Carte blanche

Fake news et coronavirus: responsabiliser au lieu de priver de liberté!

Tant face à l’épidémie que face aux désinformations qu’elle génère, les politiques liberticides sont peu efficaces, estime Christophe Assens, professeur à l’université de Paris Saclay. Il faut miser sur la responsabilité individuelle.

Régulièrement, les réseaux sociaux sont assaillis de fausses nouvelles. L’épidémie mondiale du Coronavirus n’échappe pas à la règle. Les théories de désinformation propagées par des attaques informatiques provenant de Russie font croire que le virus a été créé par les Etats-Unis pour faire une guerre économique à la Chine, que c’est une arme biologique inventée par la CIA ou qu’elle fait partie d’une stratégie occidentale de messages anti-chine. Dans le même temps, la Chine fait tout pour effacer l’origine du virus dont le foyer d’infection se situe dans la province de Hubei, par une campagne de communication en mobilisant les antennes diplomatiques.

Les réseaux sociaux servent de terrain de jeu dans des duels géopolitiques entre les grandes puissances. Parfois la désinformation porte sur des aspects plus légers, faisant croire que le Coronavirus est transmis par la nourriture chinoise, ou par les moustiques, qu’il peut être éradiqué par la vitamine C ou par l’alcool, qu’il provient de la soupe de chauve-souris ! La propagation de fausse nouvelle est d’autant plus facile qu’elle se déroule au sein d’une foule protégée par l’anonymat des réseaux sociaux. Pour empêcher la désinformation, il est tentant d’envisager de durcir la répression judiciaire. Mais elles n’est pas dissuasive, car le temps médiatique est plus rapide que la justice. Est-il alors nécessaire d’encadrer par la loi les pratiques que la morale réprouve ?

L’encadrement juridique est régulièrement évoqué pour lutter contre les dérives des réseaux sociaux, en mettant fin à l’anonymat sur Internet ou en renforçant l’obligation des plates-formes de censurer les propos jugés haineux, voire en sanctionnant juridiquement la dissémination de fausses nouvelles. Néanmoins, il semble utopique de vouloir restreindre les libertés sur les réseaux sociaux, par la contrainte judiciaire, car la propagation d’une fausse nouvelle est mondiale. Elle se déroule en dehors des limites de souveraineté nationale, parfois orchestrée par des grandes puissances se livrant à de l’ingérence politique.

Dans cette mesure, réguler les réseaux sociaux par la loi est aussi utopique que de vouloir maîtriser le réchauffement climatique par la taxe carbone dans un seul pays, ou d’empêcher la dissémination de la grippe en fermant les frontières d’un État. La propagation de fausses nouvelles sur Internet correspond, de ce point de vue, au même mécanisme de propagation virale du Coronavirus. Ainsi, en dépit de la censure renforcée de l’information sur les réseaux sociaux et de la mise en quarantaine de millions de personnes, la Chine ne parvient pas à endiguer la propagation du virus, à tel point que la maladie finit par se propager sur tous les continents comme une trainée de poudre, en Europe, en Afrique, aux Etats-Unis, au Moyen Orient, en Australie… Par effet boule de neige, d’autres pays sont contaminés à la suite de la Chine, entreprennent de freiner ou d’atténuer la propagation de l’épidémie virale, par des mesures de privation de liberté : le contrôle drastique aux frontières, la fermeture d’écoles, l’interdiction de rassemblements culturels ou sportifs, le confinement des malades dans des hôpitaux, etc. Néanmoins, le virus de la maladie circule aussi vite et aussi librement que circule l’information sur Internet, par des ramifications sans frontières.

Que faut-il retenir de cet évènement? Les politiques liberticides sont peu efficaces pour contrôler des réactions en chaîne mondiale dans les réseaux interpersonnels, si ce n’est de créer un sentiment de psychose parmi la population, avec le risque de ralentir fortement l’économie mondiale.

Face à ce constat, que faut-il faire ? D’après la théorie sur « la variété requise » de Ross Ashby il n’est pas possible de réguler un système de l’extérieur par un organe de contrôle dont le niveau de complexité serait inférieur au système en question. Autrement-dit, il n’est pas possible de réguler politiquement la propagation mondiale du Coronavirus, à moins de disposer d’un État ou d’un groupe d’Etats possédant un niveau de contrôle aussi complexe et aussi ramifié que celui d’une chaîne de contamination mondiale. Comme il n’y a pas de concertation entre les Etats sur ce sujet, y compris en Europe, la chaîne de contamination sur le Coronavirus, ou la propagation de fausse nouvelle dans un réseau social doit se réguler de l’intérieur, par des mécanismes d’autocontrôle. Chacun doit assumer ses responsabilités pour pratiquer l’autocensure en cas de crise. Cela correspond notamment à adopter des « mesures barrières » sur le plan sanitaire : éviter les regroupements, isolement et port du masque pour les personnes malades, mesures d’hygiène pour les autres en évitant le contact par poignée de main et l’exposition aux postillons, aux éternuements et à la toux.

Pour éviter la désinformation dans un réseau social, les « mesures barrières » sont identiques. Elles consistent à éviter la propagation de proche en proche de fausses informations, par des mesures d’hygiène informatique : vacciner l’ordinateur contre les virus informatiques ; recouper et vérifier les sources avant de disséminer une information, bloquer la transmission d’une information suspecte pour éviter de manipuler l’opinion de ses proches et de créer ainsi un effet d’entraînement collectif irréversible. Mais ces « mesures barrières » sont d’autant plus efficaces qu’elles font parties des conventions sociales dans le réseau, c’est-à-dire de règles tacites fondées sur les usages. Adopter une « mesure barrière » est donc une action pour se protéger, mais également pour protéger les autres.

Dans ces conditions, la solidarité ne relève pas d’une injonction de l’Etat, mais d’un réflexe de survie dans un réseau où chaque individu dépend de façon réciproque du bien-être des autres pour communiquer, partager, échanger collaborer. Autrement-dit la propagation virale d’une fausse nouvelle ou d’une épidémie sur le plan sanitaire peut être stopper aussi rapidement qu’elle survient, par la propagation virale de bonnes pratiques sur les « mesures barrières », par conformisme et solidarité avec les autres.

Dans ces conditions, cela ne sert à rien de durcir la réglementation pour vouloir réguler des chaînes de contamination ou pour empêcher la diffusion anarchique de fausse nouvelle sur un réseau social. En effet, il est facile de contourner les règles en se plaçant en dehors de la juridiction notamment lorsque le phénomène est mondial, ou d’appliquer strictement les règles pour se donner bonne conscience, en tuant les bénéfices du partage collectif et en empêchant alors les bonnes pratiques de se propager. Le meilleur rempart contre la propagation d’un virus dans un réseau repose sur la responsabilité individuelle, en respectant des conventions utiles pour la diffusion de bonnes pratiques et le partage d’informations vérifiées. Sur les réseaux sociaux professionnels on parvient à maintenir cet équilibre entre l’estime de soi et le respect des autres, il doit être possible d’atteindre le même niveau de maturité dans les réseaux sociaux concernant la vie privée, et pour endiguer une épidémie virale.

Christophe Assens est professeur à l’université de Paris Saclay. Il a publié « Réseaux sociaux, tous ego? Libre ou otage du regard des autres » (De Boeck, 2016).

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