Vue intérieure de la Grande Mosquée de Bruxelles. © ERIC LALMAND/BELGAIMAGE

Exécutif des Musulmans de Belgique: l’enjeu des Belgo-Marocains

L’ambassadeur du Maroc qualifie les accusations d’espionnage et d’ingérence formulées par le ministre de la Justice d' »allégations infondées, incompréhensibles et inacceptables » et rappelle les intérêts stratégiques communs aux deux royaumes.

En poste à Bruxelles depuis plus de quatre ans, l’ambassadeur du Maroc, Mohammed Ameur, 66 ans, docteur en géographie et spécialiste de l’aménagement du territoire, a été tour à tour haut fonctionnaire, député (USFP-socialiste) et ministre chargé de la Communauté marocaine résidant à l’étranger sous le gouvernement Abbas El Fassi (Istiqlal, conservateur modéré). Il a été sollicité par le Vif pour donner le point de vue du Maroc après les déclarations du ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), dénonçant des phénomènes d’ingérence et d’espionnage dans le contexte de la reprise de la Grande mosquée de Bruxelles.

Dans L’Echo du 19 décembre dernier, le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD) dit avoir prévenu le Maroc de l’avis négatif qu’il allait remettre sur la demande de reconnaissance de la Grande Mosquée introduite par l’Association de gestion de la grande mosquée de Bruxelles, notoirement proche de votre pays. Avez-vous compris et accepté cette démarche ?

Permettez-moi de faire une remarque préliminaire. Quand vous m’avez sollicité pour cet entretien, j’ai beaucoup hésité avant de donner mon accord. La raison est toute simple : je ne voulais pas amplifier la polémique autour d’un sujet d’une extrême sensibilité et qui nécessite un traitement loin de la scène médiatique, privilégiant les canaux multiples existants entre les deux pays. Je suis ambassadeur de mon pays en Belgique depuis plus de quatre années et je sais pertinemment que les relations entre nos deux pays sont d’un niveau d’excellence sans égal par le passé, notamment la coopération judiciaire, migratoire et surtout sécuritaire, qui a atteint un niveau sans précèdent sous l’impulsion de nos deux souverains, Sa Majesté le Roi Mohammed VI et Sa majesté le Roi Philippe. C’est pourquoi j’ai été estomaqué d’observer une série de déclarations d’une rare agressivité à l’égard d’un pays aussi engagé avec la Belgique et l’Europe dans des chantiers hautement stratégiques.

Qu’entendez-vous par « chantiers stratégiques » ?

La première question qui m’est venue à l’esprit concerne la question de la cohérence de l’approche à adopter à l’égard du Maroc. On ne peut pas solliciter la coopération du Maroc pour des dossiers sensibles et plaider pour plus de complicité dans leur gestion et en même temps le décrier sur la place publique en l’accusant injustement d’espionnage et d’ingérence.

En matière de sécurité, l’expérience et l’expertise marocaines sont reconnues à l’échelle internationale. Le Maroc est un partenaire fiable et responsable. De nombreux attentats en Europe, mais aussi en Belgique, ont été déjoués avec la coopération des services marocains

Cela dit, j’ai décidé de répondre favorablement à votre demande avec le souci d’éviter toute polémique inutile et de lancer les éléments d’un débat que je souhaite serein et fructueux.

Pour revenir à votre question, je souligne que le Maroc n’est pas concerné par le dossier de la reconnaissance de la Grande mosquée de Bruxelles pour qu’il soit informé de la décision du Ministre. C’est une affaire belgo-belge. D’ailleurs, toute l’organisation qui a été récemment mise en place, y compris la création de l’Association de gestion de la Grande mosquée de Bruxelles, est intervenue suite à l’accord établi entre l’Exécutif des Musulmans de Belgique (EMB) et le gouvernement fédéral. C’est la raison pour laquelle les allégations formulées à l’encontre du Maroc sont infondées, incompréhensibles et inacceptables.

Quelle est importance de la Grande Mosquée pour votre pays ?

Si, pour la Belgique, la Grande mosquée revêt un grand intérêt pour des raisons que l’on peut comprendre, pour le Maroc, c’est un lieu de culte comme les autres. Rien qu’à Bruxelles, il existe des dizaines de mosquées édifiées, gérées, financées et peuplées essentiellement de fidèles d’origine marocaine. Je ne comprends pas pourquoi le Maroc ferait de ce lieu de culte ordinaire un point de fixation. Pour votre information et pour ceux qui voient la main du Maroc partout, toutes les mosquées dites d’obédience marocaine et qui se comptent par centaines en Belgique sont financées entièrement par les fidèles. Le Maroc ne verse pas un seul euro ni pour les bâtiments ni pour les imams…

Le ministre de la Justice a utilisé une expression imagée, « les tentacules du Maroc », pour décrire la présence dans divers organismes de personnes agissant, espionnant ou s’ingérant au profit du Maroc. Avez-vous reçu des preuves de ce comportement supposé ? Par exemple, le filtrage des visiteurs de la Grande mosquée par un agent du Consulat général est-il avéré selon vous ?

Pour moi, la cible des attaques n’est pas les trois personnes désignées par le ministre. L’agent de sécurité considéré comme un fonctionnaire du Consulat général et présenté comme preuve de l’ingérence du Maroc est la démonstration tangible du caractère insensé des allégations.

