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Faut-il interdire les groupes qui incitent à la haine? (débat)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Schild & Vrienden et ses entraînements militaires à l’étranger, des associations et leurs appels à la discrimination: les extrémistes inquiètent. Une proposition de loi PS-SP.A permettrait d’interdire les groupes propagateurs de violence et de haine. Défenseur de figures de l’extrême droite et de l’islamisme violent, l’avocat Sébastien Courtoy estime la proposition de loi superflue.

Ahmed Laaouej, chef de groupe PS à la Chambre: « Un équilibre à trouver entre les libertés et l’interdiction des groupes incitant à la haine. »

Pour le chef de groupe socialiste à la Chambre Ahmed Laaouej, il faut réagir.

Quel objectif votre proposition de loi poursuit-elle?

La proposition de loi avait été déposée en janvier 2020 par Meryame Kitir (NDLR: devenue ministre de la Coopération en octobre) et elle a été reprise par Melissa Depraetere (SP.A). Elle est le résultat de débats au Parlement sous la présente législature qui ont débouché sur une proposition de loi soumise au Conseil d’Etat. Celui-ci a rendu un avis particulièrement circonstancié en demandant que soient reprécisés un certain nombre d’éléments en regard de l’équilibre à trouver entre les libertés fondamentales, d’expression ou d’association notamment, et la volonté des auteurs de voir interdites, en complément de la loi sur les milices de 1934, des organisations qui « ont pour objectif ou pour caractéristique essentielle d’inciter à la violence, à la discrimination ou à la haine en raison de la nationalité, d’une prétendue race, de la couleur de peau, de l’ascendance, de l’origine ethnique ou nationale, de la conviction religieuse ou philosophique mais aussi de l’orientation sexuelle, de l’état civil, de la langue, du sexe ou d’un changement de sexe ». Autrement dit, sont certainement visées des organisations d’extrême droite mais aussi d’autres types d’associations fanatisées. La notion juridique que nous utilisons ne fait pas référence à un élément particulier de la spectrographie politique.

On ne fait pas référence dans notre proposition de loi à des organisations qui ne seraient pas démocratiques.

Déterminer les organisations qui peuvent relever de cette typologie ne sera-t-il pas compliqué dans certains cas?

Il faut s’en remettre à l’appréciation souveraine des juges. La critériologie utilisée fait référence à l’incitation à la violence, à la haine, à la discrimination… Elle implique la nécessité d’un élément matériel, accompagné de ce que le Conseil d’Etat appelle un dol spécial, c’est-à-dire une intention particulière. Tous ces éléments doivent pouvoir être vérifiés par les cours et tribunaux. Comme dans une série d’autres cas, ce sont les circonstances des faits et de la cause qui pourront donner lieu à une interdiction ou pas. Une marge d’appréciation et d’analyse existe, comme il se doit dans un Etat démocratique. On ne fait pas référence dans notre proposition à des organisations qui ne seraient pas démocratiques ou qui le seraient. L’important est de savoir pourquoi une association s’est constituée, et si elle s’est constituée avec pour objectif ou caractéristique essentielle d’inciter à la violence, à la discrimination ou pas. C’est sur cette base-là qu’une interdiction peut être prononcée.

Ahmed Laaouej, bourgmestre de Koekelberg, chef de groupe PS à la Chambre.
Ahmed Laaouej, bourgmestre de Koekelberg, chef de groupe PS à la Chambre.© photo news

Est-ce en vertu de ce principe que vous excluez du champ de l’application de la loi les organisations coupables de « dérapages » circonstanciels?

Je vous donne trois exemples où la loi ne s’appliquerait pas. Primo. Un ou plusieurs membres d’une organisation se rendent coupables d’incitation à la haine ou à la violence. Ils peuvent être poursuivis à titre individuel. Mais leurs actes n’entreraient pas dans l’application d’une interdiction de l’organisation dont ils font partie. Deuzio. Une association contribue, en une circonstance particulière, à l’incitation à la violence ou à la haine mais elle ne s’est pas constituée autour de cet objectif. Ce cas n’entre pas non plus dans le champ d’application de la législation. Tertio. Si on constate qu’une organisation a publié sur son site un article qui incite à la discrimination ou à la haine mais qu’elle ne l’a pas fait de manière intentionnelle et répétée, elle ne tomberait pas non plus sous le coup de la loi. L’important est de déterminer une matérialité et une intention.

La loi ne risque-t-elle pas de renvoyer dans une forme de clandestinité des organisations qui ayant pignon sur rue, seraient plus faciles à surveiller?

Il existe des associations de droit et des associations de fait. Des associations de fait peuvent aussi être démonstratives dans l’espace public. Il ne faut pas partir du principe que tout groupement humain est forcément structuré juridiquement. Blood and Honour, avec ses chants nazis et ses discours ouvertement antisémites, était-il constitué en asbl ou en association de fait? Peu importe. Il se définissait comme Blood and Honour et se présentait comme une association. Elle entrerait donc dans le cadre de la proposition de loi, indépendamment de savoir si elle a une personnalité juridique propre ou pas. Qu’elles soient clandestines ou officielles, les organisations dangereuses pour le respect de la dignité humaine et la sauvegarde des principes fondamentaux de notre démocratie sont de toute façon à combattre. Par des réponses de nature juridique, judiciaire et administrative. Mettez-vous à la place des bourgmestres qui doivent autoriser ou pas une manifestation. Si des organisations sont interdites à l’aune du cadre juridique que l’on propose, cela facilitera leur prise de décision. Ces organisations doivent être combattues, a fortiori quand elles sont clandestines. Je ne pense pas que cette proposition pourrait obérer d’une manière ou d’une autre l’efficacité de la lutte contre les organisations dangereuses.

