu trop évidente ?

On est néanmoins en droit de se demander si ces lieux de fêtes ne sont pas une cible un peu trop facile. Après tout, il y a aussi toutes les fêtes privées qui ont lieu un peu partout et sans aucun contrôle depuis le début des vacances et l’arrivée de l’été. Ensuite, l’ouverture des boîtes de nuit n’est qu’une des mesures de déconfinement en Espagne. Par exemple, le port du masque n’est plus obligatoire dans les espaces publics. L’une des autres causes de recrudescence des cas pourrait tout aussi bien être le taux de vaccination relativement bas en Espagne qui permet au virus de circuler plus librement. En effet, seuls 40,3 % des quelque 47 millions d’Espagnols sont totalement vaccinés contre le coronavirus et seule la moitié (55,9 %) a reçu au moins une dose d’un vaccin. Le problème est même encore plus aigu chez les jeunes, puisqu’à la différence d’autres pays européens, qui ont ouvert il y a plusieurs semaines la vaccination aux jeunes adultes et aux adolescents, l’Espagne applique un système assez rigide, qui a débuté cet hiver avec les personnes âgées de plus de 80 ans et est arrivé progressivement à la tranche des 30-39 ans. En conséquence les jeunes ne sont pour la plupart pas encore vaccinés alors que les vacances avec ses fêtes sont déjà là. Il n’en fallait pas plus pour que le nombre de contaminations devienne rapidement incontrôlable. L’incidence s’est ainsi élevée à 814 cas pour 100.000 personnes sur 14 jours pour les 20-29 ans mercredi, soit plus du triple de l’incidence moyenne pour l’ensemble de la population (252). »La plus grande partie de ces cas ne débouchent pas sur des hospitalisations, parce qu’ils sont généralement moins graves », a déclaré à l’AFP le Dr. Fernando García, porte-parole de l’Association madrilène de santé publique,  » ils ne contribuent pas moins à la propagation du virus s’ils ne sont pas enrayés à temps ».

Dance again et d’autres tests concluants

Pour tenter de convaincre qu’organiser des événements de ce type était possible, la Ville de Bruxelles, les ASBL Brussels Expo et Brussels Major Events, le CHU Saint Pierre, l’Université Libre de Bruxelles (ULB) ainsi que la fédération Brussels By Night ont organisé le week-end dernier un évènement test intitulé « Dance again ». C’est 250 personnes qui se sont réunis pour la première soirée « clubbing » test en Belgique dans la salle La Madeleine à Bruxelles. Pour avoir accès à la salle, les participants avaient dû se faire tester dans l’après-midi. Seuls quelques-uns étaient positifs et se sont vus refuser les lieux. « Nous avons reçu hier les résultats des test PCR des gens admis et 0 étaient positifs. Les tests rapides semblent donc être efficaces. Par ailleurs, Sciensano a aussi les chiffres et s’ils devaient avoir plusieurs cas positifs dans les prochains jours, on devrait normalement le savoir. Mais même si c’était le cas, les gens pourraient très bien avoir été contaminés ailleurs », précise encore Lorenzo Serra.

A Liverpool, à la fin avril et début mai, ont également eu lieu trois soirées qui ont réuni au total près de 11.000 clubbeurs. Selon la BBC, seul 11 d’entre eux ont été testés positifs par la suite. Ainsi, deux cas ont été enregistrés pour les 5.000 personnes rassemblées dans le parc Sefton à Liverpool pour un concert en plein air et 9 cas pour un événement réunissant deux fois 3000 personnes à l’intérieur baptisé « The First Dance » (« La Première Danse »). Les 6000 clubbeurs au total étaient invités à effectuer un test PCR avant et après leur soirée, n’avaient pas à porter de masque ou à respecter de distanciation. Les dirigeants et scientifiques chargés de la santé publique de la ville ont pour leur part précisé que ces évènements n’ont eu « aucun impact » sur la propagation du virus dans la région. En Espagne également on a fait ce genre de test. Ainsi un concert a rassemblé 5.000 personnes fin mars à Barcelone. Les participants y ont dansé sans distance, mais avec masques et avec un test antigénique avant le concert. Comme à Liverpool, les organisateurs ont indiqué qu’il n’y avait « aucun signe » de contagion pendant l’événement.

