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Exclusif: le projet d’une Fédération belge à deux entités en gestation

Olivier Mouton Journaliste

Deux éminences grises francophones réfléchissent à une façon de recomposer la Belgique face aux revendications flamandes. Point de départ: deux entités fédérées, la Flandre et l’Espace Wallonie-Bruxelles. Ce « plan B » n’est pas une fiction.

A l’heure où l’incertitude politique est à nouveau palpable, alors que les nationalistes flamands rugissent face à une Vivaldi en plein chaos, cette réflexion ne tombera pas dans l’oreille d’un sourd. Deux penseurs francophones, dont le président du services d’études de DéFI, planchent concrètement sur un projet de réforme de l’Etat qui réveille le fameux « plan B » dont les partis francophones avaient parlé durant les précédents blocages du pays. L’épure, dont Le Vif/L’Express a pris connaissance, a de quoi susciter la réflexion : il ne s’inspire pas d’une Belgique à quatre Régions, souvent évoquée par les francophones mais bien d’une Belgique à deux davantage, sorte de contre-confédéralisme façon N-VA.

« Le schéma d’une Belgique à quatre Régions agité par certains francophones est le scénario le plus dangereux pour les Wallons et les Bruxellois, soulignait déjàces éminences grises au lendemain des élections de mai 2019. Il signifiera la division des francophones face à une Flandre, qui – asymétrie oblige – gardera son monolithisme. Imagine-t-on les conséquences pratiques pour les citoyens de la scission de l’enseignement, de la recherche, de l’audiovisuel et de la culture? On voit déjà les effets pervers de la régio-nalisation des allocations familiales, de la santé et des affaires sociales. »

Cette fois, Charles-Etienne Lagasse, président du centre d’études Jacques Georgin, et Jean-Luc Robert, conseiller au parlement bruxellois (ex-DéFI, qui a rejoint le MR à Etterbeek), ébauchent au nom de la Ligue francophone et wallonne de Bruxelles, une association pluraliste, regroupant des militants de la Francophonie, de la solidarité Wallonie-Bruxelles mais appartenant à plusieurs partis, « quelques lignes de conduite qui devraient orienter le projet francophone ». Et cela va loin.

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Point de départ: « Tant pour des raisons stratégiques que budgétaires, l’organisation de la Belgique future doit consacrer l’union des Wallons et des Bruxellois: ceux-ci doivent se structurer en une fédération à l’intérieur de la fédération belge. »

Concrètement, voici ce que cela donne: « L’État fédéral belge serait composé de deux entités fédérées : la Flandre et la Fédération des Wallons et Bruxellois que l’on appellera ici provisoirement l’Espace Wallonie-Bruxelles (EWB) car l’expression Fédération Wallonie-Bruxelles est déjà utilisée pour désigner la seule Communauté française. »

A l’image du confédéralisme cher à la N-VA, les deux hommes proposent de définitivement déplacer le centre de gravité du pays, via le fameux article 35 de la Constitution, mais en maintenant l’idée d’un fédéralisme inclusif.: « Les deux entités fédérées belges exerceraient la totalité des compétences à l’exception de celles que la Constitution énumèrerait de manière explicite. De cette manière on supprimerait chez les francophones le conflit entre thèses communautaristes et régionalistes. Parmi les compétences fédérales, devraient certainement figurer la sécurité sociale (dont il faudra revoir le financement), la sécurité, la Défense, la Justice, la nationalité, le droit des étrangers, les normes de produits, les relations internationales dans les matières fédérales, et la coordination interfédérale. Y figureraient également les principes du droit civil, droit pénal, social, commercial, économique, ce qui introduirait une hiérarchie entre ces branches du droit fédéral et les législations fédérées. Une procédure impliquant le Sénat paritaire introduirait toutefois une certaine souplesse et permettrait de tenir compte de l’évolution de la société et de faire « remonter » certaines compétences vers davantage de coordination ou de centralisation. »

Pour inscrire la Belgique dans le respect de ses engagements, la Constitution énumèrerait « une série de principes généraux se superposant aux législations fédérées« : adhésion aux conventions du Conseil de l’Europe (dont celle sur la protection des minorités), la primauté du droit international approuvé et du droit supranational, les règles de base en matière institutionnelle et financière, l’organisation de certaines juridictions et d’organes de contrôle supérieur, le droit des deux entités fédérées de se structurer comme elles l’entendent.

