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Enseignement : tout est bon dans l’immersion ?

Le Vif

L’immersion linguistique connaît un véritable engouement. Si les élèves n’en ressortent pas parfaits bilingues, leur niveau est nettement meilleur. Mais des problèmes subsistent au niveau de l’organisation scolaire.

L’école, pour Pierrick, ce n’est pas encore pour tout de suite. Le petit garçon vient juste de fêter son premier anniversaire. Pourtant, il est déjà inscrit dans… deux établissements scolaires. Il l’a même été pour la première fois à l’âge de trois mois ! « Les gens autour de moi me charriaient. « Quoi, tu l’as déjà inscrit à l’unif ? » sourit sa maman, France. Mais pour être sûre d’avoir une place, je n’avais pas le choix. »

C’est la règle dans les écoles pratiquant l’immersion linguistique. Premier arrivé, premier admis. La demande est telle que l’offre disponible ne peut la satisfaire. Alors les parents n’hésitent pas à prendre leurs dispositions dès la naissance de leurs enfants ou à camper deux nuits devant le bureau de la direction pour être certains d’arriver à temps, comme ce fut encore le cas en mai dernier à l’Institut Albert Ier d’Enghien.

Mieux vaut donc s’y prendre tôt. France l’a appris à ses dépens, elle qui aurait finalement souhaité que Pierrick rejoigne une autre implantation pour des raisons géographiques. Début juillet, elle a donc pris contact avec une autre directrice. Résultat : son fils de 14 mois est cinquième sur une liste d’attente, quatre ans avant d’entrer en troisième maternelle… Autant dire que France n’a pas lâché sa première inscription, au cas où.

Le nombre d’écoles en immersion n’a pourtant pas cessé d’augmenter ces dernières années. En 2013-2014, on en a recensé 299 en Fédération Wallonie-Bruxelles : 171 dans le fondamental et 128 dans le secondaire, où l’on en dénombrait que 53 il y a sept ans. Le nombre de jeunes suivant ce type de cursus dépasse aujourd’hui les 29 000.

Un phénomène assez récent, puisque la première école (le lycée Léonie de Waha, à Liège) importa ce concept canadien en 1989 et que le décret qui réglemente ce type d’enseignement a été voté en 1997, puis modifié en 2007. « Cet engouement s’explique par une prise de conscience des parents quant à l’importance du bilinguisme et au fait que l’apprentissage commence dès le plus jeune âge », considère Henny Bijleveld, professeur de linguistique à l’ULB.

Bilinguisme : le mot est lâché et résume l’espoir des familles. Fantasme ou réalité ? « Croire que l’élève parlera parfaitement les deux langues en 6e primaire est un leurre, avertit Martine Poncelet, professeur à l’ULg et directrice de l’unité de neuropsychologie du langage et des apprentissages. En sortant des humanités, cela dépendra de beaucoup de facteurs : environnement familial bilingue, stages à l’étranger, lectures ou films dans l’autre langue… »

L’immersion ne suffit pas, mais elle permet de toute façon un meilleur niveau, un vocabulaire plus riche, une prononciation améliorée, même si les erreurs subsistent. Surtout, le jeune se montrerait beaucoup plus à l’aise et aurait dépassé cette peur irrationnelle de s’exprimer dans une autre langue que partagent beaucoup de francophones.

Tout dépendra également du début de l’apprentissage. Tous les spécialistes convergent : le plus tôt sera le mieux. « La mélodie d’une langue s’acquiert avant 2 ou 3 ans, juge Henny Bijleveld. Au-delà, les capacités à reproduire et à reconnaître un son diminuent. »

Reste que dans l’état actuel de la loi, l’immersion n’est possible qu’à partir de la 3e maternelle, à un âge où le cerveau des petits est « plus réceptif », selon Philippe Hiligsmann, linguiste à l’UCL. « Mais débuter en fin de primaire n’empêche pas d’atteindre un très bon niveau par la suite. »

Retard en français ?