Les voyages spécial fiesta annulés

Devant l’explosion de cas, de nombreux tour-opérateurs belges qui offraient des voyages festifs vers l’Espagne ont décidé de suspendre leurs offres, notamment les voyages vers la station balnéaire Catalane de Lloret de Mar réputée pour ses nombreuses boîtes de nuit, jusqu’au moins la fin juillet. Une énorme déception pour des centaines de jeunes qui s’étaient littéralement rués sur ce type de vacances qui connaissait un engouement sans précédent depuis quelques jours. L’organisateur de voyages pour jeunes Summer Bash a ainsi annulé les excursions prévues et va même rapatrier toutes les personnes parties avec lui en Espagne, indique-t-il jeudi.

Beste Summer Bash'er Beste Ouders Vanuit Summer Bash zijnde is dit misschien wel de moeilijkste beslissing die we ooit…

Posted by Summer Bash – Jongerenreizen on Wednesday, July 7, 2021

Un dépistage massif mercredi a révélé 15 cas de contamination au coronavirus sur 271 jeunes : deux à Lloret de Mar, cinq à Malgrat de Mar et huit à Calella. Tous les cas positifs ont été placés en quarantaine ensemble dans une villa à Lloret de Mar. Summer Bash constate que de plus en plus de groupes partis par son intermédiaire affichent des symptômes et a dès lors décidé de rapatrier tous ses clients en séjour en Espagne. La décision concerne au total 350 jeunes vacanciers. Des cars ont été dépêchés depuis la Belgique afin de ramener les jeunes chez eux. Les cas positifs et négatifs au Covid-19 seront séparés et un autre dépistage va être organisé. En Belgique, ils devront encore respecter une quarantaine et se faire tester.

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De toute façon rien ne garantit que les clubs resteront encore longtemps ouverts en Espagne. Ainsi le plus grand club de Lloret de Mar, le S’Jongers, a dû fermer ses portes pour au moins une semaine depuis dimanche soir, sur ordre de la police. A Barcelone, c’est 30 à 40 % des clubs qui ont décidé de ne pas rouvrir cette semaine malgré le fait que les boîtes de nuit peuvent ouvrir jusqu’à trois heures et demie. Le gouvernement de la Catalogne (nord-est) a même annoncé mardi que les bars et discothèques fonctionnant dans des espaces clos devraient fermer pour au moins 15 jours à partir du weekend prochain.

Il n’y a pas qu’en Espagne que la réouverture des boîtes de nuit a provoquée quelques remous

Début juillet, on apprenait qu’un évènement dans la discothèque Aspen Valley d’Enschede, aux Pays-Bas, avait été à l’origine d’un cluster, puisque sur les 600 personnes présentes dans l’établissement le samedi 26 juin, 189 ont été testées positives une semaine plus tard. Par ailleurs, d’autres foyers de coronavirus s’étaient déjà déclarés aux Pays-Bas à la suite de sorties en discothèque ou de fêtes. Cela serait dû au système de tests d’accès et l’application CoronaCheck hollandais qui ne seraient pas infaillibles et à certaines possibles négligences des organisateurs qui ne se seraient pas montrés assez strictes. Ainsi, il aurait été possible de tricher puisque certaines personnes présentes dans la discothèque auraient envoyé le QR code de l’application à leurs amis qui se trouvaient encore à l’extérieur pour leur permettre de rentrer à leur tour. Un comportement peu civique qui risque de nuire à l’entièreté du secteur et donc indirectement aux autres fêtards puisque différents bourgmestres bataves se réunissent cette semaine pour refaire le point sur la question.

Et en Belgique ?