Là où la N-VA considère l’Etat confédéral comme une simple émanation des deux entités, les penseurs de DéFI voient les choses autrement, avec la création d’une circonscription nationale: « Le Parlement fédéral serait bicaméral. La Chambre exercerait en principe le pouvoir législatif, mais le Sénat intervient dans certaines circonstances. La Chambre serait élue par circonscriptions provinciales ainsi que via une circonscription nationale pour x sièges de chaque Communauté, ce qui permettrait aux francophones de Flandre de voter pour des candidats francophones. Le Sénat serait le lieu de rencontre paritaire des Parlements des deux États fédérés. Il aurait notamment comme compétence les votes sur le socle constitutionnel précité, le droit d’accorder à l’autorité fédérale des pouvoirs pour mettre en oeuvre certains pro- grammes nécessitant une coordination (ex : plan climat, mobilité, réponse à des enjeux européens, représentation internationale) ; de se substituer à l’inaction de certaines entités fédérées par rapport à des conventions internationales ou obligations supranationales et le droit d’évocation devant le blocage par un niveau de pouvoir quant à la signa- ture ou la ratification de certains traités. »

Noeud traditionnel de la politique belge, la périphérie bruxelloise n’est pas oubliée: « Les limites des deux entités fédérées seraient fixées après consultation des populations des communes à facilités limitrophes à une Région. Les compétences se limiteraient au territoire, à l’exception du pouvoir de chaque entité fédérée de subventionner les activités culturelles et l’enseignement au profit de la minorité dans l’autre entité. En clair : la Flandre pourrait soutenir la culture et l’enseignement flamands à Bruxelles et dans les communes à facilités de la région de langue française qui n’auront pas opté pour le rattachement à la Flandre ; l’EWB pourrait soutenir la culture et l’enseignement francophone dans les communes à facilités de la région de langue néerlandaise qui n’auront pas opté pour le rattachement. »

« L’Espace Wallonie-Bruxelles, prolongent encore Charles-Etienne Lagasse et Jean-Luc Robert, serait organisé au départ d’élections régionales: Parlement bruxellois, Parlement wallon, Parlement de la Communauté germanophone; un Parlement commun est composé d’élus (avec quotas) des trois Parlements régionaux, auxquels on ajouterait un quota d’élus d’une circonscription unique. »

Enfin en matière de financement: « La plupart des impôts sont régionalisés et prélevés en fonction du lieu d’activité (IPP= lieu de travail ; ISOC : siège d’exploitation). Ainsi l’unité budgétaire de l’EWB permettrait les transferts entre volets EWB et entités régionales: ce qui permet à la Wallonie de bénéficier de recettes prélevées à Bruxelles. Pour garantir le principe du lien entre taxation et repré­sentation, les quotas internes peuvent être liés à la capacité contributive de chaque entité régionale. En tout état de cause, il est hors de question de négocier des droits contre des compensations en argent. Les droits ne se monnaient, en effet, pas. C’est une question de principe ! Les transferts nord/sud revêtent de toute façon une dimension provisoire. On sait déjà qu’une fois accordés, ils seront rapidement remis en cause par les partis flamands. À l’inverse, les droits supprimés ne seront jamais réinstaurés. »

Conclusion: « Puisque le communautaire est de retour, nous invitons les partis politiques francophones à défendre avec fermeté toutes les mesures visant à approfondir la solidarité entre leurs deux Régions. »

Voilà une note qui risque de faire débat, tant du côté francophone qu’en Flandre.

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