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Faut-il craindre le confédéralisme ?

La Belgique confédérale, un concept nébuleux, introuvable dans les manuels de droit, et potentiellement explosif.

Il ressemble comme deux gouttes d’eau à ce « séparatisme feutré » conspué par le roi Albert II. Il frappe avec insistance à la porte de la maison Belgique. Il est l’invité sans gêne de cette campagne maussade. Et si le confédéralisme était, déjà, le vrai vainqueur de ces élections ? Ralliée de fraîche date à ce concept politique aux contours flous, la N-VA en parle désormais avec la foi des convertis. Ah bon ? La N-VA ne serait plus séparatiste ? Ses chefs de file, Bart De Wever et Geert Bourgeois, renonceraient à leur projet de toujours, l’indépendance de la Flandre ? Que nenni !

De Wever n’en fait pas mystère : pour lui, le confédéralisme ne représente qu’une étape. Vers quoi ? L’indépendance de la Flandre, pardi. En attendant ce grand soir, sa stratégie lui permet de maintenir un cap radical, sans effaroucher ces nombreux électeurs néerlandophones qui veulent plus d’autonomie pour la Flandre, mais ne désirent pas la fin de la Belgique. Bien joué, Bart !

Mais de quoi parle-t-on, au juste ? « Le confédéralisme, c’est une alliance entre des Etats indépendants et souverains, qui décident de gérer en commun certaines matières, peu nombreuses », précise Hugues Dumont, professeur de droit constitutionnel aux Facultés Saint-Louis de Bruxelles. Parmi les cas emblématiques figure la Confédération américaine qui, à la fin du xviiie siècle, a précédé la fondation des Etats-Unis. Avant l’unification de l’Allemagne par Bismarck, en 1871, il y eut aussi une Confédération germanique. Quant à la Suisse, elle est un Etat fédéral depuis 1848, bien qu’elle porte toujours le nom de « Confédération helvétique », souvenir d’un passé où les cantons étaient réellement indépendants.

La Belgique de l’après 13 juin sera forcément plus light

« On ne parle jamais d’un Etat confédéral, mais d’une confédération d’Etats », insiste Hugues Dumont. Autrement dit : en plaidant pour le confédéralisme, la N-VA ne renonce en rien au rêve d’une Flandre indépendante. Tout juste consent-elle à déléguer une poignée de compétences à un reliquat d’Etat belge.

Brandi par la seule N-VA, le spectre du confédéralisme ne hanterait pas à ce point la campagne électorale. Seulement voilà : dans le nord du pays, on se bouscule au portillon confédéral. Les libéraux de l’Open VLD défendent le concept, tout comme les chrétiens-démocrates du CD&V. Quant à la LDD de Jean-Marie Dedecker, son credo est clair : « Une Flandre maximale dans une Belgique minimale. »

A la différence de la N-VA, le CD&V et l’Open VLD affirment cependant ne pas concevoir le confédéralisme comme une association d’Etats indépendants. Pour eux, il s’agit plutôt d’un « au-delà » du fédéralisme actuel, qui augmenterait encore le poids des Régions et des Communautés. La Belgique subsisterait en tant qu’Etat, mais ne s’occuperait plus que d’un nombre réduit de compétences. Une perspective envisagée dans le sud du pays avec moins d’effroi que par le passé.

Dans le sillage de Philippe Moureaux (PS), le premier leader francophone à avoir défendu cette option, d’autres se sont ralliés au confédéralisme. Dans Vers l’Avenir, le 24 avril, le député fédéral André Frédéric (PS) jugeait nécessaire « une réforme de l’Etat vers, pourquoi pas ?, un confédéralisme ». Jean-Luc Crucke (MR) embrayait quelques jours plus tard, dans Le Soir : « Je plaide pour une Belgique confédérale, avec des transferts de compétences massifs vers les Régions. »

Sans pour autant adhérer au schéma confédéral, d’autres s’emploient à dédramatiser le débat. « D’une certaine manière, la Belgique fonctionne déjà sur un mode confédéral », relativise Isabelle Durant (Ecolo). « Fédéralisme ou confédéralisme : je ne veux pas être prisonnier d’un concept. Je veux une large autonomie pour les entités fédérées, avec le maintien de la solidarité », ajoutait Louis Michel (MR), le 17 mai, dans Het Laatste Nieuws.

Francis Delpérée, tête de liste CDH au Sénat, s’insurge contre ce relativisme : « Dans aucune université du monde, je n’ai entendu un prof de droit dire que le fédéralisme et le confédéralisme, c’était la même chose. Les Belges ne peuvent pas se faire leur petit vocabulaire à eux tout seuls. » Relativement isolés dans ce combat-là, le CDH et le FDF continuent de s’opposer à tout glissement, même symbolique, vers le confédéralisme. Comme si ce mot lourd de sens risquait, à lui seul, de précipiter l’éclatement du pays.

