Maxime Prévot veut régénérer sa formation, en "partant d'une page blanche". © BENOIT DOPPAGNE/ISOPIX

En route vers un grand parti de centre droit MR-CDH ?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le parti de Maxime Prévot a choisi l’opposition pour « prendre le temps de se réinventer ». Ce n’est pas la première fois que les héritiers du Parti catholique y sont contraints par l’électeur, qui lui a infligé, le 26 mai dernier, la pire défaite de son histoire. Avant une dernière réinvention avant la disparition ?

« Je reviendrai avec ce soleil et cette terre, avec cet aigle et ce serpent – non pour une vie nouvelle ou une meilleure vie ou une vie ressemblante ; A jamais je reviendrai pour cette même et identique vie, dans le plus grand et aussi bien le plus petit, pour à nouveau de toute chose enseigner le retour éternel. » Ainsi parlait Friedrich Nietzsche, prenant la voix de Zarathoustra. Celui qui proclama la mort de Dieu annonçait ainsi l’ éternel retour du même.

Aujourd’hui Dieu est mort, Joëlle Milquet est partie, et le CDH lui-même ne se sent pas trop bien. Son tout neuf président, Maxime Prévot, suivant en cela les recommandations de certains des capitaines en retraite de sa formation en débandade – Carlo Di Antonio, Benoît Lutgen, Catherine Fonck notamment – a choisi l’opposition partout pour cinq ans afin de régénérer sa formation.  » Il faut mettre ces cinq ans à profit pour nous reconstruire, nous réinventer, veiller à ce que notre offre politique soit contemporaine, plus pertinente, aisément compréhensible, plus en adéquation avec les aspirations actuelles des citoyens et les défis de demain auxquels nous serons collectivement confrontés « , expliquait-il, samedi 8 juin, dans les colonnes de Sudpresse. Quitte, si cette régénération ne semble produire aucun fruit, à acter la dissolution de la formation héritière de ce grand parti catholique qui, aux xixe et xxe siècles, domina la Belgique politique.  » Je veux partir d’une page blanche, ce qui ne signifie pas que je renie le passé, je n’en renie rien, ni que cela doit servir obligatoirement de base au projet futur « , déclarait encore Maxime Prévot à Sudpresse.

Partir d’une page blanche sans renier le passé : c’est là toute la glorieuse histoire du christianisme politique en Belgique, qui compte de fort nombreux chapitres partant sur cet incipit. Tous ont commencé de la même manière, et tous se sont clos de la même façon.

1. Le parti affirme ne plus être lié à l’Eglise tout en conservant des valeurs qu’il ne renie pas.

2. Il estime, en même temps que le clivage confessionnel qui l’a vu naître, le clivage gauche-droite, est périmé face aux enjeux contemporains.

3. Il annonce l’avènement d’un nouveau projet tourné vers l’avenir et détaché de tout opportunisme de court terme.

4. Il perd/ne gagne pas les élections suivantes, et les suivantes, et encore les suivantes, jusqu’à une plus sévère défaite que d’habitude.

5. Il revient au point 1.

Joëlle Milquet, le retour ?

Juste avant la transformation du PSC en CDH, les meilleurs observateurs observaient déjà la formation de cette boucle de la réinvention à toujours réinventer. Dans Le Parti social chrétien, mutations et perspectives, Pascal Delwit (ULB) comparait, en 2002, les textes fondateurs respectifs du PSC ( Les Chantiers sont ouverts, qui sera l’architecte ? ) et de son successeur, le CDH ( La Charte de l’humanisme démocratique).

