Femmes politiques: leur tenue vestimentaire peut devenir gage de leur (in)compétence

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Parce qu’elles sont continuellement jugées sur leur apparence, beaucoup de femmes politiques doivent se débattre avec la question de leur habillement. Qui est loin d’être anodine: elles sont regardées avant d’être écoutées, et leur tenue vestimentaire peut devenir gage de leur(in)compétence.

Il ne fait même pas l’effort de rentrer le ventre. Ou alors, cela n’a pas l’effet escompté. Teuvo Hakkarainen pose tout sourire, poils et panse affichés, en casquette et en slip. Bien moulant, le caleçon. Ce cliché de l’eurodéputé finlandais d’extrême droite, posté par ses soins sur Facebook le 1er octobre, suscitera bien quelque 2 000 likes et plus de 180 commentaires, surtout des émojis pouce levé, biceps contracté, et même sourire goulu langue tirée. Mais point d’indignation rétinienne face à cet élu torse nu. Les seins de Sanna Marin, eux, étaient juste devinables, derrière un blazer noir échancré que la Première ministre finlandaise portait pour cette séance photo publiée par un magazine féminin, le 9 octobre. Ce soupçon d’absence de soutien-gorge a suffi: « incompétente », « indécente », « inappropriée », n’aurait-elle pas une crise sanitaire à gérer plutôt que de « jouer les mannequins »?

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C’est désormais l’usage: un hashtag « je suis avec Sanna » est né sur les réseaux sociaux, où ses soutiens ont posé en décolleté, et où plusieurs observateurs n’ont pas loupé la différence de traitement entre les deux édiles finlandais. Deux tétons, deux mesures. « Bienvenue au club » des femmes politiques au physique constamment discuté, l’a « félicitée » sa prédécesseure de 2 000 à 2012, Tarja Halonen. « Au contraire des hommes qui peuvent être torse nu, que leur corps le permette ou non. » Coucou Teuvo.

Une image

Même la puissante Angela Merkel, pourtant vestimentairement peu aventureuse, n’est guère libre de son habillement. « Pour un homme, ce n’est pas du tout un problème de porter un costume bleu foncé cent jours de suite, mais si je porte le même blazer quatre fois en deux semaines, les lettres commencent à affluer », confiait-elle au magazine Die Zeit en janvier 2019. « Lorsqu’une femme devient politicienne, elle reste avant tout une femme aux yeux des autres, c’est-à-dire une image, alors que les hommes jouissent, eux, du statut d’individu. Les hommes voient, les femmes sont vues », analysait la philosophe politique Regula Stämpfli dans Le Temps, le 12 septembre dernier, dans un article consacré à la manière dont les élues helvètes géraient la question de leur apparence. S’en ficher, en jouer, se masculiniser, exagérer?

Pas de raison que les politiciennes belges échappent à ces interrogations. « C’est un véritable casse-tête quand je dois m’habiller pour le Parlement, décrit Sophie Rohonyi, députée fédérale (DéFI). J’aimerais garder mon style et être à l’aise, mais je n’ai pas envie d’être jugée sur mon apparence et qu’on en oublie mes idées. » Exit, d’office, les décolletés et les minijupes. Parce que « le contenu doit être plus important que le contenant ».

Etre à la hauteur

Parce qu’il faut coller à la fonction, aussi. « La première chose qui m’est venue à l’esprit, quand je suis devenue députée il y a un peu plus d’un an, c’est qu’il allait falloir que je change, que je fasse sérieux. Que j’aie l’air à la hauteur de mon rôle », explique Margaux De Ré, députée bruxelloise (Ecolo). Paraître conforme aux attentes, à la fonction. Plus compliqué quand on n’opte pas pour les talons. « Ça, les remarques sur mes baskets, c’est revenu souvent! »

« Je ne voulais pas me décrédibiliser, poursuit-elle. J’arrivais dans un monde dont je ne partageais pas les codes, j’essayais de ressembler à ce qui existait déjà. Mais, finalement, je me suis un peu détachée de ça. On est aussi élu parce que chacun et chacune est différent. » Et quitte à ce que ses vêtements soient scrutés, autant « en faire un outil politique« , en les louant, les achetant éthiques ou de seconde main…

Lorsqu’elle était ministre de la Culture et invitée à des soirées « tenue correcte exigée », Alda Greoli (CDH) s’était assigné le devoir de « mettre en évidence nos créateurs locaux. J’achetais, sur mes deniers, des réalisations de stylistes belges. Mais, évidemment, personne ne s’est intéressé à ça. » Bien moins qu’à la robe qu’elle arborait le jour de sa prestation de serment, en avril 2016. Bleue, fleurie et peu au goût de certains observateurs-gausseurs. Toute la durée de son mandat, lorsque les humoristes André Lamy et Olivier Leborgne la parodient dans la matinale de Bel RTL, ils raillent ses « fripes achetées chez Wibra« .