Fouad Belkacem de Sharia4Belgium, aujourd'hui dissoute, lors d'une conférence de presse en 2012.
Fouad Belkacem de Sharia4Belgium, aujourd’hui dissoute, lors d’une conférence de presse en 2012.© photo news

Le ministre de l’Intérieur français Gérald Darmanin veut dissoudre Génération identitaire. Y a-t-il une prise de conscience européenne de la dangerosité de ces groupes?

Je ne m’aventurerai pas dans une comparaison avec la situation à l’étranger. En revanche, la montée en puissance de ces mouvements m’inquiète fortement. On l’observe dans un certain nombre de pays, y compris dans ceux où l’extrême droite est au pouvoir. Je me réjouis qu’en Belgique francophone, le cordon sanitaire médiatique autour de l’extrême droite soit respecté. Quand, au nord du pays ou chez nos voisins, elle peut déverser sur les plateaux de télévision des discours haineux et violents, je me dis que leur banalisation donne à certains le sentiment de croire qu’ils peuvent passer à l’acte. C’est la raison pour laquelle j’ai fait le choix, avec d’autres, de ne jamais rien laisser passer dans le champ politique.

Sébastien Courtoiy, avocat: « Du show pour se profiler en bons démocrates. »

Défenseur de figures de l’extrême droite et de l’islamisme violent, l’avocat Sébastien Courtoy estime la proposition de loi superflue. Suffisamment d’outils existent déjà.

Quelle réaction vous inspire la proposition de loi permettant d’interdire les organisations incitant à la discrimination, à la haine, à la violence?

Il y a un principe inscrit dans la Constitution: la légalité de l’incrimination. Elle doit être précisément exposée ou expliquée. On peut mettre ce que l’on veut dans l’incitation à la haine ou à la discrimination. On peut parfois être moralement d’accord de poursuivre tel ou tel groupe. Mais je sais comment cela se termine: ceux qui sont emmerdés sont toujours ceux qui ne pensent pas comme les gens du Parti socialiste. Admettons que deux ou trois mecs infiltrent une organisation et décident de dire des choses qui tomberaient sous le coup de la loi, toute l’organisation doit-elle être condamnée et dissoute? Poursuivre une abstraction m’a toujours paru délicat. De surcroît, cette loi ne sert strictement à rien parce que tous les outils existent déjà. Un des défenseurs de cette proposition a affirmé qu’elle allait permettre de combattre le terrorisme. On ne l’a pas attendue pour le combattre. On a entre dix et vingt législations spécifiques pour lutter contre le terrorisme, les lois sur les milices privées, sur les organisations criminelles, sur l’association de malfaiteurs… On dispose de la loi antiraciste qui permet d’attaquer toute personne physique qui aurait incité à la haine ou à la discrimination. Il existe les lois sur la calomnie, sur la diffamation, sur le négationnisme… Cette proposition de loi est totalement superflue. C’est du show pour se profiler en bons démocrates. Et à titre individuel, je trouve insupportable qu’un être humain qui n’est jamais qu’un singe évolué puisse dicter à un autre singe évolué ce qu’il a le droit de dire ou de penser.

Poursuivre une abstraction m’a toujours paru délicat.

Déterminer une incitation à la violence, à la haine vous paraît-il compliqué?

J’ai vingt ans d’expérience dans pas mal de dossiers liés à cette problématique et j’ai compris depuis longtemps que tout ce qui n’est pas politiquement correct est considéré comme une incitation à la haine ou à la discrimination. Quand on instaurera la loi martiale, on ne dira pas que c’est pour embêter les gens, on dira que c’est pour les protéger des méchants communistes ou des méchants rebelles. On mettra toujours en avant une organisation de déjantés, de nazis ou de crapules… Je ne suis ni nazi ni un espèce de pseudo-socialiste ; je regrette que ce pays se transforme de plus en plus en dictature larvée.

Sébastien Courtoy, avocat.
Sébastien Courtoy, avocat.© photo news

Donc vous voyez dans cette proposition de loi un outil supplémentaire pour brimer la liberté d’expression?

Ce sont toujours les mêmes outils que le pouvoir utilise: la peur, la culpabilité… Souvenez-vous du livre de George Orwell, 1984, que l’on cite souvent: c’est par le regret, le remords que l’on tient les gens. On est toujours poussé à la culpabilité. Je crois qu’il y a une corrélation très étroite entre le fait que l’on ne puisse plus rien dire et le constat que, du coup, ce que l’on a à dire sort sous forme violente. Chateaubriand disait: la liberté d’expression, « c’est la parole à l’état de foudre. Plus vous prétendez la comprimer, plus l’explosion sera violente. » Cela étant, telle est la Belgique. Il n’y aura pas un grand débat sur cette proposition de loi. Tout le monde estimera cela formidable et on trouvera bien deux juges assez serviles pour l’appliquer. Comme toujours.

La tendance à l’interdiction de ces groupes est-elle européenne? En France aussi, les dissolutions se multiplient.

Le ministre français de l’Intérieur veut dissoudre Génération identitaire. Mais à ma connaissance, ses membres n’ont jamais directement provoqué la mort ou les blessures de qui que ce soit. Ils mènent des actions qui déplaisent à l’équipe au pouvoir, à tort ou à raison. C’est pour cela qu’on essaie de trouver un nouveau moyen pour tenter de les coincer.

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