?  » Un parti nouveau, une doctrine neuve, des équipes jeunes, voilà ce qu’est le PSC. Pourquoi faut-il du neuf ? Parce qu’il ne suffit pas aujourd’hui de proposer une politique pour les quatre années à venir. Nous vivons une heure historique. C’est une société nouvelle que nous devons tenter de reconstruire en plusieurs générations. Certes, le PSC ne renie aucune des conquêtes de l’ancien parti catholique orientées vers la libération de l’homme et est fier d’en avoir reçu l’héritage. Toute civilisation se fonde sur des valeurs humaines permanentes. Mais à chaque époque, il en faut une traduction nouvelle. Notre société a été profondément bouleversée par la guerre et les crises qui l’ont précédée. A problèmes modernes, solutions originales « , lançaient en 1945 les créateurs d’un PSC qui, partant d’une page blanche sans renier le passé, se disait déjà déconfessionnalisé.

Doit-on s'attendre à une recomposition politique mêlant le Mouvement réformateur de Charles Michel (à g.) et le Centre démocrate humaniste ?
Doit-on s’attendre à une recomposition politique mêlant le Mouvement réformateur de Charles Michel (à g.) et le Centre démocrate humaniste ?© NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

?  » Avec le manifeste intitulé L’Humanisme démocratique dont les idées sont considérées, avec l’adoption de la charte, comme le cadre de référence de son action politique future, le CDH s’affirme comme un parti résolument moderne qui s’inscrit dans le changement. Face à la transformation de la société de piliers, il assume certaines ruptures nécessaires avec le passé en dépassant notamment le clivage confessionnel. Il porte désormais, sans renier son âme, dans un projet ouvert à tous et adapté aux nouveaux enjeux, l’imaginaire, le souffle et les valeurs de ceux qui ont construit et porté le parti avant nous tout en s’adressant désormais aux attentes des nouvelles générations, de ceux qui sont incroyants ou qui appartiennent à des religions différentes. Il s’affranchit de sa relation au pouvoir et ne se considère plus comme un « parti d’occupation des gouvernements » mais comme un parti dont la mission est avant tout de porter les attentes des gens dans l’Etat et non le contraire, en travaillant constamment et étroitement avec la société civile « , écrivaient Joëlle Milquet et les siens en lançant, partant d’une page blanche sans renier le passé, un CDH qui s’affirmait déchristianisé.

 » Il est bien sûr trop tôt pour apprécier la portée de ce manifeste et la faisabilité de ce positionnement. On peut cependant s’interroger sur le caractère réel neuf de cet « humanisme démocratique » dont plusieurs passages initiaux se rapprochent de l’introduction du document doctrinal de 1945 « , concluait implacablement le politologue de l’ULB.

Ayant franchi les trois premières étapes de sa boucle de la réinvention, le PSC rénové faisait 27 % en Wallonie à son premier scrutin législatif, en 1946. Le nouveau CDH, en 2003, rassemblait, lui, 15,4 % des suffrages. Il en est depuis le 26 mai à 10,7 % (et à 5,8 % à Bruxelles). Au moment, donc, où il revient au point 1. Au moment, donc, où il réentame l’énième réinvention de sa formation. Maxime Prévot est déjà bien engagé sur la ligne de redépart.  » Cela fait longtemps que ce pilier ne considère plus qu’entretenir des liens forts avec nous est prioritaire. Ces dix derniers jours alors qu’était déjà apparue dans la presse l’idée qu’on puisse choisir l’opposition, je n’ai pas reçu un seul coup de téléphone de quiconque des institutions chrétiennes historiques, MOC, CSC, Mutualité chrétienne, Ségec ou autre pour nous dire de manière informelle que l’olivier leur plairait bien « , disait-il à L’Echo, samedi 8 juin, comme pour remarquer la première étape de ce nouveau redépart.  » Intellectuellement, je suis convaincu que le clivage gauche-droite est dépassé, car nous avons autant besoin de responsabilité que de solidarité pour avancer « , ajoutait-il, déjà à la deuxième étape, le même jour dans Sudpresse.  » L’enjeu du CDH n’est pas de se réinventer par rapport aux défis d’aujourd’hui, mais d’être avant-gardiste par rapport aux défis de demain « , ponctuait-il, de nouveau dans L’Echo et au troisième stade déjà de la boucle de la réinvention.