« Les gens ont besoin de dignité »

Qu’elle porte l’étiquette fédérale ou confédérale, la Belgique de l’après-13 juin sera forcément plus light. La réforme de l’Etat est inscrite dans les astres. Elle impliquera des transferts de compétences vers les Régions et les Communautés, au détriment du niveau fédéral. Une catastrophe ? Non. Mais cela ne facilitera sans doute pas la vie des francophones, déjà rendue compliquée par les précédents détricotages de l’Etat fédéral.

« Prenons la communautarisation de l’enseignement. Les francophones ont appris à vivre avec, mais ils sont quand même beaucoup moins bien lotis qu’avant la communautarisation, rappelle Jean-Benoît Pilet, politologue à l’ULB. Tout simplement parce que les mécanismes de solidarité ont été réduits. Si l’enseignement est sous-financé en Communauté française, c’est parce que les francophones doivent aujourd’hui l’assumer eux-mêmes. »

A contre-courant, Philippe Destatte, le directeur de l’Institut Jules Destrée, l’un des bastions du régionalisme wallon, est l’un des rares à ne pas avoir peur du confédéralisme qui guette. Pour lui, déclencher une guerre de tranchées pour tenter de ralentir la demande d’autonomie flamande n’a aucun sens. « S’il faut transférer des compétences, qu’on les transfère, et qu’on prenne nos responsabilités dans la dignité ! Arrêtons de penser qu’on est foutus si les Flamands ne veulent plus de nous ! »

La scission de la sécurité sociale, voulue par la N-VA, mais aussi partiellement par le CD&V et l’Open VLD, n’appauvrira-t-elle pas le sud du pays ? « Notre niveau de sécurité sociale sera peut-être moindre que celui de la Belgique actuelle, mais il se situera toujours dans la moyenne européenne. Les choses au quotidien seront peut-être plus difficiles, effectivement. Peut-être qu’on ne pourra plus assumer de la même manière le non-emploi… Mais les gens ont besoin de bonheur, de dignité, peut-être plus que de moyens financiers. »

A court terme, les négociateurs francophones devront pourtant affronter un dilemme aux allures de casse-tête chinois. « Comment donner aux Régions les moyens financiers d’assumer de nouvelles compétences, sans appauvrir l’Etat fédéral ? Là, on risque d’avoir un point de blocage », pointe Jean-Benoît Pilet. Accepter le transfert de compétences supplémentaires aux Régions, sans leur donner les moyens financiers équivalents, cela mènerait la Wallonie et Bruxelles vers l’asphyxie budgétaire. A l’inverse, si les transferts de compétences du fédéral vers les Régions s’accompagnent des moyens correspondants, c’est l’Etat fédéral, déjà au bord du gouffre, qui risque la faillite.

« A situation économique égale, pour les francophones, il n’y a aucune bonne solution », relève Jean-Benoît Pilet. Autrement dit : le seul espoir réside dans une embellie économique. Pour s’extirper de la tenaille, il faut impérativement redonner de l’oxygène au budget wallon, soit en augmentant les recettes, soit en réduisant les dépenses. Les pistes ? Diminuer le nombre de fonctionnaires, dit-on à droite. Taxer les capitaux, exige-t-on à gauche. Relancer l’économie en misant sur les technologies vertes, tente le gouvernement de Rudy Demotte.

Reste cette question lancinante : quelles sont, au juste, les intentions des partis flamands ? Pour Francis Delpérée (CDH), il faut « obliger les confédéralistes à sortir du bois. Soit ils veulent travailler dans le cadre de l’Etat belge pour un fédéralisme plus poussé. Soit leur objectif est, à court ou à moyen terme, l’indépendance de la Flandre, et le confédéralisme n’est qu’une étape vers cette indépendance. Avec les seconds, je ne peux pas discuter ! On est sur deux planètes. Comment voulez-vous négocier une réforme de l’Etat avec quelqu’un qui veut la disparition de l’Etat ? »

« Ce qui est insupportable, avec nos amis flamands, c’est qu’ils ne dévoilent jamais leur vrai souhait, abonde Hugues Dumont. Il faut les forcer à dévoiler leurs intentions à long terme, en leur demandant par exemple de se positionner par rapport à la création d’une circonscription fédérale. S’ils sont dans une logique de disparition de la Belgique, il est évident que ce genre de proposition ne peut pas les intéresser. Mais, au moins, on y verra plus clair. »

FRANCOIS BRABANT

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