Carte blanche

Faut-il suspendre l’examen d’entrée en médecine?

Le site de l’ARES nous apprend que « le Gouvernement de la Communauté française a approuvé, ce mardi 7 avril, une note d’orientation concernant l’organisation pratique de l’année académique 2019-2020 (lire 2020-2021)« . L’examen d’entrée permettant de s’inscrire au premier cycle en sciences médicales ou en sciences dentaires aura lieu les 28 août et 14 octobre 2020. Et si les circonstances actuelles conduisaient à dire la vérité et à reconnaître qu’il faut changer radicalement.

Dire la vérité.

Le numerus clausus existe depuis 1997 ; il est né du constat prétendu d’une sur-offre de médecins dont il se déduisait, pour les uns, qu’elle empêcherait ceux qui étaient déjà installés de bénéficier de conditions matérielles satisfaisantes, pour les autres, qu’elle entraînerait une augmentation non maîtrisée du coût des soins de santé.

La solution était toute trouvée, il suffisait de fixer un nombre maximum de médecins qui pourraient, au terme de leurs études, voir leurs prestations remboursées par l’INAMI.

Peu importe qu’aucune donnée fiable ne confirme le constat. La paix avec certains syndicats de médecins et la sauvegarde des accords médico-mutualiste étaient à ce prix.

Elle ne supposait aucune dépense, une mesure qui convient aux acteurs, auréolée du brevet de la maîtrise des finances publiques, que demander de plus ?

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Un écueil, cependant. Pour éviter que des cohortes de diplômés doivent être sélectionnés au terme de leurs études, la sélection devait se faire avant le diplôme. Il fallait donc obtenir la collaboration des Communautés, compétentes en matière d’enseignement ainsi qu’à tout le moins la neutralité bienveillante des universités.

Pour ces dernières, si quelques voix fortes se sont fait entendre pour critiquer l’atteinte portée à la liberté d’accéder à l’université, depuis la réforme de Bologne de 2004, l’allocation de fonctionnement n’est plus strictement proportionnelle au nombre d’étudiants. Perdre des étudiants ne diminuera donc pas de manière proportionnelle le financement. Cela contribue à modérer l’indignation et des universitaires apporteront leur concours sans état d’âme aux régimes successifs qui seront inventés.

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Du côté des Communautés, dès le départ, la Communauté flamande met au point un examen d’entrée aux études de médecine qui, miracle, permettra de ne diplômer que ceux qui obtiendront le sésame INAMI.

Les francophones avancent à reculons et la succession des régimes donne le tournis.

Dans un premier temps, un procédé d’évaluation va porter sur les trois premières années d’études puis un examen sera organisé au terme de la première année qui va permettre à ceux qui ne sont pas reçus de poursuivre leurs études mais sans pouvoir exercer leur art, ensuite, un nouveau concours est réinstauré au terme de la première année de bachelier pour arriver à un examen d’entrée qui s’efforce de cacher qu’il s’agit d’un concours : le nombre de ceux qui seront admis aux études ne doit pas être loin de ceux qui auront le numéro INAMI.

Certains prétendent qu’il s’agit d’éviter que les étudiants qui ne maîtrisent pas les matières du secondaire, notamment en sciences, s’engagent dans une voie sans issue. C’est faux. Il s’agit de ne pas se montrer trop mauvais élève au regard de la problématique des quotas alors que la Flandre, elle, a fait le travail. La difficulté des épreuves permettra d’atteindre le but réellement visé. Et si c’est trop difficile, le niveau d’exigence pourra être diminué après la correction.

Et les besoins en matière de santé ?

En 2007, l’Académie de médecine a rappelé que « c’est le lobbying intense des associations professionnelles qui a fait basculer la décision en faveur d’une limitation …. Cette décision a été prise (i) malgré d’autres études qui démontraient que la densité de la population médicale ne correspondait pas à la densité de pratique médicale mais bien à la densité de diplômés médecins et (ii) malgré des prévisions quant à la réduction du temps de travail des diplômés, qu’ils soient hommes ou femmes, et (iii) sans prendre en considération la séniorisation inéluctable (vieillissement) du corps médical et (iv) sans tenir compte de la probable croissance de la demande de soins liée notamment à l’augmentation de la longévité« .

L’avis de l’Académie du 24 mars 2007 sonnait l’alarme : le numérus clausus induisait dès à présent une situation critique principalement pour les soins de première ligne. Il soulignait que le manque de jeunes médecins généralistes et la diminution du nombre de jeunes candidats spécialistes dans les structures hospitalières étaient dès à présent patents et dommageables.

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Le rapport du Centre fédéral d’expertise des soins de santé de 2019 sur la performance du système de santé belge soulève différents « signaux d’alarme » parmi lesquels le fait que l’âge moyen des généralistes continue à augmenter et que les quotas fixés pour l’accès à la spécialisation de médecine générale ne permettent pas d’obtenir une proportion suffisante de nouveaux diplômés. Les signaux d’alarme sonnent, en vain, depuis des mois de plusieurs côtés : on manque d’ores et déjà de généralistes, de pédiatres, de gériatres, de psychiatres, d’urgentistes, …

Comment peut-on rendre hommage tous les soirs à tous ceux qui luttent aujourd’hui dans des conditions souvent très difficiles pour faire face à la pandémie et, alors que l’on connaît une pénurie avérée en médecine générale, rhumatologie, médecine légale, psychiatrie, gériatrie, et un risque de pénurie en médecine interne générale et oncologie médicale, se contenter de s’interroger, gravement, sur la date à laquelle on organisera les examens d’entrée en faculté de médecine aux fins d’augmenter ces pénuries ?

Il faut remettre à plat, d’urgence, sur base de données objectives aujourd’hui à la disposition de tous, le régime des quotas. Il faut faire sauter, dès l’année académique 2020-2021, l’examen d’entrée tel qu’il est conçu aujourd’hui pour éviter de pleurer et de pleurer encore sur le lait renversé.

Un peu de courage !

Jean Bourtembourg

Avocat et enseignant à l’Executive master en management des institutions de santé et de sois (MMIS)

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