En Belgique, pas la moindre date pour une éventuelle réouverture n’a encore été avancée par les autorités à la grande exaspération du secteur qui est fermé depuis 16 mois. Lorenzo Serra, co-fondateur de Brussels by Night Federation, qui représente les professionnels du monde de la nuit à Bruxelles, est même très énervé. « On a proposé un protocole sanitaire réalisé en collaboration avec une cinquantaine d’opérateurs à travers tout le pays pour permettre une réouverture quand les conditions sanitaires le permettaient. On ne demandait pas non plus une ouverture non contrôlée puisque le protocole préconisait notamment la présentation d’un certificat vert à l’entrée de la discothèque ou de la soirée (soit un test négatif ou la preuve qu’on est entièrement vacciné ou qu’on a guéri du Covid-19 NDLR). Ce protocole a été remis à plusieurs politique au niveau fédéral début juin et depuis plus rien. On nous ignore. Pourtant, dans le même temps, on permet aux bars et aux restaurants de rouvrir même en intérieur. C’est une blague! Le résultat, c’est que certains de ces lieux se transforment en boîte de nuit. On autorise aussi les fêtes de mariages et j’ai du mal à croire que les gens n’y dansent pas, ni ne se prennent dans les bras. On voit aussi beaucoup de grosses fêtes à la maison et les locateurs de son et lumière n’ont jamais aussi bien marché. Or on ne loue pas ça pour des fêtes à 25 dans le jardin. Et c’est normal, car on ne peut pas empêcher les gens de faire la fête. Ignorer ce simple fait, c’est faire preuve d’hypocrisie. Se servir de la hausse du taux de contamination dans d’autres pays pour garder les boîtes de nuit fermées en Belgique, ce serait même du populisme à deux balles. Plutôt que garder le monde de la nuit fermé, on ferait mieux de nous voir comme une partie de la solution. Organiser des fêtes encadrées est bien plus sûr que de voir fleurir toute sorte de fêtes sauvages. C’est un peu comme pour la problématique de la drogue, on peut toujours prétendre que ça n’existe pas, mais c’est un leurre. Il est plus efficace d’encadrer ce qu’on ne peut empêcher. D’ailleurs je trouve un peu facile de dire que le problème c’est que les jeunes ne sont pas vaccinés. On pourrait aussi voir le problème autrement. La réouverture de ce secteur pourrait justement être une motivation supplémentaire pour les jeunes à se faire vacciner. Aujourd’hui, ces derniers se font principalement vacciner pour pouvoir voyager. Mais la vaccination pourrait aussi être le sésame pour ravoir accès aux soirées. Ce serait une belle carotte et une raison supplémentaire de se faire vacciner. Plutôt qu’être un problème, on pourrait être une partie de la solution. » Le fait que les boîtes de nuit sont rouvertes aux Pays-Bas et au Luxembourg et bientôt en France (le 9 juillet avec une jauge de 75 % du public vacciné – ou pouvant présenter un test négatif – et port du masque recommandé, mais pas obligatoire) n’a fait qu’échauffer encore davantage les esprits. « Les gens vont traverser la frontière. Les jeunes vont tout simplement aller à l’étranger pour faire la fête. Et ils vont le faire en voiture ce qui risque de provoquer des accidents. Ce manque de cohésion avec les pays voisins est totalement ridicule »

Le secteur espère tout de même, sans trop y croire, que le sujet sera encore discuté le 16 juillet lors du prochain Codeco et que celui-ci offre enfin ne fût-ce qu’un peu de perspective. En effet, une ouverture immédiate n’est pas forcément souhaitée par le secteur puisqu’il faut du temps pour relancer ce genre d’activité et que la plupart des clubs sont fermés en été car la « saison » du clubbing s’étale généralement du 15 septembre au 15 juin. Ce que le secteur souhaite ardemment c’est avant tout qu’on tranche pour une éventuelle réouverture le 1er septembre, soit en même temps que la reprise de la vie estudiantine.

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