Sophie Rohonyi (DeFI) © Belga

« En Hongrie, la ligne rouge a été franchie depuis très longtemps »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

« Cette loi sur l’interdiction de la promotion de l’homosexualité était inscrite dans les astres, souligne Sophie Rohonyi, députée belge d’origine hongroise. Il y avait déjà eu des amalgames entre l’homosexualité et la pédophilie. » L’évolution générale du pays sous Viktor Orban la préoccupe fortement.

Députée fédérale, Sophie Rohonyi (DeFI) est fortement préoccupée par la dérive autoritaire du régime Orban en Hongrie. Ses racines hongroises et les liens familiaux qu’elle a conservé à Budapest jouent un rôle, mais aussi son souci de protéger les droits des femmes et des minorités, partout. Elle évoque pour Le Vif cette évolution qu’elle suit de près depuis des années.

Vous avez conservé des liens étroits avec la Hongrie?

Une partie de ma famille et surtout ma meilleure amie y vivent encore, je retourne chaque année à Budapest. Oui, je me sens très préoccupée par ce qui se passe. D’autant plus qu’il y a des signes avant-coureurs depuis des années, que ce soit en matière de liberté de la presse, de culture, toute la polémique avec George Soros… On a coupé les vivres de toute une université parce que son idéologie ne correspond pas à celle d’Orban… Cela commence à faire beaucoup. Certains députés, la semaine passée, affirmaient qu’une ligne rouge a été franchie, moi je considère qu’elle a été franchie depuis très longtemps.

Cette polémique provoquée par la loi interdisant la « promotion de l’homsexualité » dans les films ou à l’école est un pas de plus?

Et pas des moindres, bien sûr. J’ai été voir ce qui a été fait en matière d’atteintes aux LGBTQ par le gouvernement: en réalité, cette loi était inscrite dans les astres. Il y avait déjà eu des amalgames entre l’homosexualité et la pédophilie. La comédie musicale Billy Elliot avait par exemple été déprogrammée de l’opéra en raison de campagnes affirmant que cela promouvait l’homosexualité. En 2019, le président du parlement hongrois avait déclaré que sur le plan moral, il n’y avait pas de différence entre les pédophiles et ceux qui demandent l’adoption pour les gays parce que « tous deux considèrent l’enfant comme un objet de consommation » (sic). Une publicité de Coca Cola avait été interdite parce qu’elle mettait en scène des couples du même sexe, estimant cela « préjudiciable au développement physique, mental, émotionnel et moral des enfants et des mineurs » (sic).

Cela fait donc des années que cela dure. Tout cela est l’objet même de la loi. Mais ce que personne ne relève, c’est que l’on ne peut pas cantonner l’application de cette loi – qui va passer… – aux médias et aux écoles, cela va forcément toucher l’espace public aussi parce que les enfants et les adolescents s’y baladent, forcément. Que se passera-t-il si deux personnes gays s’embrassent devant des enfants dans la rue? On va considérer que c’est la promotion de l’homosexualité, aussi. J’ai très peur que ce ne soit une incitation à la haine et à la violence.

Déjà aujourd’hui, des membres de groupes néonazis, et même du parti d’extrême droite Jobbik qui est très puissant, interpellent et agressent certaines personnes en toute impunité. Il n’y a quasiment aucun procès qui aboutit pour violence homophobe.

Vous avez exprimé votre inquiétude jeudi après-midi à la Chambre…

Comme je l’ai dit, quand je vais à Budapest, je ne ressens pas ça immédiatement parce que je ne suis pas concernée, et comme dans toutes les grandes capitales, la mentalité n’est pas la même. Mais sincèrement, si vous êtes gay dans la campagne, pro-Orban, il vaut mieux ne pas s’afficher.

Cela s’inscrit dans un contexte plus général de refus de la différence?

Tout à fait! C’est vraiment ce que je voulais mettre en exergue dans mon intervention. Le gouvernement Orban et tous les membres de son parti Fidesz défendent une société où la différence n’a pas lieu d’être. Aprèsle bon résultat de leur pati aux élections de 2010, ils ont modifié la Constitution pour y inscrire les valeurs chrétiennes, ce qui ne laisse forcément pas de place à l’avortement, à l’adoption ou au mariage des couples homosexuels…

Les dirigeants européens reconnaissent aujourd’hui qu’on a laissé Orban aller beaucoup trop loin. Toute la question est désormais de savoir s’il est encore temps de faire quelque chose. On a des leviers. La Belgique doit agir au niveau européen, mais elle peut aussi prendre des mesures au niveau bilatéral. Il y a des relations économiques fortes entre la Belgique et la Hongrie: nous figurons parmi les dix premiers investisseurs étrangers là-bas. Si on veut faire réfléchir Orban, il faut aussi activer ce levier-là.

La difficulté, bien sûr, c’est qu’il ne faut pas pénaliser dans le même temps la population hongroise. Je sais qu’une grande partie de la jeunesse hongroise ne se retrouve pas du tout dans cette politique d’un autre âge. Ma crainte, c’est qu’en poussant la Hongrie vers la sortie de l’Union européenne, on ne porte préjudice à cette jeunesse pour qui cette adhésion apporte beaucoup, ne fut-ce qu’au niveau des études, des échanges…

Le problème aujourd’hui, c’est que l’opposition politique reste très disparate. Le parti socialiste est considéré comme l’ancien parti communiste, et beaucoup de monde se méfie. Il y a le parti Momentum, un parti centriste avec lequel j’ai des contacts, ou les écologistes. Il faudrait que tous ces partis s’associent pour agir ensemble. C’est possible: lors des dernières élections municipales à Budapest, c’est un maire écologiste qui l’a emporté.

En même temps, les images de ces chemises noires extrémistes hongroises dans les stades de l’Euro ont fait froid dans le dos… Et Orban joue particulièrement sur cette imagerie nationaliste, non?

Il entretient un grand sentiment nationaliste, c’est évident. Il y a un grand traumatisme qui découle de l’époque soviétique, qui était terrible c’est vrai, et Orban a beaucoup joué sur cela. Il y a aussi un grand traumatisme consécutif aux traités après la première guerre mondiale qui ont retiré toute une partie du territoire hongrois. Mais cela fait un siècle, tout de même, il serait temps de tourner la page, non? Il surfe aussi sur ce sentiment anti-migrants qui menaçeraient de voler tout ce que l’on a…

Vous vous sentez Hongroise? Cela vous touche fort?

Cela me touche beaucoup, même si je me sens Belge, j’ai vécu ici, mais cela me touche pour mes amis qui sont désespérés par la situation et qui ont honte. Je pense aussi à mes grands-parents qui ont quitté la Hongrie en raison de son régime autoritaire pour rejoindre la Belgique où l’on respecte les droits de chacun. On ne retient pas les leçons du passé. A travers la politique d’Orban, la Hongrie est redevenu un pays fermé d’esprit par rapport aux droits et aux libertés de chacun. Enfin, je suis très attachée aux droits des femmes, des minorités, à la laïcité, et tout cela me heurte, forcément.

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