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Extinction Rebellion: pourquoi notre police n’est pas capable de gérer les manifestants comme à Londres ou Amsterdam ?

La première journée d’action nationale du groupe d’action Extinction Rebellion à Bruxelles a conduit à des centaines d’arrestations, tout comme dans nos pays voisins. Rien de plus normal puisque les activistes manifestent sans autorisation. Néanmoins l’approche de notre police s’est indiscutablement distinguée de celle de Londres ou d’Amsterdam.

« Un biscuit, monsieur l’agent ? » Pendant un moment, le policier hésite. Il finit tout de même par accepter le biscuit fait maison et recouvert de pépites de chocolat. Après tout, il est en faction depuis longtemps. « Merci », lui répond la femme avec la corbeille de biscuits. « Vous faites du bon travail. Nous sommes là pour vous aussi, et pour vos enfants. »

La tombée de la nuit ne viendra pas plomber l’ambiance devant les portes de Downing Street, où se trouve la résidence officielle du Premier ministre Boris Johnson. ‘ Oh police, let’s go down, down in the river to pray’ (Oh police, descendons, descendons dans la rivière pour prier) est la prière qui s’élève de centaines de gorges. Nous sommes le mardi 8 octobre, deuxième jour de ce qui doit être une occupation de deux semaines du district gouvernemental de Westminster, à Londres. C’est bien simple à chaque coin de rue, on tombe sur des factions d’Extinction Rebellion. Ils bloquent les routes, les ponts, les ministères et le parlement. Deux grosses averses qui ont eu lieu plus tôt dans la journée ne sont pas parvenues à les chasser. Tout comme les avertissements répétés de la police qui leur demande : « s’il vous plaît, partez ou vous serez arrêté ».

Les activistes sont enchaînés ensemble au sol, les bras serrés par paires dans des tuyaux. Ils n’ont pas facilité les choses pour les forces de l’ordre et c’est avec une scie circulaire et une patience d’ange que les policiers tentent de libérer les manifestants. Ces derniers reçoivent des masques de protection. Aux autres ont dit de reculer: « Nous travaillons avec des outils dangereux et ne voulons blesser personne. »

Les arrestations sont à chaque fois identiques : quatre policiers soulèvent le manifestant par les bras et les jambes. Ce dernier se laisse emporter avec un large sourire, poussé par les applaudissements et les cris de la foule. Ce sont des martyrs.

Un homme de 57 ans attend son tour, les genoux serrés contre la poitrine. Il a froid. Quelques mètres plus loin, sa femme le regarde, inquiète. « Ce gouvernement ne fait rien contre le désastre climatique qui s’annonce. Je m’inquiète pour l’avenir de mes petits-enfants. Je n’ai jamais demandé aussi ouvertement d’être arrêté, mais je ne sais pas quoi faire d’autre. C’est la dernière carte que je peux jouer. » Il en sera néanmoins pour ses frais puisque les flics font reculer la foule. L’homme restera assis avec un couple de retraités aux portes de Downing Street. Rien qu’au cours des quatre premiers jours des manifestations, plus d’un millier de personnes seront arrêtées. Les tentes et les fournitures des militants sont systématiquement enlevées. Mais il n’y a guère d’histoires de violences policières.

Simon Lietar est également descendu à Londres. Il est infirmier et a pris un an de crédit temps pour mettre en place une cellule Extinction Rebellion à Gand. « Nous sommes venus ici pour apprendre. Samedi nous aurons notre première journée nationale d’action à Bruxelles, nous occuperons les jardins du palais royal. À ce moment, il ne s’inquiète pas pour la police. « J’ai fait beaucoup de démonstrations, on n’a jamais eu de problèmes. »

Traumatisant

Lietar rit jaune, une semaine plus tard, lorsqu’il repense à ces propos. « J’étais en effet rentré de Londres avec l’idée : c’est comme ça que ça marche. Tout se passait bien là-bas. Personne n’était préparé à ce qui s’est passé à Bruxelles. »

Suivant l’exemple de Londres, les militants avaient occupé plusieurs points stratégiques dans et autour de la place Royale. « À notre grande surprise, nous avons soudain vu la police antiémeute partout. Nous ne pouvions pas aller plus loin « , dit Els Galle, une sage-femme de 27 ans. J’ai essayé de rassurer ceux qui étaient mineurs. C’était leur première démonstration, ils étaient très nerveux. C’est à ce moment qu’on a eu du gaz poivré sur le visage. Nous avons entendu les policiers taper leurs matraques sur leurs boucliers. C’est très effrayant, surtout quand on ne voit plus rien. J’ai commencé à marcher à l’aveugle avant d’être touché dans le dos par le jet du canon à eau. »

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Galle et les autres militants sont restés assis menottés et trempés sur le sol pendant quatre heures. Galle :  » J’ai demandé à prendre soin d’un homme blessé à la tête, mais on m’a ri au nez. On a eu droit à la même réaction lorsqu’on a voulu appeler une ambulance. Nous avons dû crier sur des passants pour demander de l’aide. L’homme s’est évanoui, l’ambulance n’est arrivée que vingt minutes plus tard.