Maxime Prévot devra faire sans Joëlle Milquet et avec Benoît Lutgen toujours moins là.
Maxime Prévot devra faire sans Joëlle Milquet et avec Benoît Lutgen toujours moins là.© LAURIE DIEFFEMBACQ/BELGAIMAGE

Gérard Deprez, le retour ?

Maxime Prévot, donc, se retrouve comme Joëlle Milquet au tournant du siècle. Il lui reste cinq ans avant la prochaine élection, et deux ans, dit-il, pour tirer les conclusions de sa réinvention. Il dispose, pour déboucler cette boucle mortifère, de moins de moyens (le CDH perdra 1,7 de ses quatre millions de financements publics), moins d’électeurs, moins d’élus, moins de cadres (il en licenciera déjà une quinzaine cette semaine, des dizaines d’autres, employés dans les cabinets, suivront), moins de visibilité, moins de militants et moins de mandataires. Avec, aussi, toujours moins de présence dans les grandes villes de l’ancien grand parti des campagnes, Namur hormis. Le CDH, ce 26 mai, était à 4,46 % à Charleroi, à 5,58 % à Liège et à 6,34 % à Mons. Il n’y existe pratiquement plus. Bref, Maxime Prévot devra pouvoir faire seul, sans Joëlle Milquet, partie, et avec un Benoît Lutgen toujours moins là, ce que n’ont pu faire ensemble Joëlle Milquet, Benoît Lutgen et, déjà, Maxime Prévot : il fut pendant trois ans, aux débuts du CDH, secrétaire politique de la première. Il faudra à Maxime Prévot la puissance du surhomme pour contrer cet éternel retour du même.

A moins qu’armé du regard de l’aigle et de la souplesse du serpent, le Namurois n’ait à l’esprit un chemin de bifurcation, comme si la boucle de l’infini en circuit clos, à laquelle son parti semblait condamné, était en fait une esperluette ouverte à d’autres liaisons. Comme si un des paragraphes de cette histoire d’éternel retour n’avait pas vraiment été bouclé. Comme si le vieux pari de Gérard Deprez, dont la rupture avec le PSC précipita Joëlle Milquet dans sa fondation du CDH, pouvait se rejouer.

Cette bifurcation, entre l’étape trois et l’étape quatre, c’est celle d’une recomposition bien plus vaste que la refondation d’un parti déjà tant de fois refondé. Elle verrait le CDH disparaître, au profit d’une nouvelle formation de centre-droit agrégeant Mouvement réformateur et Centre démocrate humaniste. Elle était, déjà, annoncée dans la Charte de l’humanisme démocratique :  » Le CDH veut être à la base d’un rassemblement plus vaste, ouvert à tous les citoyens, et acteurs sociaux et politiques, aux différentes associations ou mouvements qui se retrouveront dans le nouveau concept d’ « Humanisme démocratique » et auront envie de lui donner une représentativité politique forte « , disait-elle. Elle a été rappelée, samedi 8 juin dans La Libre Belgique, par Gérard Deprez. Elle n’a pas été exclue par Maxime Prévot lui-même, le même jour dans L’Echo :  » Je n’ai pas de tabou à l’égard d’une recomposition politique « , a-t-il dit.

Son choix de l’opposition est en tout cas un cadeau au MR de Charles Michel, qui revient ainsi dans le jeu wallon des coalitions possibles. Comme le choix de Benoît Lutgen, qui ne cachait pas non plus vouloir, fut une première libéralité, en juin 2017, au MR d’Olivier Chastel. Comme un premier cadeau de refiançailles. Celles que Gérard Deprez et Louis Michel n’auront pas pu conclure. Celles que Charles Michel et Maxime Prévot pourraient vouloir boucler à deux. Avec ce ciel d’un bleu libéral et cette terre d’un orange humaniste.

Ainsi pensait Maxime Prévot.

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