Si le seuil de la 3e maternelle a été déterminé, c’est pour s’assurer que l’enfant se débrouille déjà dans sa première langue et ainsi apaiser les craintes d’un retard en français, qui anime nombre de familles. Craintes qui seraient injustifiées. « L’élève apprend d’abord à lire dans la langue seconde puis passe au français en 2e primaire, ce qui se fait plus rapidement, détaille Martine Poncelet. Il y a certes un an de décalage, mais des études démontrent que le niveau de lecture devient semblable à celui des monolingues dès la 3e primaire. »

Autre peur parentale fréquente : l’enfant s’adaptera-t-il à cette forme d’apprentissage ? Henny Bijleveld note que les soucis rencontrés au cours de l’année sont souvent imputés à l’immersion, alors qu’il est possible d’être confronté à des problèmes d’apprentissage dans tout type d’enseignement. Le bilinguisme n’accroîtrait pas les difficultés.

La pédagogie immersive conserve toutefois une image élitiste. « C’est une idée reçue à casser, affirme Olivier Meinguet, secrétaire général adjoint de la FESeC (fédération de l’enseignement secondaire catholique) et ancien directeur ayant implanté l’immersion dans son établissement. Il ne s’agit jamais que d’une technique d’apprentissage qui convient à tous, d’autant plus que les enseignants font tout pour s’assurer que la matière a bien été comprise à la fin du cours. Nous plaidons aussi pour que des établissements qualifiants se lancent. Ce serait tout à fait imaginable. »

Pour mettre toutes les chances du côté de l’élève, il serait préférable que les parents fassent preuve de soutien. Une connaissance de l’anglais, du néerlandais ou de l’allemand (les trois options disponibles en Fédération Wallonie-Bruxelles) peut être un atout.

Cherche native speakers

Les aspects négatifs de l’immersion sont finalement à chercher du côté des écoles elles-mêmes. D’abord au niveau du recrutement des professeurs, gros point noir du système. Pour dénicher un native speaker prêt à enseigner en Wallonie et à Bruxelles alors que les salaires y sont inférieurs (y compris par rapport à la Flandre) et leurs compétences pas toujours reconnues, il faut se lever tôt ! Alors lorsqu’un titulaire malade doit être remplacé, les directeurs s’arrachent les cheveux…

Un décret récemment voté devrait désormais changer la donne salariale. N’empêche, ces soucis d’embauche restent le principal frein au développement de l’immersion. Quelques améliorations doivent par ailleurs être apportées. Comme le fait qu’il n’existe actuellement aucun manuel spécifique et que les enseignants doivent se débrouiller eux-mêmes. Parfois, les cours en langue et les autres seraient peu complémentaires. « Ce qui pose aussi problème au niveau de l’organisation, c’est le passage du primaire au secondaire, expose Philippe Hiligsmann. Des élèves ayant suivi sept ans d’immersion se retrouvent avec d’autres qui n’en ont jamais fait. »

Du côté du ministère de l’Enseignement, on souligne que certains établissements ont pu considérer l’immersion comme une bouée de sauvetage par rapport à une baisse des inscriptions et se sont lancées dans le projet sans préparation suffisante pour en définitive foncer droit dans le mur. Ces mauvaises expériences appartiendraient cependant au passé et la Fédération Wallonie-Bruxelles serait finalement à la pointe par rapport à la Flandre, où l’immersion est quasiment inexistante. Les francophones meilleurs en langues que les néerlandophones, ça n’arrive pas tous les jours…

M. Gs

Points forts

  • Meilleur niveau et meilleure aisance dans la seconde langue.
  • Le niveau de français n’est pas pénalisé.
  • Pédagogie qui s’assure d’autant plus de la bonne compréhension de la matière.

Points faibles

  • Difficultés pour recruter des professeurs.
  • Absence de manuel.
  • Manque de continuité entre le primaire et le secondaire.

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