Six jours plus tôt, Galle était à une action d’Extinction Rebellion à Amsterdam. À Bruxelles, l’ambiance était au départ conviviale, voire festive. Nous avons débattu, il y avait des familles avec de jeunes enfants. À Amsterdam, c’était une vraie occupation. Nous avons bloqué la route pendant douze heures, les bras tressés ensemble. Malgré ça, la police est restée amicale et correcte. Ils ont dit que ce que nous faisions était illégal et que nous serions arrêtés. Chaque personne arrêtée avait le choix : se lever volontairement ou être tirée de force. Dans ce cas, ils plient votre poignet en deux pour vous garder sous contrôle: c’est désagréable, mais pas plus. »

Les 435 arrestations de Bruxelles ne surprennent pas Galle et Lietar. « C’est compréhensible, parce que nous ne partions pas volontairement. Mais nous ne résistions pas vraiment non plus. Nous acceptions simplement le fait que nous puissions être arrêtés », dit Lietar. Cette stratégie est bien pensée. Extinction Rebellion est un mouvement non violent et qui prône la désobéissance civile. Selon des recherches universitaires menées par la politologue américaine Erica Chenoweth, ce sont ce genre de groupes d’action qui, historiquement, sont les plus efficaces.

« Je veux bien faire des sacrifices pour une politique climatique plus ambitieuse. Mais le gaz poivré et être tiré par les cheveux ne me semble pas être la façon normale de réagir », dit Lietar. Il ne comprend pas ce qui a pris à la police. « On a vu qu’il y avait des conflits au sein même de la police. Ce n’était pas un jeu du bon flic, mauvais flic. Certains policiers n’étaient manifestement pas d’accord avec les actes de violence de leurs collègues. »

N’y a-t-il donc eu aucune violence de la part des manifestants ? « Un homme a jeté une chaise dans le dos d’un policier « , dit Lietar. Mais d’autres manifestants l’ont immédiatement rappelé à l’ordre et se sont excusés auprès de l’officier. Lorsqu’on est attaqué, on réagit parfois instinctivement. Mais j’ai été surpris de voir combien de gens se sont ramassés du spray au poivre en plein visage, ont reçu des coups de pied et ont été immobilisés. »

Une fois dans le commissariat, Galle a été tout aussi choqué par l’attitude humiliante de la police. « Personne n’avait le droit d’aller aux toilettes. Beaucoup ont été obligés d’uriner dans leur pantalon. D’abord, tous les hommes ont été enregistrés et emmenés. « Lorsqu’il ne restait plus que les militantes, les remarques sexistes ont fusé, dit Heide Vercruysse, 21 ans. « Ils se sont moqués de moi quand je leur ai demandé d’arrêter. Au moins nous étions, au plus ils commençaient à nous regarder et à faire des commentaires de façon insistante. »

Selon Lietar, ce fut pour beaucoup une expérience traumatisante. Tout le monde n’était pas prêt pour une telle opération policière. Beaucoup de gens étaient là tout simplement parce qu’ils se préoccupaient du climat. Certains d’entre eux ont du mal à sortir de chez eux. Ils sont accompagnés de psychologues. Il y a quelques jours, nous avons tenu une réunion de debrief avec les participants de Gand. La police fédérale avait vu cet événement sur Facebook et était également présente. Ils voulaient ouvrir le dialogue et répondre aux questions, mais de nombreux militants se sont instantanément figés dès qu’ils ont appris que la police était présente.

Les sections belges d’Extinction Rebellion, encore jeunes, sont peut-être encore en train de panser leurs plaies, mais force est de constater que leur objectif a été largement atteint avec la première journée d’action nationale. Lietar :  » Je n’aime pas penser en ces termes, mais je ne peux nier que nous recevons une attention massive des médias. Beaucoup d’activistes présents lors de ce premier samedi n’oseront pas revenir, mais en même temps beaucoup de nouvelles personnes se présentent. Par indignation. »

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