« Au-delà de la condescendance envers ceux qui sont obligés de s’y habiller, on peut prendre ça en se disant « l’important, c’est qu’on parle de moi », ou en se demandant comment exercer sérieusement un métier quand le critère premier est celui-là », analyse Alda Greoli. Assurant que cet épisode n’a eu d’autre impact que celui d’exercer son sens de l’autodérision. « J’ai failli offrir la robe à l’un ou l’autre journaliste! »

« Allez, vas-y, enlève les boutons! »

Le fleuri suscite décidément les commentaires. Voire les huées et sifflements. « Allez, vas-y, enlève les boutons! » avait même osé un député de droite à Cécile Duflot, alors ministre écolo française, lors de sa première intervention à l’Assemblée nationale, en 2012. Cette robe (bleue, aussi), elle l’avait précisément achetée parce qu’il lui avait été reproché, quelques jours plus tôt, de s’être rendue à l’Elysée en jeans. « C’était humiliant, violent, révélait-elle deux ans plus tard dans Elle. J’ai préféré ne pas réagir pour, en quelque sorte, banaliser cet épisode afin qu’on se concentre sur ce que j’avais à dire. […] J’ai mal réagi en ne voulant pas réagir. J’aurais dû accepter, comme l’ont proposé mes consoeurs ministres, qu’elles portent la même robe, symboliquement, chacune à leur tour. »

Celle de Zakia Khattabi, alors jeune sénatrice Ecolo, n’était ni bleue ni fleurie, mais assortie à une paire de bottes. « Quelqu’un m’a fait une remarque, qui était censée être un compliment, se remémore celle qui vient d’être nommée ministre fédérale de l’Environnement et du Climat. Je ne l’ai plus jamais remise. » Pas plus que ce short en laine et ces bas opaques, qui avaient, eux aussi, suscité un commentaire graveleux dans les travées.

Dans le même cénacle, quelques années plus tôt, la libérale Christine Defraigne héritait d’un surnom néerlandais dont la traduction (libre) pourrait être « bouche à pipes », après avoir opté pour un pantalon en simili cuir. « Toute drapée de ma fonction de cheffe de groupe, quand je descendais faire une intervention, j’entendais un sénateur VLD rire avec d’autres sur mon passage. En leur demandant, j’ai fini par comprendre pourquoi. C’était très sexiste, évidemment, mais je l’ai pris au deuxième, voire au troisième degré. Aujourd’hui, je pense que plus personne ne ferait ce genre de « blague » bien grasse. »

Pourquoi se soucier de la couleur des chemisiers et jupes quand celle des cravates passe inaperçue

De fait: aucune des élues contactées ne déplore de telles remarques récentes. Du harcèlement en ligne, oui. Des appels en vidéoconférence à trois heures du matin avec un pénis en érection à l’autre bout du fil, oui. Des sous-vêtements envoyés par la poste (« même pas ma taille, en plus! »), oui. Des coordonnées personnelles utilisées à leur insu sur des sites échangistes, oui. Mais des propos graveleux quant à leur habillement non, ça, ça va, aucun souci.

Dresscode intégré

Toutes indiquent, en revanche, opter finalement pour des tenues sobres. Parce que c’est leur style (« je ne suis pas parmi les plus originales » [Alexia Bertrand, députée bruxelloise, MR], « je suis souvent habillée de façon non provocante » [Ludivine Dedonder, ministre de la Défense, PS], « il y a fort longtemps que j’ai adopté un dresscode auquel je me tiens, et je privilégie les pantalons » [Sophie Pécriaux, députée wallonne, PS]…) Parce qu’elles évoquent la déférence envers l’institution (« je ne viendrais pas en minijupe au parlement. Pour moi, tout est dans le respect, non pas d’un code, mais d’une forme de savoir-être » [Marie-Martine Schyns, députée wallonne, CDH]).