Je pense que ce qui est visé, c’est plus la présence des Marocains dans les structures de la Grande mosquée et surtout les liens avec leurs sources spirituelles. C’est pourquoi, je voudrais apporter les précisions suivantes :

  1. La communauté marocaine en Belgique est de loin la première communauté musulmane ou étrangère (plus de 750 000 personnes). A Bruxelles, les Marocains représentent 25% de la population de la ville, la plupart des lieux de culte sont gérés par des personnes d’origine marocaine.
  2. La communauté marocaine, comme toutes les communautés religieuses en Belgique, a le droit de préserver les liens avec ses sources spirituelles, à l’instar des chrétiens catholiques, des juifs, des protestants, des anglicans, des bouddhistes… Pourquoi conteste-t-on aux Marocains ce qui est acquis et sanctuarisé pour les autres ? Il ne faut pas confondre références spirituelles et ingérence.
  3. Les Marocains musulmans qui vivent au Maroc comme ceux qui vivent à l’étranger sont les héritiers de l’Islam des Lumières de l’Andalousie dont ils ont été les promoteurs : un Islam à l’écoute du contexte culturel et social et compatible avec les valeurs de la société moderne. Les Belges qui se rendent massivement au Maroc connaissent et apprécient cette réalité culturelle.
  4. La présence de certains groupuscules qui prônent un islamisme déviationniste et dangereux ne devrait pas amener à jeter le discrédit sur la grande majorité des musulmans qui ne cherchent qu’à vivre en paix avec leur environnement et leurs sources spirituelles.
  5. Les questions liées à l’Islam et à l’intégration sont d’une grande sensibilité et d’une extrême complexité. Il faut éviter d’en faire un objet de polémique qui resurgit de temps à autre par médias interposés. Ce sont des sujets sérieux qui méritent un traitement approprié et un débat serein et apaisé, dans le respect mutuel et la coopération fructueuse.

Pour les autorités belges, l’ambition de votre pays de cogérer les affaires du culte musulman constitue un obstacle à l’intégration et empêcherait les musulmans belges de prendre leur destin en main. Pourquoi le Maroc ne relâche-il pas la pression ? Quel est son intérêt à guider des citoyens d’un autre pays ?

Quand on parle de l’Islam en Belgique, il faut distinguer entre deux aspects : le premierconcerne sa gestion religieuse , qui est l’affaire des musulmans de Belgique. Le Maroc n’a jamais manifesté l’ambition de s’en mêler. Ça ne le concerne pas et il n’a aucun intérêt à le faire. Le deuxième aspectconcerne des points qui ont une dimension sécuritaire. On ne peut pas reprocher au Maroc l’attention qu’il pourrait porter à ces questions qui risquent de menacer sa sécurité. D’ailleurs, elles font l’objet d’une coopération étroite et fructueuse entre nos deux pays, qui ambitionnent d’aller encore plus loin, à l’image de ce qui se passe avec d’autres pays européens. Pour être clair et ferme, le Maroc n’a pas d’agenda caché. Son agenda, c’est sa sécurité et celle-ci est intimement liée à la sécurité de la Belgique et de l’Europe. Il existe des menaces qui ne peuvent être combattues que par une coopération sincère, forte et totale. Je ne veux pas citer des exemples encore frais dans les mémoires.

S’il y a donc une pression que subit la communauté marocaine en permanence et qui fait des ravages au sein des jeunes générations, c’est bien le discours exclusif qui conteste aux gens le droit de revendiquer leur double appartenance : leur fierté d’être Belges et profondément attachés à leurs racines marocaines.

La pression, c’est aussi, ce discours récurrent sur l’échec de l’intégration, alors que le processus d’enracinement à l’oeuvre depuis des générations fait de la Belgique un modèle d’intégration réussi. En témoigne la place remarquable qu’occupent les Belgo-Marocains dans tous les domaines de la vie en Belgique. C’est d’ailleurs cette réalité humaine, culturelle et sociologique incontournable qui a amené le Maroc à initier une nouvelle approche à l’égard des communautés établies à l’étranger et qui se résume dans la maxime suivante : « Accompagner l’enracinement sans déracinement ». L’attachement aux sources culturelles et spirituelles est un facteur de stabilité et d’intégration.

Pour résumer, je dirais qu’il existe aujourd’hui deux approches à l’égard des communautés d’origine étrangère : un approche exclusive et conflictuelle qui confond intégration et assimilation et qui cherche à mettre en avant tout ce qui divise et qui cultive la tension et nourrit la méfiance et la suspicion. Une approche habitée par l’obsession de l’instrumentalisation et du complotisme. Face à ça, il y a une autre approche, plus réaliste, qui ne voit pas dans les individus des objets manipulables que l’on pourrait piloter à distance, mais un véritable patrimoine partagé au service des intérêts des deux pays, une chance pour consolider les liens entre les deux Royaumes et construire un partenariat d’exception.L’histoire des relations entre les deux pays, leurs liens culturels et humains et les multiples enjeux auxquels ils sont confrontés, sont autant d’éléments qui nous laissent présager l’avenir avec plus de sérénité et de confiance.

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