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Fadi la rebelle d’Anderlecht

La ministre de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Fadila Laanan, se heurte au refus de la section PS d’Anderlecht de lui donner une vraie place aux communales d’octobre.

Fadi, comme disent ses amis, est une jeune femme épanouie et intelligente qui aime battre les pavés de sa commune d’Anderlecht. Elle adore aussi parler aux gens et ne fait pas, assure-t-elle, de promesses qu’elle ne saurait pas tenir. « Ecouter les gens, c’est déjà résoudre 50 % de leurs problèmes. » Fadila Laanan rêve d’être bourgmestre. Un jour. Face à elle, un rival, Eric Tomas, député bruxellois socialiste. Qui aimerait bien clôturer sa carrière d’ancien ministre régional et de président du parlement bruxellois en devenant le bourgmestre d’une des plus grandes communes de la Région de Bruxelles-Capitale : Anderlecht, plus de 112 000 habitants.

Son rêve est à portée de main : sa section l’a désigné tête de liste pour les prochaines communales. En Région bruxelloise, le maïorat n’échoit pas, comme en Wallonie, au candidat qui a récolté le plus de voix sur la liste la plus importante. C’est davantage une affaire d’appareil. De surcroît, l’accord préélectoral entre le PS et le MR a déjà réparti les rôles : Eric Tomas, bourgmestre, et Gaëtan Van Goidsenhoven, premier échevin. Ce dernier a achevé le mandat du bourgmestre Jacques Simonet, décédé brutalement en 2007, sans atteindre sa popularité. L’accord anticipe déjà un recul des libéraux.

Elle n’est pas mal où elle est, Fadila Laanan. Ministre de la Culture, de l’Audiovisuel, de la Santé et de la Jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles par la volonté de son idole, Elio Di Rupo. Bruxelloise jusqu’au bout des ongles, elle voit en lui un modèle d’intégration pour les Maghrébins. « La Belgique est le seul pays où une telle ascension est possible en une génération », s’émerveille-t-elle. Mais après avoir permis, en 2006, à Eric Tomas d’être élu au conseil communal avec le paquet de voix qu’elle avait attirées sur son nom, en queue de liste, elle ne souhaite plus jouer les utilités aux communales d’octobre prochain. Le problème ? Eric Tomas, un fidèle de Philippe Moureaux, a verrouillé la section d’Anderlecht. Il faut parfois des années – et un coup de pouce du Boulevard de l’Empereur – pour que des candidats non adoubés mettent un pied dans la section. Décourageant.

A ce petit jeu, Fadila a perdu d’avance. Trop indépendante, pas assez man£uvrière, pas assez d’ego. Sa force : une assise électorale impressionnante dont, paradoxalement, le PS local se méfie. Un autre jeune loup du PS, Fabrice Cumps, premier échevin à Anderlecht et bras droit d’Eric Tomas, lorgne le fauteuil de bourgmestre en 2018. Fadila aussi. Déjà la lutte a commencé.
Le PS bruxellois et le Boulevard de l’Empereur embarrassés
Depuis novembre 2010, le bureau politique du PS bruxellois est saisi du litige entre la jeune femme, d’une part, et Eric Tomas et Fabrice Cumps, d’autre part. Les deux hommes s’obstinent, malgré les tentatives de médiation interne, à refuser toute place au soleil à la ministre. « Elle n’a jamais présenté sa candidature », objecte Eric Tomas. « J’ai fait mon deuil de la première place », confie Laanan, qui aspire néanmoins à la deuxième place pour tirer la liste en pleine lumière. Mais cette deuxième place est déjà attribuée au SP.A, la troisième à Fabrice Cumps, la quatrième à une CDH, elle aussi, d’origine marocaine… Eric Tomas a été jusqu’à hésiter à lui proposer la dernière place. « Les gens se demandent pour qui ils vont voter si je ne suis pas là, dit Fadila. Or je suis socialiste et fidèle à mon parti. »