Et parce qu’elles ont assimilé que toute liberté vestimentaire exacerbée pourrait leur porter préjudice. « Je suis effarée de m’en rendre compte, mais j’ai intégré l’idée de ne pas attirer l’attention à partir de ma tenue. Le fait que c’est à moi de modifier mon habillement, alors que le problème est le regard que les hommes peuvent porter sur lui », constate Zakia Khattabi. Qui, au sein de son propre parti, lorsqu’elle le coprésidait, a dû résister aux demandes fréquentes de certains membres qui la sommaient… de faire une croix sur son manteau. Jugé « trop bourgeois ». Dans une interview accordée au magazine Wilfried, une légende sous son portrait estimait le prix de ses vêtements et accessoires. « Le rédacteur en chef s’est excusé, il n’en avait pas perçu la lecture genrée. Ça pousse à réfléchir: pourquoi faire ça sous ma photo et pas sous une autre? »

Pourquoi se soucier de la couleur des chemisiers et jupes quand celle des cravates passe inaperçue? « Ah, ça, c’est insupportable! s’exclame Christine Defraigne. Si j’ai le malheur de mettre du rouge, du vert, de l’orange, on me dit: « Tu roules pour tel parti, maintenant! « . Parce que je suis libérale, je devrais me contenter du bleu. Comme si les femmes politiques étaient des supportrices d’équipes de foot. » « Quand je descends vers la tribune, et que j’ai une robe d’une telle couleur, j’entends dire « ah, Sophie est en mode socialiste/écolo/… » ou « belle couleur, on voit que tu es proche de nous ». Alors que je suis en train de faire mon intervention », soupire Sophie Rohonyi.

Belles chaussures + maquillage = moins de travail

Ainsi sont aussi scrutées toutes les prises de paroles médiatiques. Sous l’angle de la belle coiffure, du maquillage raté, de la blouse jolie ou pas assez. Au fait, elles avaient raconté quoi, à la télé, les élues? « Ça, ça arrive tout le temps, lance Christie Morreale (PS), ministre wallonne de l’Emploi, de la Santé et de l’Egalité des chances. Bien sûr, que c’est frustrant. Mais j’essaie d’en rire, en me disant que, comme ça, si je dis une bêtise, personne ne s’en rendra compte! » La socialiste met « un point d’honneur à ce que les gens s’adaptent à [sa] personnalité », y compris vestimentaire. Pas question de remiser robes ou talons. Qui ne lui ont jamais valu, dans sa sphère professionnelle, de remarques désobligeantes. Tout au plus ce message, reçu lors de la crise Covid sur les réseaux sociaux: « Tout le monde est cerné et vous, vous avez de belles chaussures et du maquillage! C’est donc que vous travaillez moins que les autres ». CQFD.

Ce qu’il faudrait effectivement démontrer, dans le chef de ceux si soucieux de l’apparence des élues, serait précisément leur incompétence. Bien sûr, que les hommes politiques écopent de commentaires sur la couleur de leur cravate après une interview télévisée. Bien sûr, que certaines de leurs tenues ont pu choquer dans les assemblées où ils siégeaient. Le col Mao de Jack Lang en 1985. Le bleu de travail du député communiste français Patrice Carvalho en 1997. Le tee-shirt « Un autre monde est possible », arboré par le député écolo Vincent Decroly, qui lui vaudra d’être expulsé de l’hémicycle manu militari par des huissiers sur ordre du président de la Chambre, en 2002. La chemise sans cravate (normalement obligatoire) d’un député de la France insoumise, en 2017.

Chez les hommes, une volonté de provoquer

Mais, à chaque fois, la volonté de provoquer était là. Claire, consciente. Conner Rousseau, président du SP.A, peut se rendre chez le roi en baskets en suscitant certes les commentaires face à ce cassage de (dress)codes, mais pas les soupçons d’incompétence. Idem pour les tatouages du président du MR Georges-Louis Bouchez, sciemment mis en évidence à l’occasion. Sans qu’il se fasse traiter d’idiot pour la cause. Du moins, pas pour cette raison-là. « Moi qui suis aussi tatouée, signale Margaux De Ré, je reçois des messages du genre: « comment une personne qui prend d’aussi mauvaises décisions pour elle-même pourrait-elle prendre des décisions pour les autres? «  »

L’auteure féministe américaine Naomi Wolf, dans son ouvrage Quand la beauté fait mal (éd. Harper Perennial, 1990), développe la théorie selon laquelle les contraintes féminines d’apparence seraient véritablement nées dans les années 1980, pile au moment où les femmes commencèrent à acquérir un pouvoir économique, professionnel, pécuniaire. Le mythe du paraître aurait été créé pour miner leur confiance nouvellement acquise, les maintenir dans un sentiment d’insécurité. Ramener les femmes – politiques mais pas que – systématiquement à leur corps et à ce qui le couvre ne serait-il pas, finalement, leur refuser d’être d’abord des cerveaux?

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