Liesbeth Homans, la présidente du parlement flamand.

Facilités : francophones pour quatre ans ou pour la vie ?

Le Vif

Les quatre bourgmestres de la périphérie bruxelloise recalés par la tutelle flamande pour avoir adressé des convocations électorales en français aux électeurs francophones, lors du scrutin communal d’octobre 2018, viennent d’être nommés sous l’effet de quatre arrêts du Conseil d’Etat, du 2 juillet, qui leur avaient donné gain de cause.

Ils ont prêté serment devant le gouverneur du Brabant flamand. Mais l’apaisement communautaire est loin d’être acquis dans ces communes à facilités situées en Flandre. En cause : un conflit d’interprétation entre le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, que nul ne peut trancher…

« Le statut linguistique de ces communes donne lieu, depuis plusieurs années, à un contentieux juridictionnel récurrent », écrit Emmanuel Slautsky, dans un article publié sur le site ‘justice-en-ligne’. Le professeur de l’ULB évoque les interprétations différentes d’une même législation (celle de l’emploi des langues en matière administrative) auxquelles se sont livrés le Conseil d’Etat et la Cour de cassation « dans la sphère de leurs attributions respectives, sans que l’interprétation de l’une ou l’autre juridiction ne s’impose juridiquement à l’autre. »

Cela est dû à notre système institutionnel, qui ne reconnaît pas la hiérarchie des normes.

« La Cour de cassation (juridiction de l’ordre judiciaire), poursuit le professeur de l’ULB, tranche des litiges relatifs à des droits subjectifs. Le Conseil d’Etat (juridiction administrative) connaît des recours en annulation introduits contre des décisions administratives. (…) On peut se demander si l’interprétation adoptée par la Cour de cassation, le 6 décembre 2018, ne risque pas de raviver un feu communautaire qui paraissait avoir perdu de sa vigueur depuis les décisions du Conseil d’Etat de 2014. »

La ministre Liesbeth Homans inflexible

Le 20 juin 2014, l’Assemblée générale (bilingue) du Conseil d’Etat, statuant sur les recours introduits par des bourgmestres refusés à la nomination, en 2012, avait tranché : la législation linguistique n’impose pas aux habitants francophones des communes à facilités de la périphérie bruxelloise de demander, pour chaque document administratif, qu’il leur soit, dans un deuxième temps, envoyé en français, comme l’exige toujours – en 2019… – la tutelle régionale flamande. Une demande adressée tous les quatre ans à la commune suffit, selon la juridiction administrative.

Quatre ans plus tard, et dans un autre contexte juridique, une chambre francophone de la Cour de cassation a livré une autre interprétation. Suite à un litige fiscal entre un habitant francophone et la Communauté flamande, elle a décidé, le 6 décembre 2018, que l’habitant d’une commune périphérique qui fait connaître à celle-ci qu’il utilise le français a le droit que tant les services locaux de cette commune que ceux de l’exécutif flamand utilisent désormais cette langue dans tous leurs rapports administratifs avec lui, sans qu’il lui soit requis d’exprimer son choix lors de chaque rapport administratif, pas plus qu’à intervalles réguliers.

En clair, cet habitant doit être considéré comme francophone « à vie » (en tous cas, tant qu’il le souhaite) et doit pouvoir recevoir ses documents communaux ET régionaux, cette fois, dans sa langue.

Mais, qu’il s’agisse des arrêts du Conseil d’Etat ou de celui de la Cour de cassation, la tutelle, en la personne, à l’époque, de la ministre des Affaires intérieures, Liesbeth Homans (N-VA), devenue tout récemment ministre-présidente du gouvernement flamand, a toujours nié les effets de ces jurisprudences : « Le Néerlandais est la langue officielle de la Flandre, qui prime sur toutes les autres », martèle-t-elle.

Des échevins privés de mandat durant plusieurs mois

Les six bourgmestres concernés sont à présent définitivement nommés, à Kraainem, Wezembeek-Oppem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Drogenbos et Wemmel, jusqu’au prochain scrutin communal de 2024. Mais qu’en sera-t-il aux élections suivantes ? Sans sécurité juridique, pour l’envoi des convocations électorales, ils pourront s’appuyer sur la jurisprudence du Conseil d’Etat (francophones pour quatre ans) ou sur celle de la Cour de cassation (francophones « à vie »). Et la Flandre pourrait, à nouveau, refuser de les nommer, en cas de respect de la langue de l’électeur. Et le carrousel des recours recommencerait…

Dans les communes à facilités, les échevins sont élus directement par la population lors du scrutin. Jusqu’à leur nomination, les maïeurs désignés par leur conseil communal ont assumé, durant six mois, un mandat d’échevin ET de bourgmestre désigné, bloquant de ce fait la montée d’un échevin au collège. Cette situation a engendré un surcroît de travail dans les communes.

A Rhode-Saint-Genèse, par exemple, Nicolas Kuczynski (MR) va entrer au collège, suite à la nomination du bourgmestre Pierre Rolin (CDH). Il envisage, nous dit-il, d’intenter une action au civil, à titre personnel ou en concertation avec ses trois collègues, contre la tutelle flamande auprès du tribunal de Première instance.

« Le gouverneur du Brabant flamand avait émis un avis favorable à la nomination des bourgmestres mais la ministre des Affaires intérieures N-VA a commis un abus de droit en privant, de surcroît, quatre échevins de leur mandat durant six mois. La tutelle flamande pourrait recommencer au prochain scrutin. Pour marquer le coup, nous pourrions lui réclamer des dommages et intérêts… »

Michelle Lamensch

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire