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Et s’il n’y avait plus de sable ?

L’industrie de la construction est en plein essor dans le monde. A tel point que les Nations Unies mettent en garde contre une pénurie de sable. L’appétit insatiable pour cette matière première entraîne des problèmes environnementaux et a même provoqué l’émergence d’une mafia du sable.

Notre civilisation est construite sur du sable. Béton, briques, verre, puce d’ordinateur : le sable est un important composant de nombreux matériaux. Alors que la population mondiale et le niveau de vie ne cessent d’augmenter, de plus en plus de gens construisent. Au cours du siècle dernier, la consommation de sable et d’autres matériaux pour les bâtiments et les infrastructures de transport a été multipliée par 23. Le « bétonnage » du monde joue un rôle majeur à cet égard. Dans une maison de taille moyenne, c’est quelque 200 tonnes de sable qui disparaissent, tandis que 30 000 tonnes se fondent dans un kilomètre d’autoroute.

Depuis quelque temps, des publications scientifiques internationales telles que New Scientist et la revue spécialisée Science avertissent qu’on risque de se retrouver face à une pénurie de sable. Parce que le sable est une ressource limitée. Son exploitation peut être comparée à celle du pétrole. Il faut beaucoup de temps (des centaines de milliers d’années) pour rendre le sable utilisable en industrie, et une fois épuisé, on ne peut plus (dans l’immédiat) le renouveler. Pourtant, chaque année, 40 à 50 milliards de tonnes sont extraites des carrières, des puits, des rivières, des côtes et de la mer du monde. Le sable est aujourd’hui la deuxième ressource naturelle la plus exploitée sur terre après l’eau, et avant le pétrole et le gaz.

Entre 60 et 75 pour cent du sable exploité va dans le béton pour la construction. Le béton est de loin le matériau le plus utilisé dans l’industrie: il est dur, facile à manipuler et relativement bon marché. Chaque année, c’est quelque 30 milliards de tonnes qui sont coulées. Selon un calcul de New Scientist, cela équivaut à construire un mur de 27 mètres de haut et de 27 mètres de large sur toute la longueur de l’équateur, soit sur plus de 40 000 kilomètres.

Un petit détour hollandais

En 2018, l’exportation de sable dans le monde représentait un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros. Première constatation surprenante : sur la liste la plus récente des principaux exportateurs, la Belgique occupe la quatrième place, après les États-Unis, les Pays-Bas et l’Allemagne. Nos exportations de sable représentent un chiffre d’affaires de 121 millions d’euros, contre 93 millions d’euros en 2015. L’extraction du sable sur la terre ferme devenant de plus en plus difficile, la grande majorité du sable belge provient de la mer.

La deuxième observation surprenante est que la Belgique est également un importateur important de sable. En 2017, nous occupions la troisième place mondiale, après Singapour et le Canada. « Nous trouvions cela bizarre « , explique le géographe Koen Degrendele, responsable de l’extraction du sable de mer au Service Public Fédéral Economie. En y regardant de plus près, on a pu observer qu’un quart à un tiers du sable de mer belge est exporté vers les Pays-Bas. De nombreux navires d’extraction de sable de mer battent pavillon néerlandais bien qu’il récolte le sable dans notre partie de la mer du Nord et travaillent pour un concessionnaire titulaire d’une licence belge. La plus grande partie du sable revient donc par bateau ou transport routier en Belgique. Ce sable est donc largement utilisé localement, malgré ce détour. Il n’est cependant pas clair si ce détour a une incidence sur le prix de revient.

L’extraction du sable de mer dans notre pays a commencé en 1976. Cette année-là, nous avons extrait près de 30 000 mètres cubes de sable de la mer du Nord. Aujourd’hui cela grimpe de 3 à 4 millions de mètres cubes par an. Le sable est relativement bon marché, mais il est aussi assez lourd. Les frais de transport représentent donc une grande part du budget et c’est aussi pourquoi on essaye dans la mesure du possible de faire dans le local.

On pourrait se demander si, avec tous ces déserts et ces côtes aux sols sablonneux , il n’y a pas assez de sable dans le monde? La réponse serait: pas vraiment, puisque tout le sable n’est pas adapté à une utilisation industrielle. Ainsi, les entreprises de construction aiment que leur sable soit un peu plus rugueux, car les granulés plus gros se lient plus facilement les uns aux autres dans le béton, par exemple. Les grains de sable du désert sont trop petits et trop polis par le vent. L’industrie de la construction lui préfère le sable des estuaires, des plages et des zones côtières.

Le bon sable

« Du sable fin, du sable moyennement gros, du sable grossier et même du gravier : c’est ce que nous avons dans notre partie de la mer du Nord », explique Vera Van Lancker, géologue à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique. En collaboration avec le SPF Economie, il surveille les réserves de sable de la mer du Nord, par exemple pour déterminer la quantité qui peut être extraite. Le sable est constitué de grains dont les dimensions sont comprises entre 0,06 et 2 millimètres. Il a été déposé dans la mer du Nord il y a des dizaines de milliers d’années par des rivières et des glaciers. Il a été graduellement transformé en fond avec des bancs de sable qui sont constamment en mouvement à cause des vagues et des courants. Le meilleur sable se trouve encore là où coulaient il y a très longtemps des rivières, comme le Rhin et la Meuse.

« Plus le sable est grossier, homogène et pur, plus sa qualité en tant que matériau de construction est élevée », explique Van Lancker. La Belgique a de la chance. Notre sable est assez grossier pour la construction et nos zones de sable ne sont pas polluées par d’autres sédiments, comme des fragments de limon et de coquille. Dans la partie néerlandaise de la mer du Nord, le sable devient de plus en plus fin. Et en France et dans le détroit de Douvres, il est de taille moins homogène et beaucoup plus rugueux.

Le sable terrestre a des applications plus spécifiques que le sable de mer – pensez au sable blanc de Mol, qui est principalement destiné à l’industrie du verre. Le sable est aussi un problème flamand, pas un problème fédéral. Le sable de mer provient principalement des bancs de sable qui sont situés loin de la côte, afin de ne pas hypothéquer la protection côtière. Au cours des dix dernières années, un pourcentage croissant du sable de mer ainsi extrait a même été destiné à la protection des côtes. Cela doit atténuer les conséquences du réchauffement de la planète qui se traduit par un haussement du niveau de la mer et un risque accru de tempêtes plus violentes.

Dans la partie belge de la mer du Nord, quinze concessionnaires sont impliqués dans l’extraction du sable. La plus importante est l’Agence des services maritimes et côtiers du gouvernement flamand, qui est en charge de la protection des côtes. Les redevances versées par les concessionnaires à la Confédération (0,76 euro par m3 de sable et 1,59 euro par m3 de gravier) sont presque entièrement investies dans le suivi et la recherche afin de rationaliser l’extraction et de déployer de nouvelles techniques.

« Autrefois, on pensait qu’un banc de sable avait une composition homogène « , explique Van Lancker. Nous savons maintenant qu’il a différentes couches géologiques. Tant en profondeur qu’en largeur, il existe des zones de compositions très différentes en raison des processus géologiques. Nous essayons de cartographier tout cela afin que la biodiversité et la stabilité du banc de sable ne souffrent pas de l’extraction ».

Recyclage

Afin de limiter les effets sur la vie et la structure du sol, les concessions pour l’extraction du sable sont devenues de plus en plus petites au fil des ans. Traditionnellement, les concessionnaires travaillent avec de petits navires qui peuvent traiter environ 2 500 mètres cubes de sable. Ce n’est que lorsque des volumes plus importants sont nécessaires pour la défense côtière que des navires plus grands (jusqu’à 15.000 m3) sont utilisés. Ils peuvent également aller plus loin des côtes.

Les chenaux entre les bancs de sable, où de nombreux poissons fraient, seront ainsi épargnés autant que possible les concessionnaires. Dans la plupart des concessions, ils creusent de longs puits d’une profondeur maximale de 5 mètres. Les parties hautes d’un banc de sable ont une dynamique plus forte en raison de l’effet de vague. Par conséquent, les animaux qui y vivent ont aussi plus de résilience et supportent mieux le passage de l’extracteur. La partie la plus élevée d’un banc de sable est donc aussi la moins vulnérable.

Et s'il n'y avait plus de sable ?
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« Il y a deux semaines, un nouveau rapport l’a confirmé : l’extraction actuelle du sable n’a aucun effet sur l’érosion de la côte », souligne Vera Van Lancker. L’élévation du niveau de la mer causée par le réchauffement climatique a un impact beaucoup plus important sur la stabilité des bancs de sable. Plus il y a d’eau, plus l’effet d’amortisseur qu’ont ces berges sur les mouvements des vagues s’amenuise. C’est l’une des raisons pour lesquelles le gouvernement flamand a travaillé d’arrache-pied pour renforcer la protection des côtes depuis 2011.

Selon Koen Degrendele du SPF Economie, l’extraction de sable ne touche qu’une partie limitée des bancs de sable dans notre partie de la mer du Nord. Les bancs côtiers ne font pas l’objet d’une exploitation et on ne devrait pas assister à la disparition du sable au large de la côte belge. Quand le sable utilisable dans notre partie de la mer du Nord sera-t-il épuisé ? Cette question est aussi à l’étude. Si tout reste en état, le sable modérément grossier et grossier disponible dans les zones de concession sera épuisé d’ici la fin du siècle. L’approvisionnement en sable fin sera lui réduit de moitié.

Sauf qu’il y a peu de chances que  » tout reste tel qu’il est aujourd’hui « . La demande continue d’augmenter tout comme la pression sur le marché . Et on n’a pas beaucoup de marge pour le recyclage. Selon Degrendele, une forme de recyclage est impliquée dans l’une des quatre zones de concession: dans cette zone, le sable dragué passe des chenaux de navigation vers les ports et, avec le temps, ce sable peut être récupéré. Il n’est pas nécessairement de la meilleure qualité, mais dans l’optique de protéger la côte, par exemple, ce n’est pas un problème. Car ne plus utiliser le meilleur sable que pour les matériaux de construction les plus chers peut également se révéler être un avantage.

Pirates du sable

Un récent rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement met également en garde contre l’utilisation excessive de sable. Le contrôle de la consommation de sable est loin d’être partout aussi bon que dans notre pays, avec toutes les conséquences que cela implique pour la géologie et la biologie. La ville-état de Singapour a étendu sa superficie de 22% en déversant du sable de Malaisie et d’Indonésie dans la mer. Sauf que ces deux pays ont perdu au moins 24 îles à la suite de cette  » récupération à grande échelle « . Les pirates de sable et les mafias opèrent désormais en particulier dans les régions tropicales.

L’offre et la demande sont-elles vraiment équilibrées dans le monde ? Personne ne le sait, car au moins 70 pays ignorent la quantité de sable extraite. Dans de nombreux endroits, le sable est considéré comme un bien public, de sorte qu’il n’y a pratiquement aucun contrôle. Il peut donc arriver que des projets de construction côtière basés sur l’extraction non réglementée de sable finissent par souffrir eux-mêmes de l’élévation du niveau de la mer.

Le rapport de l’ONU appelle à éviter de consommer inutilement du sable, à une exploitation respectueuse de l’environnement et à l’utilisation de matériaux recyclés et alternatifs à la place du sable. Un projet de recherche belge de quatre ans sur l’extraction du sable en mer effectué l’année dernière va également dans ce sens. « En fin de compte, nous devrons utiliser cette matière première non renouvelable de manière durable « , explique Vera Van Lancker, qui a coordonné le projet. Cela peut se faire en développant des stratégies d’extraction plus intelligentes et en travaillant sur une sorte d’extraction circulaire du sable, dans laquelle nous recyclons autant de sable que possible.

Les scientifiques réfléchissent sérieusement à des alternatives au sable et surtout au béton, mais la recherche n’en est encore qu’à ses débuts. La transformation du sable du désert en sable de construction est l’une des pistes de réflexion. La première priorité de Van Lancker est de sensibiliser les gens :  » Et si, dans moins d’un siècle, nous étions à court de sable utilisable ? Les scientifiques, les gouvernements, les industriels et les autres acteurs du secteur doivent réfléchir d’urgence à cette question ». Heureusement, on commence, et les jeunes générations en particulier, à penser différemment le sable. Les jeunes architectes font construire avec d’autres matériaux, plus durables. À long terme, tout le monde devra participer à cette transition : c’est la dure réalité.

Quelques chiffres

En Belgique

Notre pays a été le quatrième plus important exportateur de sable au monde en 2018

A été le troisième plus grand importateur de sable au monde en 2017.

Récolte 3 à 4 millions de mètres cubes de sable de mer de la mer du Nord chaque année

Dans le monde entier

40 à 50 milliards de tonnes de sable sont extraites chaque année

Entre 60 et 75 pour cent du sable exploité est consacré au béton pour l’industrie de la construction.

L’exportation de sable en 2018 a affiché un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros

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