Aujourd’hui, les instances du PS lui proposent de pousser la liste, comme en 2006. Elle a refusé la dernière place. A Bruxelles et ailleurs, de nombreux poids lourds de la politique veulent tester leur popularité en prenant part au scrutin communal. D’autres veulent s’assurer contre une possible défaite aux législatives de 2014 ou un changement de coalition. Charles Picqué à Saint-Gilles, Philippe Moureaux à Molenbeek, Laurette Onkelinx à Schaerbeek… Mais pas Fadila Laanan à Anderlecht, contre son gré. Pourquoi pas elle ? Silence…

« Le vrai visage de l’avenir de Bruxelles »

Dimanche dernier, le 12 février, le PS bruxellois a tenu son premier meeting préélectoral. Quatre cents militants réunis pour découvrir les ténors socialistes ou des gloires plus locales qui mèneront la danse le 14 octobre prochain. Deux inconnues : qui sera tête de liste à Uccle, où Françoise Dupuis, l’ex-femme de Philippe Moureaux et actuelle présidente du parlement bruxellois, s’accroche mais est sérieusement contestée par l’échevine Claudine Verstaeten ? Qui sera l’homme fort du PS à Jette, où Merry Hermanus ne veut pas rempiler ? Le problème devrait se régler à Uccle, sans doute au détriment de Françoise Dupuis, blackboulée par sa propre section. A Jette, les responsables du PS bruxellois ont approché l’ex-échevin de la Ville de Bruxelles, Henri Simons (qui a décliné), la députée Karin Lalieux… et Fadila Laanan. « Je viens d’acheter une maison à Anderlecht, à 200 mètres d’où j’habitais avant », rigole celle-ci.

Pourquoi le duo socialiste d’Anderlecht tient-il tant à écarter Laanan ? « Parce qu’ils en ont une frousse bleue, croit savoir un homme du sérail. Ce sont des archéo-socialistes qui ne comprennent pas l’avantage énorme qu’ils ont d’avoir une jeune femme d’origine maghrébine, laïque, dont le mari est belge, qui est parfaitement intégrée et dont l’électorat est aussi bien belge que maghrébin. C’est le vrai visage de l’avenir de Bruxelles. » Comment expliquer que Philippe Moureaux, l’homme à la poigne de fer, n’ait pas réussi à faire entendre raison aux deux Anderlechtois ? Quant à son successeur à la tête de la fédération bruxelloise du PS, Rudi Vervoort, bourgmestre de la petite commune d’Evere, son poids est bien moindre que celui de Flupke Moustache, quand il dirigeait la fédération. Il doit négocier en permanence pour obtenir un consensus avec les autres socialistes bruxellois. Il n’avait besoin que des socialistes de Molenbeek (dont il est le bourgmestre) et d’Anderlecht (où Eric Tomas contrôle la section locale) pour avoir une majorité. D’où son soutien de toujours à Tomas et son opposition à Laanan. Quoique… La rumeur prétend que, cette fois-ci, Philippe Moureaux serait plutôt favorable à la ministre de la Culture. « Il s’est heurté à un veto du couple Cumps-Tomas », prétend notre informateur.

Rudi Vervoort ne dit pas le contraire. « Moi, j’ai tout fait, déclare-t-il ! Le PS bruxellois et le Boulevard de l’Empereur veulent trouver une solution. Comme ministre en exercice, Fadila a sa place sur la liste, mais il faut concilier cela avec une réalité de section et le respect des statuts, qu’on les aime ou non. Or elle ne s’est pas portée candidate ni personne de son entourage. C’est une erreur. Personnellement, je pense que, au sein de cette liste, la deuxième place a été promise un peu trop rapidement au SP.A. La quatrième, pour elle, n’a aucun sens. Il vaut mieux partir sur ce schéma : la deuxième ou la dernière place de la liste. » Eric Tomas et Fadila Laanan renvoyés dos à dos. « J’ai l’intime conviction qu’on y arrivera », affirme Rudi Vervoort.

MARIE-CÉCILE ROYEN

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